dimanche 16 décembre 2012

Running in madness [Vieille Harpie]


         Au volant de sa 4-L Vincent mange son énième hot-dog de la matinée. Sa dalle est cosmique, il n'en n'a jamais connu de semblable. Faut dire que la cuite de la veille était foutrement hystérique. Il n'arrive pas à se sortir du crâne c'te putain d'vautrage de son pote. Il glousse devant son hot-dog. « Putain, la tête la première dans la bouse. Comment il schlinguait. Ils étaient tellement bourrés ces cons qu'ils ont fumé la bouse - Il se marre - Ils sont bien chtarbes tout de même. » Il ouvre une bouche immense pour engouffrer la moitié de la saucisse à la moutarde tout en pensant : « Ah ouais, clair, y'a qu'la saucisse et la bière qui valent la peine de vivre ». Mais bon, là, faut retourner chez les vieux, ils vont encore gueuler c'est sûr.
         Il redémarre, les New York Dolls à fond dans la 4-L :
         « All about that Personality Crisis you got it while it was hot
         But now frustration and heartache is what you got ».
         Le paysage morne de la Creuse le déprime. Il s'imagine alors sur la route 66 au volant d'une mustang jaune. Ouais, un jour il ira aux States avec ses potes. Les States, le pays de la drogue, du sexe et du rock'n'roll. Ça pue trop la décomposition en Europe. Tout y est petit, étriqué, asservi, c'est un peuple de vieux. Lui, il veut vivre vite, se consumer vite et crever dignement, l'aiguille au bras en plein concert, ou dans sa gerbe, comme les plus grands.  Il pense à sa chanson fétiche et la sélectionne dans le mp3 :
         « Je n'ai pas d'avenir,
         Je n'ai qu'un destin
         Celui de n'être qu'un souvenir
         C'est pour demain
         Je n'ai rien à croire
         Je n'ai pas d'espoir
         Je n'ai plus de passion
         Je suis en prison  » (Les frères misères)


         Il hurle dans la caisse, le poing levé. Comme il aimerait s'barrer loin de ce trou du cul du monde. Il y a trop de misère et de consanguinité. Pas un bar sans ces foutus cons d'racistes, flippés et haineux. Des vrais yorkshire putain. Toujours à sermonner, à s'croire plus intelligents que les autres. Heureusement qu'il y a ses potes et quelques filles mal élevées. Il pense à Angélique. Elle est belle et trop cool. Elle est un peu désaxée il paraît. C'est ouf tout de même comment les gens ont des visions tordues des autres. Angélique respire la joie de vivre, elle kiffe les teufs, le pogo, la turpitude des nuits blanches. Elle est généreuse. Bref, Angélique est un ange. Putain si elle entendait ça il se prendrait une belle mandale dans la gueule.
         « And now I'm ready to close my mind
         And now I'm ready to feel your hand 
         ... I wanna be your dog » (The Stooges)
*

         Quand Vincent arrive chez lui une voiture de la police et une ambulance sont dans la cour. La trouille lui serre la gorge et le bide. Qu'est-ce-qu'il y a ? Que se passe-t-il ? Il voit sa mère en larmes et sa soeur. « Mais merde, putain, qu'est-ce-qui s'passe !? » Il hurle et bouscule l'homme qui essaie de lui parler mais dont il n'entend pas les paroles. C'est à travers un brouillard qu'il comprend que son père s'est tiré une balle dans la tête. Le corps est dans l'ambulance. Il veut le voir mais sa mère le retient et le supplie. Il reste près d'elle, hébété. C'est en fin d'après-midi qu'il verra le sang dans la grange. L'enquête ne durera pas longtemps. Suicide. Tout ce qu'il y a de plus banal dans le coin. C'est le quatrième depuis trois mois déclare le flic. « Est ce que c'est censé nous réconforter ? » pense Vincent. Son père allait donc si mal ? Il était fier, autoritaire, taciturne. Cette fierté de l'homme qui ne dit rien, qui encaisse en silence jusqu'à s'éclater la cervelle. « Quelles conneries que la virilité et le courage ».  Sa mère se sent coupable de n'avoir rien vu venir. Elle  s'inquiète du remboursement des dettes. Dettes pour les machines agricoles, pour la construction d'une nouvelle étable, les conditions hygiéniques devenant de plus en plus strictes. Pourront-ils garder la ferme ? Non, ils vendront les bêtes, ils vendront tout. Comment continuer à vivre dans une maison où l'un des membres s'est tué ? Et pourtant, elle ne veut pas vendre. Cette maison était celle de ses parents, de ses grands-parents. Mais lui ne veut pas être agriculteur. Lui ne veut pas exploiter les animaux. Il ne veut pas arracher aux vaches leurs veaux. Ils ne veut pas envoyer les veaux à l'abattoir ou dans les corridas. Mais comment peut-on vivre près des bêtes et nier leur souffrance ? Il a toujours haï la ferme. Il ressent une pitié monstrueuse pour sa mère. Cette femme incapable de vouloir autre chose que ce que ses proches lui ont foutu dans le crâne dès la naissance, pendant trente ans, quarante... jusqu'à son dernier soupir. Il s'enferme dans sa chambre. Il ne veut voir personne. Il écoute en boucle le même morceau fumant clope sur clope :
         « Les dingues et les paumés s'arrachent leur placenta
         Et se greffent un pavé à la place du cerveau
         Puis s'offrent des mygales au bout d'un bazooka
         [...]
         Les dingues et les paumés sacrifient Don Quichotte
         Sur l'hôtel enfumé de leurs fibres nerveuses... » (Thiéfaine)
                  
         Après deux jours d'enfermement, il téléphone à Angélique. Il est ivre et elle l'écoute jusqu'au soir. Pendant qu'il lui parle il se lacère les bras, le torse, passe du rire aux larmes. Après trois heures de conversation il raccroche pour la rejoindre près de la rivière. Sous la clarté lunaire Angélique scintille et le son de la rivière la revêt du mystère des créatures aquatiques. Il pense « Mon dieu, je suis timide comme un enfant mort-né ». Le sourire d'Angélique le transperce, il tremble. Il avait enfilé une chemise blanche sans penser à soigner ses plaies. Le sourire timide de Vincent la bouleverse mais très vite elle voit le sang qui tâche la chemise qu'elle lui demande d'ôter : « T'es vraiment qu'un petit con. C'est tout ce que tu as trouvé à faire pendant que je t'écoutais chialouter ? Putain, tu mériterais une bonne beigne. Tu te sens mieux maintenant ? Peut-être que tu veux que je te fasse des scarifications un peu plus géométriques pour bien garder inscrit sur ton corps cette belle après-midi de juin ? » Il ne savait pas quoi dire. Il ne disait rien. Des larmes brillaient dans ses grands yeux effrayés. Elle le prit dans ses bras et ils restèrent assis sur la berge à écouter les sons de la nuit. Au petit matin, ils se sont réveillés dans les bras l'un de l'autre. Ils se sont souri et elle l'a embrassé. Il a glissé sa main sous sa jupe, a caressé son sexe à travers le fin tissu de son slip. Elle l'a repoussé. « Putain, j'ai toujours baisé bourré. Sans alcool c'est trop stressant, j'aime pas me sentir fébrile comme ça. – T'as jamais baisé en étant clean ? - il semble réfléchir - moi non plus en fait. Mais merde, j'suis trop excité-là, t'es sûr que tu veux pas essayer quand même ?  – Non, d'toute façon maintenant c'est mort, j'ai plus envie. » Ils sont un peu gênés. « Allez avoue, c'est parce que t'es encore vierge, - et il se marre – Non, le premier type avec qui j'ai baisé je ne le connais même pas. Ça s'est fait dans un champ de maïs, je voulais connaître le coït, marre de me masturber. – T'étais bourrée là aussi ? – Ouais. - elle s'allume une clope. Tu t'es jamais demandé comment j'faisais pour avoir toujours  d'la tune ? J'matte les vieux qui s'branlent, ils paient cher rien qu'pour tu les mates se frotter la pine » Il reste bouche-bée « Sans blague ? T'es une pute ? – Ouais, si tu veux. Tu crois qu'c'est pire que l'vieux Robert qui s'tape ses brebis, ou Isabelle qui profite du bain pour tripoter la nouille de son gosse ? – Elle tripote son fils ? – Ben, mon gars, ça arrive plus souvent qu'on n'le croit. Le cul chez l'homme c'est un truc de ouf. Tu t'es jamais demandé pourquoi y'a tant d'interdits qui tournent autour du sexe ? Parce que, dans le règne animal c'est l'humain qu'est le plus obsédé par son sexe. Et il transfère son obsession sur les bêtes. – Ok, ouais, mais j'm'en fous moi que tu sois une pute de toute façon. Tu fais c'que tu veux, hein. J'suis pas un p'tit bourgeois moi. J'suis pour l'amour libre. Pas de souci. – T'es trop mignon. Je fais un pacte : j'baise gratos et sans être bourrée qu'avec toi – Ok, idem ». Ils se tapent les mains pour signer l'accord, se sourient et s'embrassent tendrement puis de plus en plus goulument. L'excitation les gagne. Vincent sent son sexe durcir. Il glisse à nouveau la main sous sa jupe. Cette fois-ci elle se laisse faire. Elle caresse sa bite à travers le jean avant d'ôter les boutons un à un. Il glisse sa main sous son slip. Il sent ses poils épais, les lèvres charnues du con et glisse un doigt dans la fente. L'intérieur est humide et palpitant. Angélique gémit. D'une main elle frotte la verge et de l'autre, elle glisse lentement un doigt dans l'anus de Vincent. Il gémit, elle se cambre. Il lui ôte son tee-shirt noir, lèche ses tétons dur comme des épis, son pouce va-et-vient de plus en plus rapidement et il sent le clitoris grandir et durcir. Il la pénètre enfin et sent son con serrer son vit. Elle se démène pour bien sentir les couilles de Vincent cogner contre son cul et ils finissent par jouir en même temps. Vincent sent le liquide féminin se déverser et Angélique sent au fond d'elle les palpitations de l'éjaculation. Ils s'enlacent fortement pour savourer en silence ce moment d'extase.

*

         Depuis ce jour Vincent et Angélique ne se quittent plus. Au bout de deux jours, ils ont pris la décision de s'barrer. Vincent a d'abord été voir ses deux potes pour qu'ils partent ensemble. Mais ses potes veulent attendre leurs 18 berges et puis, tenir la chandelle, c'est pas trop leur truc. Vincent récupère sa guitare et avec Angélique ils fauchent la 4-L pour fuir le trou du cul du monde. Sur les routes désertes de la Creuse ils chantent en cœur :
                   « Il parait qu'l'amour c'est un truc dangereux,
                   Que ça va faire chialer tes jolis p'tits yeux,
                   Il paraît même que ça fout la fièvre,
                   Il paraît qu'y'en a certains qu'en crèvent... » (Mano Solo)
         La première nuit ils dormirent à la belle étoile en plein cœur de la forêt. Ils burent de la bière et mangèrent des hot-dogs. Ivres, ils s'allongèrent sous les grands bouleaux. À la fois brutaux et maladroits, ils se dévêtirent l'un l'autre et il la pénétra violemment. Leurs halètements intriguaient la chouette nichée en hauteur. Surexcités ils jouirent en moins de deux minutes et s'endormir l'un sur l'autre presque au même moment. Pendant ce temps leurs mères, inquiètes, les attendaient à la ferme. Dès le lendemain la mère de Vincent appela l'un des amis de son fils qui lui apprit que Vincent était parti avec Angélique. Elle joignit la mère d'Angélique et ensemble elles allèrent au commissariat pour prévenir la police de la fugue des jeunes adolescents.
         Au réveil, leur gueule de bois est terrible. Et très vite ils découvrent sur leurs corps des dizaines de tiques. Ils sont écœurés par toutes ces bestioles qui leur sucent le sang. Ils secouent leurs vêtements et partent à la recherche de la voiture. Au détour d'un sentier ils voient un immense lac. Ils se sourient et se ruent dans l'eau en riant. Après un bain agréable ils s'épouillent l'un l'autre. Un héron descend du ciel pour pêcher un poisson. Dans le silence d'une nature foisonnante le temps est suspendu. Ils s'enlacent tendrement. « J'aimerais vivre ici. Ne plus retourner dans leur société qui pourrit tout. Je veux rester inadapté, jusqu'à la fin de mes jours. –  Ouais, on vivrait de pêche et de cueillette, on dormirait nus dans les arbres. Ok, ben dis adieu à la bière et au hot-dog. Hippie ! » Il rit. « Ouais, t'as raison on va plutôt s'chercher d'la saucisse, je commence à avoir la dalle. »
         Ils retrouvent la caisse et Vincent met la zik à fond pendant qu'Angélique chante et danse en ouvrant avec un briquet sa bouteille de bière :       « Call Me Animal, That's My Name
                                                                  Call Me Animal, I'm Not Ashamed »
Et Vincent se joint à elle, gueulant dans le pré :     « I Use The Juju Of My Ancestors
                                                                  To Drive This Piece Of Meat
                                                                  I Scream The Music Of The Pleistocene
                                                                  Just Because It's Got A Good Beat » (MC5)

         Un type débarque avec son fusil et son chien. Il tire en l'air pour que le silence se fasse. Vincent baisse le son. « Qu'est ce que vous foutez dans mon pré ? Vous vous croyez où à gueuler comme ça ? Fichez-moi le camp, p'tits cons. » Bouches bées, ils restent cois. Le vieux tire à nouveau. Ils montent dans la caisse et Vincent démarre. « Putain mais quel connard ! Putain, putain, j'suis trop vénère ! Enculé ! » Angélique est hors d'elle. « C'est pas grave mon cœur on va trouver un autre endroit. –  Pas grave ?! Non mais putain, j'ai trop envie de lui faire la peau à ce connard » Elle pleure de rage  « Il fait le malin en se cachant derrière son flingue et son chien, mais quel fils de pute ! » Vincent monte le son mais le cœur n'y est plus. Ils roulent silencieusement et prennent l'autoroute. Le rose et le bleu du crépuscule se mélangent et le soleil plonge lentement derrière des nuages annonciateurs d'orage. Ils roulent une bonne partie de la nuit et Angélique est la première à briser le silence. « Faut peut-être bouffer quelque chose là, non ? Et puis dormir aussi. Arrête-toi à la prochaine aire, on s'prendra des sandwichs et de la bière. Putain, cette caisse est une vraie casserole. » Elle sourit enfin, pense Vincent qui s'inquiétait de la voir si renfrognée. Elle jette un œil au lecteur mp3 : « Putain t'as les Ramones, je suis trop fan ! C'est eux les premiers punks de l'histoire, oh la vache, j't'adore ! » Elle l'embrasse.
         « I was feeling sick I was loosing my mind I heard about these treatments
         From a good friend of mine he was always happy smile on his face
         He said he had a great time at the place...
         Gimme gimme shock treatment Gimme gimme shock treatment » (Ramones)

 *
         Ils entrent dans la ville. Ils veulent un vrai pieu. Ils se trouvent un hôtel un peu miteux mais propre dans un des faubourgs. Le black de l'accueil a plutôt l'air cool malgré son regard de félin sur les nerfs. La tune part vite, dès le lendemain ils devront trouver un boulot. « J'pourrais jouer dans la rue  des morceaux. Tu sais chanter toi ? – Ouais, comme une lionne. Non, j'chante trop faux, c'est horrible – T'es sûre ? On va essayer. Tu connais quoi comme chanson ? – Tu sais jouer quoi ? – Tout ce qui est punk rock. – Mouais, ben moi j'aime bien « 50 Foot Queenie ». – Hey, ouais, c'est PJ ça, elle est terrible. J'sors la guitare, prépare-toi bébé. » Il lui fait un clin d'œil tout en enlevant ses Doc et sors la guitare de son étui. Il l'accorde pendant qu'Angélique enfile sa mini-jupe rouge et son haut léopard. Les premières notes démarrent et elle chante comme un fauve déchaîné :
         « Hey I'm one big queen
         No one can stop me
         Red light red green
         Sat back and watching... »  Elle saute dans tous les sens comme une furie levant les poings et les jambes. Vincent est médusé, il ne l'avait encore jamais vue danser comme ça. Ça ne ressemble vraiment à rien et c'est ça qui est formidable. Elle est totalement ouf. Et ouais, elle ne sait pas chanter, mais sa voix qui déraille ça en jette bien plus. Ils entendent quelqu'un frapper à la porte. Vincent soupire, se lève et ouvre la porte au type de l'accueil  « Eh les gosses, vous êtes pas tout seul. Y'a des gars qui bossent toute la journée et qui ont besoin de dormir. Si vous voulez vous déchaîner vous devriez plutôt aller dans un bar. Ceci dit, j'vous ai écouté. C'est des trucs barbares que vous aimez-vous. Vous devriez faire un tour au Pick-up bar. Peut-être qu'ils vous laisseront faire le spectacle. Ils aiment ça là-bas, les trucs qui ressemblent à rien. – Vous avez aimé alors ? demande Vincent – Non p'tit, j'aime que le blues moi, mais y'a de l'énergie chez la petite, j'crois que pour ce genre de zik c'est important. » Il leur donna l'adresse du bar et repartit s'installer dans le hall de l'hôtel. Une fois la porte refermée Angélique sauta de joie sur le lit : « Wouaouh, la vache, si on peut s'gagner du fric dans les bars mais quel pied ! D'la bière à gogo, d'la danse, des cris, des nuits blanches. Wouaouh, j'suis trop excitée. Tu m'as trouvé bonne toi aussi ? – Bonne ne serait pas le mot, mais j't'ai trouvée surprenante. Ouais, t'en jettes. – On va au bar ? Ça a l'air cool, au pire on s'prend une murge. »
         Le bar n'était pas trop blindé. Vincent parla au barman. La soirée étant calme il l'autorisa à sortir sa guitare. Et pendant deux heures Angélique sauta dans tous les coins en braillant tout et n'importe quoi. De l'impro total rythmée par des shooters. Vers 2 h du mat ils étaient totalement torchés mais ils voulaient continuer à boire et danser. Ils partirent à la recherche du bar « le caïman » ouvert toute la nuit. Angélique continuait de sautiller, on ne pouvait pas l'arrêter. Vincent était plus râleur, il aurait voulu trouver le bar tout de suite plutôt que de tourner en rond dans les coins les plus sordides de la ville. Mais ils s'enfoncèrent de plus en plus dans les quartiers les plus pauvres. Une épicerie était ouverte, ils y achetèrent des canettes et s'installèrent dans une usine désaffectée. Ils entendirent des gémissements, de faibles jappements. Attaché à un des piliers un chiot de 7 mois qui puait la pisse et la merde. Il avait l'air affamé. Ils le détachèrent et lui filèrent les restes de saucisses. « Putain, il schlingue trop, faut le laver. Faut être un sacré enculé pour abandonner son chien. » Ils lavèrent le chien sommairement dans l'eau croupie d'une flaque. « Putain dire qu'on a payé une piaule et qu'on va dormir dans ce taudis.  – Ouais, on est trop des cons. » Ils se marrent.  

*
         Au p'tit matin ils embarquent le chien et quittent l'hôtel. Vincent a repéré une affiche avec leurs deux gueules. Leurs vieux ont lancé un avis de recherche. Le black de la veille a été remplacé par un jeune qui danse du new style sur un vieux tube d'ODB. Il leur envoie la clé avec un p'tit clin d'oeil en chantant « I dead niggas like a dog buries a bone ». Tout en rangeant leurs fringues ils se demandent où s'planquer. « J's'rais bien pour qu'on s'planque à Barcelone,  dit Angélique –  Ouais, wouaouh, on va faire la traversée des Pyrénées, comme les anars fuyant le franquisme. Ok, bébé, on charge la caisse de bière et de saucisses et on s'casse ».
         Ils dévalent les escaliers en courant, Angélique lance la clé au danseur de popping qui continue de chanter le morceau qu'il écoute en boucle : « I get the cocaine it cleans out my sinuses ».
         Le premier à remarquer la présence des keufs est Vincent. Il murmure à Angélique de tracer. Mais à la vue des flics Angélique, qui sait parfaitement qu'il vaut mieux filer droit et en silence, se sent soudainement possédée par l'envie d'insulter la maréchaussée. Dominée par le démon de la perversité elle se retourna vers eux et s'met à brailler : « Hé, les défenseurs de la hiérarchie établie ! Les p'tit toutous des nantis ! Combien de démunis comptez-vous enfermer aujourd'hui ? Vive l'anarchie, à mort les condés ! ». Vincent l'attrape par le bras et la jette dans la caisse. Il démarre en trombe laissant les deux flics bouche-bées. Angélique se marre « Trop bon, c'te gueule, t'as vu, ils s'y attendaient pas ces cons.  – Ouais ben c'était pas très malin. Tu veux retourner chez ta mère toi ? Moi pas alors merde, sois plus maline la prochaine fois. – Ouais, ça va, je sais qu'c'était débile, mais on a rien eu alors réjouissons-nous, on les a insultés les doigts dans le nez. » Elle s'allume une clope et choisit la zik :
         « We didn't do nothing hey, hey, hey But now we're running and hiding » (L7)
         Angélique braille : « running'from the law ! »  Vincent sourit et le chien Nestor aboie joyeusement.
         Ils arrivent dans un p'tit bled où les rues sont remplies de punks et de chiens. Sur la place de l'église des étales débordent de saucisses. Dans l'air l'odeur de la vinasse, de la bière et du hot dog.
« C'est la foire à la saucisse ? » demande Angélique. Une tribune de fortune a été montée devant l'église. Sur la scène une gonzesse chante comme une chienne enragée :      
                            « Mais ils ne perdent rien pour attendre
                            Leur lâcheté est notre démence
                            L'anti-conformisme un totem à vie » (Heyoka) 
         Nestor, oreilles au vent, court vers ses semblables, mais tous n'ont pas sa bonne humeur. Il trouve tout de même un p'tit cocker pour jouer. Ils courent l'un derrière l'autre, jappent en se mordillant les oreilles. Pendant ce temps Angélique et Vincent bavent comme des gosses sur le tas de saucisses. « C'est quoi c't'hallu ? »  Un  vieux barbu chevelu, un survivant de Woodstock pensent-ils, s'avance vers eux « Salut, les jeunes. Les saucisses sont gratis si vous connaissez le mot de passe. 
– Le mot de passe ? – Ouais,  on a fait une descente hier soir à l'usine. Mais on partage pas avec les p'tits cons, hein. D'où vous venez ? – Arrête de faire chier , servez-vous. Faut tout le temps qu'il fasse le malin. – Tu m'emmerdes rat d'égout. C'était juste pour engager la conversation – J'crois qu'ils ont trop la dalle pour taper une causette. » Angélique et Vincent se ruent sur les saucisses. Sur le sol un type est enroulé dans des mètres de saucisses. Seuls son poing levé et la partie supérieure de son visage sont visibles « Être saucisse pour m'auto-dévorer, c'est l'extase électriiiqueeeee ! »
         Ils s'empiffrent, se saoulent, pogotent. Ils se prennent un acide chacun offert par une gonzesse aux cheveux orange flamboyant. À quelques mètres un type tente de scarifier son pote qui porte un kilt et une casquette léopard. Le couteau est trop émoussé. L'autre s'énerve mais ne tient pas debout
« Putain, tu vas m'la faire c'te scarif ouais !? ». L'effet de l'acide ne tarde pas. Angélique voit les deux hommes qui causent de scari se transformer lentement en lézard à la langue pendante tandis que Vincent voit débarquer Iggy avec sa silhouette nerveuse gainée de cuir. Putain, Iggy lui parle : « Morrison c'était qu'une pédale, son fute c'était pas du vrai cuir. » Vincent est en extase. Chacun plonge lentement dans son trip. Angélique voit des oeufs avec de grands yeux et des nouilles qui se dressent à leur sommet. Ils lui parlent mais elle ne comprend pas leur langage. Ils semblent être en accéléré ou peut-être est-ce elle qui est dans un temps ralenti ? Elle sent sa bouche se tordre douloureusement à chaque syllabe. Parler est devenu un effort surhumain. Vincent rampe et tourne en rond. Il halète, il ne comprend pas comment il a pu un jour être à la verticale. Il se transforme en serpent et la sensation n'est pas agréable. Il se tord et ses muscles trop contractés sont douloureux, il ouvre la bouche en anaconda, à s'en déchirer la mâchoire. Comment cet écartèlement de la mandibule est-il possible ?
         Soudain, une douzaine de types en uniformes débarque. L'aube n'est pas loin et la place est jonchée de corps ivres ou médusés par la drogue. Les keufs en profitent pour embarquer un maximum de types. Angélique et Vincent sont encore dans leur cauchemar de lenteur. Il voit les condés s'approcher comme une image 3D. Vincent tente de tendre le bras mais il a beau se creuser les méninges son cerveau ne trouve pas la commande du bras. Il sent qu'il est porté. Angélique parvient à s'extraire de sa léthargie. Prise de panique à la vue des uniformes elle tente de s'enfuir. Mais elle se sent comme une roche métamorphique, plissée dans une immobilité croissante. L'un des flics l'aide à se lever « Lâche-moi connard » parvient-elle à dire au ralenti en tentant de l'éloigner d'un geste de la main. Impossible de se défendre, impossible de s'enfuir.        
        
*
                           
         Une fois au commissariat Angélique était dans un tel état de panique qu'elle se mit à donner des coups de pieds et à hurler. Elle fut hospitalisée et mise en sédation. Vincent, plus calme, échappa à ça. Il avait des circonstances atténuantes son père s'étant mis une balle dans la tête. Le drame justifiait son pétage de plomb. Mais elle, elle n'avait aucune excuse. Et ses parents étaient bien trop heureux de trouver une occasion de la mater. Sa mère n'hésita pas à signer les papiers pour l'enfermer. Angélique ne prenait pas ses médicaments et trouvait la psy totalement conne. Mais elle aimait certaines internées qui n'avaient rien à foutre là et qu'elle aurait bien voulu sauver. Et un soir, elle mit le feu à l'hôpital chantant comme une truie que l'on égorge :
         « La politique sécuritaire est payante
         économiquement, électoralement payante
         victimes des matons ou des paumés qu'on entasse ? »  (Mon dragon)
        
         Elle se défenestra du 2ème étage pendant que l'alarme rugissait. Vincent et Nestor l'attendaient en bas dans la magnifique 4-L et ils s'enfuirent de nouveau. Des fous et des infirmières sautaient par les fenêtres qui, sous l'effet de la chaleur, explosaient, fichant dans les corps des bris de verres.

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