mardi 18 décembre 2012

Obsessions du feu [Herr Mad Doktor]




La garrigue.
Une route sans fin.
Un feu tricolore, planté là.
Un Gendarme en haillons, planté à côté du feu.
Le Gendarme ne quitte pas le feu des yeux, jamais – sauf quand il dort, et encore ne dort-il que d’un œil.
Surveiller la couleur du feu et appliquer la loi en conséquence : sa mission sacrée ; sa vie.

***

Vert !
Le feu est vert, vert, vert.  
Vert. Le feu est toujours vert – enfin presque.
Vert signifie : en avant toute ! Passez donc, honnête conducteur ! Embrayez, courageux chauffeur, roulez vers l’horizon, foncez vers l’Ailleurs, la voie est libre ! Avancez, tacots, deux-roues, calèches, circulez sans crainte ! Vous ne savez ni d’où vous venez, ni où vous allez, mais pas de panique, car le feu est vert et vert signifie : en avant toute !
Au bord de la route, sifflet en bouche, le Gendarme répète les manœuvres réglementaires. En guise de bâton de circulation – l’original lui ayant été subtilisé par un satané Voleur –, il manie un roseau. Inlassablement, il travaille ses gestes, ses postures, son regard, jusqu’à atteindre le mouvement parfaitement parfait, le langage universel ultime, compréhensible en un clin d’œil par n’importe quel usager de la voie publique...
Des moulinets souples du poignet : circulez !
Un bras levé à la verticale : halte là !
Un mouvement délicat des paumes vers le sol : ralentissez, braves gens !
Le bâton pointé droit sur le conducteur, avec trois coups de sifflets secs : vous, là, arrêtez-vous sur le bas-côté et veuillez présenter les papiers du véhicule !
Telles sont les règles de circulation que nul n’est censé ignorer.
Toutefois, si des voyageurs autres que des rats ou des chiens galeux venaient réellement à passer sous son feu, le Gendarme en serait si heureux qu’il en oublierait momentanément la rigidité du règlement. Il ne manquerait pas de les saluer avec de grands gestes enthousiastes, agiterait gaiement son képi et sifflerait un air de fête ; les voyageurs riraient et le salueraient en retour, parfois même ils le siffleraient aussi, lui cracheraient dessus ou lui jetteraient des petits cailloux, et le Gendarme serait alors ivre de bonheur.
Mais sur cette route perdue, personne ne passe jamais. Enfin presque personne – fichue Tourterelle bavarde comme une pie ! Satané Voleur de bâton dans sa machine infernale ! Soudain envahi par l’angoisse, le Gendarme surveille l’horizon derrière le feu : pas de battement d’ailes en vue. Puis il plaque son oreille sur le sol, et ne perçoit ni vibration, ni cliquetis menaçant. Ouf, pas d’ennemi en approche ! Rasséréné il se relève, époussette son uniforme, et retourne faire la circulation à des véhicules imaginaires – l’heure de pointe approche.
Vert, vert, vert, le feu est vert...


***

Deux à trois fois par mois, le Gendarme grimpe le long du poteau pour nettoyer les lentilles et les visières pare-soleil du feu tricolore. Pas question que des impuretés – poussière, toiles d’araignée, fientes de tourterelle... fichue Tourterelle bavarde comme une pie ! – viennent gêner la visibilité de la signalétique, il en va de la sécurité de tous. Par-devers lui, l’agent nomme cette corvée « enlever les cacas d’yeux ». Ne mangeant plus à sa faim depuis belle lurette, l’ascension lui réclame beaucoup de temps et d’effort, et il n’est pas rare qu’elle se solde par une chute sur la tête ou sur les fesses – d’où les déchirures de son pantalon à cet endroit précis. Néanmoins, tout entier dévoué à l’uniforme, le Gendarme ne se décourage pas pour si peu et, tant que son devoir n’est pas accompli, il repart sans cesse à l’assaut de son Everest tricolore. Une fois en haut, tout transpirant et suffocant, il colle son nez à la lentille du feu inférieur et s’absorbe quelques instants dans la contemplation de son magnifique éclat vert, jusqu’à voir des papillons tout aussi verts voler devant ses yeux... Au bout d’un petit moment, lui-même se sent d’une humeur verte, comme si son épiderme s’était chargé en chlorophylle et son sang mué en sève épaisse. Alors seulement, ne faisant désormais qu’un avec le feu, il s’attelle au nettoyage minutieux du cache. Ne disposant pas de chiffon, et encore moins de produit désinfectant, il commence par utiliser sa langue – ce qui au passage lui permet de se nourrir un peu. Ensuite, pour venir à bout des traces les plus récalcitrantes, il crache sur un pan de sa veste et frotte vigoureusement le verre. Au fil du temps, à force de frottements acharnés, sa veste est devenue toute crasseuse et usée jusqu’à la corde ; le jour où elle sera totalement inutilisable, le Gendarme a déjà convenu qu’il se servirait de son slip ; et le jour où son slip sera à son tour hors d’usage, il s’arrachera un lambeau de peau pour en faire un chiffon. En ce monde impitoyable, il faut savoir se débrouiller avec le peu dont on dispose. L’agent répète ce protocole aux autres étages du feu tricolore, bien que ceux-ci ne s’allument que très, très rarement. Enfin, sa mission menée à bien, il redescend en glissant comme un pompier le long du poteau, ou le plus souvent en s’étalant comme une crêpe sur le sol, et de là admire non sans fierté le travail accompli. De son globe vert étincelant de propreté, le feu fixe le Gendarme, et le Gendarme lui sourit.

***

Dans le fossé en bord de route, l’agent de circulation s’est confectionné un couchage de fortune à même l’herbe sèche, où il passe la nuit à la belle étoile. Ainsi peut-il continuer à contrôler la couleur du feu et à surveiller le trafic, même à l’orée du sommeil, entre ses paupières mi-closes.  
Etant en faction 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et 365 jours par an, il ne quitte jamais – enfin presque –  son uniforme. Au bout de tant d’années de veille campagnarde, celui-ci a pris la teinte de la garrigue environnante et s’est imprégné de l’odeur du thym et du romarin ; des champignons s’y sont en outre invités, dessinant des cocardes de moisissure couleur mousse sur son poitrail –  les plus prestigieux galons qu’il ait décrochés au cours de sa carrière d’officier, témoins de son indéfectible fidélité au poste.  
Le feu est vert, vert, vert,
Même à travers mes paupières...
Bien qu’il ne soit pas censé dormir en service, il arrive au Gendarme de se laisser envoûter par la douce lumière verte baignant son visage et d’imperceptiblement glisser dans le territoire des songes... Où toujours l’attend une grande et longiligne jeune femme, au troublant regard émeraude. Commence alors un étrange jeu de séduction... Son bâton de circulation miraculeusement retrouvé, son uniforme étrangement remis à neuf, le rêveur au képi parade fièrement devant la roucoulante damoiselle, en exécutant des manœuvres d’une précision à faire pâlir un défilé du 14 juillet. Logiquement conquise par sa maîtrise du bâton, la belle le plaque de ses bras maigres contre son corps froid et le Gendarme, emporté par le désir, la pelote ; il s’aventure même à plonger la main sous son chemisier et à presser entre ses doigts un téton durci d’excitation... Ah, l’Amour ! Pourtant l’étreinte ne prend pas la tournure escomptée : les yeux de biche de sa dulcinée sont soudain frappés d’un clignotement inquiétant – a-t-elle une poussière dans l’œil ? ; le vert de ses iris tourne à l’orange, puis au rouge, un rouge d’Enfer où rôtissent les damnés, et le Gendarme, sans en comprendre la raison, a peur d’y brûler lui aussi... Aurais-je franchi la ligne blanche ? Son intuition se révèle juste : jaillissant des orbites, des flammes dévorent le visage de la jeune femme, avant de s’étendre à tout son corps, puis de se propager à l’uniforme de l’officier... Flash aveuglant. Retour brutal sur le lit d’herbes sèches. « Au feu ! Au feu ! Appelez les pompiers ! » hurle le Gendarme, dans la confusion du réveil. Par réflexe professionnel il cherche à empoigner son bâton mais bien sûr ne le trouve pas, panique de plus belle, tourne et vire, se roule sur le sol pour éteindre l’incendie imaginaire, porte son sifflet aux lèvres et sonne l’alarme, des renforts, qu’on lui envoie des renforts, c’est un cas de force maj... Vert.
Le feu est vert,   
                                                                      vert,
                                                                             vert.
                                                                                    Le rêveur redescend sur terre. Voilà ce qui arrive quand on s’endort à son poste ! Le dos humide et les mains encore secouées d’un léger tremblement, il se met au garde-à-vous au pied du feu. Un tel manquement au règlement ne saurait rester impuni... « Bong bong bong ! » fait son crâne en heurtant le poteau métallique, tandis qu’un liquide épais vient empourprer sa vue.

***

De fines vibrations dans le sol.
Une colonne de fumée à l’horizon.
La rumeur lointaine d’un engin à moteur...
Véhicule en approche ! Serait-ce enfin un honnête conducteur, respectueux du
code de la route ?
Non, c’est le Voleur de Bâton dans sa machine infernale ! Le Gendarme discernerait
son vrombissement caractéristique entre mille. Ah, il va le recevoir, ce gredin ! Voilà des lunes qu’il se prépare à cette rencontre. Cette fois-ci c’est sûr, il va récupérer son bâton – et son honneur...
Pour le moment, le véhicule n’est qu’un minuscule point à l’horizon, mais il se rapproche à toute berzingue – le Voleur n’est pas du genre à respecter les limitations de vitesse.
Cela laisse peu de temps au Gendarme pour mettre son plan à exécution. Ses gestes sont calculés, il ne perd pas une seconde : au pied du feu et au fond de ses poches, il récupère une multitude de petits cailloux pointus et de morceaux de ferraille rouillés, qu’il a soigneusement amassés depuis des mois ; et par poignées entières, il les jette sur la route. Il ricane dans sa barbe en imaginant les pneus du Voleur exploser comme des ballons de baudruche au contact de cet impitoyable « tapis de fakir » ! Une fois le véhicule ennemi mis hors d’état de nuire – il se le représente piteusement crashé dans le fossé d’en face –, il n’aura plus qu’à partir à l’abordage pour récupérer son bâton.  
La machine infernale est maintenant de la taille d’un jouet d’enfant. Elle fait un bruit assourdissant (clink-clonk-clunk) et fume plus que jamais. Peu versé en matière d’automobile, l’agent ne saurait dire de quel modèle il s’agit, mais il trouve que ce « coupé sport » ridiculement tuné – quelle idée grotesque d’avoir placé un compresseur sur le capot ! – aurait besoin d’un bon lavage. La carrosserie et le pare-brise sont recouverts de sable et de poussière, à se demander comment le conducteur distingue où il va ! Quoique l’emploi du masculin soit impropre, il pourrait tout aussi bien s’agir d’une conductrice – ce qui ne serait guère étonnant vu son irrespect total du code de la route. Les vitres étant teintées, le Gendarme ignore tout de l’identité du fou ou de la folle derrière le volant. Mais homme ou femme, cela ne change rien à sa soif de vengeance !
La chaussée est maintenant tapissée d’objets pointus. Même une fourmi ne pourrait la traverser sans se piquer les pattes ! L’air de rien, le Gendarme ajuste son képi et reprend son poste habituel, sous le feu vert. Il ne faut surtout pas que le Voleur se doute de quelque chose... Avec son roseau – mais, touchons du bois, ce sera bientôt avec son bâton ! –, l’agent de circulation exécute les manœuvres que l’on attend de lui – des moulinets d’une souplesse exemplaire signifiant : « circulez, braves gens ! ».  
Le monstre mécanique arrive en trombe, dans un vacarme de tous les diables ; le sol vibre tellement qu’il semble sur le point de se fissurer ; les roues, noires comme du charbon, déchiquètent l’herbe en bord de route ; l’air empeste le CO2 ; et la poussière en suspension pique les yeux. Tout ça mériterait une amende pour pollution ! Mais ce n’est pas la priorité du jour...
Stoïque en apparence, le Gendarme continue ses moulinets. Intérieurement, il jubile : le Voleur fonce droit dans la gueule du loup ! Loin de décélérer à l’approche du feu tricolore, il appuie même sur le champignon... Sa défaite n’en sera que plus cinglante ! Alors que le coupé sport pétaradant est sur le point de passer à sa hauteur, le Gendarme se bouche les oreilles... Attention, ça va faire du bruit !   
Mais le Voleur est malin.
Terriblement, diaboliquement malin.
A l’ultime seconde, il mord dangereusement sur le bas-côté et, avec l’aisance d’un cascadeur Hollywoodien, incline sa voiture sur la droite. Les roues gauches décollent littéralement du sol, dans un impressionnant numéro d’équilibrisme automobile !   
Et au lieu du « boum ! » attendu, le Gendarme entend un « outch ! » sortant de sa propre bouche – se faire rouler sur les orteils, ça ne fait pas du bien –, suivi d’un « garghl.. » étouffé – se faire gifler les testicules par un rétroviseur, ce n’est pas plus agréable –, enfin ponctué d’un « bip bip ! » moqueur.     
Le piège déjoué – pas un caillou pointu n’a bougé –, la machine infernale retrouve la position horizontale et s’évanouit dans un nuage noir.  
« Mon bâton ! hurle le Gendarme en levant un poing rageur, mon bâton ! » Mais le Voleur est déjà loin...
Ce gredin ne perd rien pour attendre !

***

La lame de bitume fend le monde en deux : une partie du côté du feu tricolore, et une de l’autre côté. Le Gendarme ne se rend que très, très rarement de l’autre côté – entreprise ô combien périlleuse et sans assurance de retour. Lui, ce qu’il préfère, c’est bien évidemment le côté du feu tricolore, dont il ne s’éloigne que lorsque les circonstances l’exigent. Pour ne pas mourir de soif, par exemple. En effet, du côté du feu tricolore il n’y a pas d’eau, et c’est bien là l’unique défaut de ce merveilleux endroit. Au fond du fossé d’en face court en revanche un ruisseau marronnâtre à peu près potable, et qui jamais ne tarit, pas même au cœur de l’été.
A vol d’oiseau – fichue Tourterelle bavarde comme une pie ! –, l’autre côté ne se trouve qu’à quelques mètres. S’y rendre à pieds relève pourtant de la grande aventure.
Car un problème se pose : le feu tricolore est un feu de signalisation destiné aux véhicules ; ce n’est pas un feu pour piétons. Or le feu étant vert, il est strictement interdit à ces derniers de traverser la route, sous peine de se faire écrabouiller. Et qu’importe si aucun véhicule ne passe jamais, là n’est pas la question : traverser la chaussée à pieds alors que le feu tricolore est vert serait par essence une infraction, pour le Gendarme comme pour n’importe quel citoyen – képi ou pas, nul n’est au-dessus des lois.  
Il existe néanmoins un moyen de traverser la route en toute légalité.
Un moyen secret.
Secret et dangereux.
Sur le côté du poteau se trouve un bouton rouge : le « bouton piéton ».
Ce bouton recèle un immense pouvoir : celui de faire changer temporairement la couleur du feu. Quelques instants après avoir appuyé dessus, le feu passe à l’orange, puis au rouge pendant précisément trente secondes, avant de repasser au vert.
Pour les conducteurs, orange signifie : arrêt imminent.
Pour les conducteurs, rouge signifie : ARRET ABSOLU.
Mais pour les piétons, rouge signifie : la route vous appartient.
Lorsque le feu est rouge, le temps est suspendu : les véhicules s’immobilisent et les piétons traversent librement la route ; s’ils le désirent ils peuvent même s’y allonger pour prendre le soleil, partager un pique-nique ou jouer aux cartes.
Rouge signifie : le piéton est roi.
Sur la base de ces éléments, le Gendarme a élaboré un protocole en 5 étapes, dit « protocole désaltération », lui permettant d’aller boire un coup de l’autre côté en toute sécurité :
1 - Soucieux de protéger son secret, il vérifie que personne ne l’observe et presse le bouton piéton. Comme un sprinteur du 100 mètres, il se met alors en position de départ...
2 - Au revoir joli feu vert : le feu passe à l’orange. Concentré à l’extrême, le Gendarme lève son postérieur et bande ses muscles.
3 - Le feu passe au rouge (c’est l’instant T0) : l’athlète part comme une balle, traverse la chaussée en un éclair, atteint l’autre côté (T3), saute dans le petit ruisseau (T5) et, tête la première, s’abreuve tant qu’il peut.
4 - A T25, soit exactement cinq secondes avant que le feu ne repasse au vert, le Gendarme, ruisselant, ressort du fossé d’en face, traverse la route au galop (glouglouglou proteste son estomac) et regagne son poste du coté du feu.
5 - T30 : le feu est vert, vert, vert ; l’athlète rouge, rouge, rouge.
Le protocole comporte un défaut fondamental : la quantité d’eau perdue en transpiration est généralement égale à celle sirotée dans le ruisseau ; parfois le Gendarme se demande même si sa soif n’est pas plus grande après s’être désaltéré ! Bien sûr, s’il disposait d’un récipient quelconque, sa vie s’en trouverait grandement facilitée : il pourrait alors transporter l’eau et la conserver à portée de main, sans avoir à mener d’épuisantes expéditions de l’autre côté. Malheureusement son vieux képi est une véritable passoire, et il ne possède ni bouteille, ni bassine, ni même canette de bière rouillée. Laper l’eau comme un chien galeux à même le ruisseau est donc sa seule option. Et quand on a soif, c’est toujours mieux que rien.
La déshydratation n’est cependant pas la seule situation imposant de se rendre en face... L’hygiène en est une autre. En tant que représentant des forces de l’Ordre, le Gendarme se doit d’être un minimum présentable ; y compris sur le plan olfactif. Or, lorsque vient l’heure du bain, il se trouve confronté à un problème des plus complexes : comment se dévêtir, se laver, se sécher et se rhabiller en un temps record de trente secondes ? Impossible, dirait un esprit chagrin... Mais pas le hardi Gendarme ! A situation délicate, solution culottée – ou plutôt déculottée... Le « jour du bain », l’agent de circulation reproduit à l’identique le « protocole désaltération », à ceci près qu’il le fait dans le plus simple appareil. L’équation est simple : déjà tout nu = pas besoin de se déshabiller de l’autre côté = gain de temps considérable. Bien entendu, est-il besoin de le préciser, au lieu de boire l’eau du ruisseau il se vautre dedans tel un cochon. Une toilette complète demande plusieurs allers-retours, mais se sentir propre, du moins pas trop sale, en tout cas un peu moins malodorant, vaut bien ces quelques foulées.  
La « journée annuelle de lessive » suit un protocole peu ou prou identique, à ceci près que le Gendarme multiplie les allers et venues jusqu’à séchage complet du linge.

Ces conditions de vie, certes loin d’être idéales, satisfont pourtant l’officier ; aussi frustes soient-elles, elles lui permettent de rester auprès de son feu adoré. Tant pis pour l’eau courante !
Dans ce combat quotidien, une crainte toutefois le taraude : si par malheur le feu venait à repasser au vert alors qu’il s’affaire de l’autre côté, le Gendarme se retrouverait coincé en face, pour l’éternité. Et un malheur n’arrivant jamais seul, cela surviendrait probablement à l’occasion de sa toilette mensuelle. Ainsi s’imagine-t-il, dans ses rêves les plus noirs, tout nu et grelottant dans le ruisseau marronâtre, condamné à contempler son soleil vert depuis l’autre côté du monde, sans ne plus jamais, jamais, avoir la possibilité de sentir à nouveau sa douce lumière sur son visage... Un sort pire que la mort.

***

Un chien galeux a repéré le feu.
Ou plus précisément : le splendide poteau en aluminium qui lui sert de support. Le seul poteau à des kilomètres à la ronde... L’occasion de lever la patte est trop belle !
Prudent, le bâtard famélique se rapproche de sa cible en effectuant des cercles de plus en plus serrés, flaire longuement les environs...  Mais il ne détecte pas le Gendarme, tapi dans le fossé, et dont l’odeur corporelle est masquée par celle des plantes aromatiques.
Se croyant seul, le brave toutou remue la queue à l’idée de perpétuer l’ancestrale tradition de son espèce. La truffe frétillante, il renifle une dernière fois le poteau et avec joie commence à soulager sa vessie.  
Le gros caillou qui s’abat sur son crâne ne lui occasionne qu’une douleur brève, avant la tombée définitive du rideau.  

Avec sa manche, le Gendarme éponge le sang et l’urine maculant le poteau. Puis il traîne le chien crevé dans le fossé et se frotte les mains : à table !

***

La route file d’un horizon à l’autre. Deux points de fuite opposés et vertigineux, qui angoissent terriblement le petit homme planté au milieu. Toute cette ouverture, cette incertitude, lui donnent le tournis. Lui, ce qu’il préfère, bien sûr, c’est regarder son feu. Son feu, il le connaît bien. Il sait comment il fonctionne, il ne risque pas d’avoir de mauvaise surprise.    
         Les mauvaises surprises surgissent toujours de l’horizon – celui-ci, ou celui-là.
         Immanquablement, cette fichue Tourterelle bavarde comme une pie arrive à tire d’ailes de l’horizon derrière le feu.
         Immanquablement, ce satané Voleur de bâton dans sa machine infernale débarque de l’horizon face au feu.
La Terre étant sphérique, le Gendarme en a déduit que le Voleur effectuait le tour du monde entre deux passages ; chaque passage étant séparé d’environ 80 jours, le Gendarme en a conclu que le tour du monde se faisait en 80 jours... Ce qui lui laisse un temps appréciable pour fomenter un plan entre chaque apparition de l’Ennemi.

Par le passé, de nombreuses tentatives d’interception du Voleur ont lamentablement échoué...
Balancer un gros caillou sur le pare-brise de la machine infernale ? Une catastrophe : le pare-brise étant blindé, le caillou a ricoché dessus et est revenu droit dans les dents du Gendarme.
Faire passer le feu au rouge pour obliger le Voleur à s’arrêter ? Un camouflet ! Ce chauffard sans foi ni loi n’à que faire du code de la route ; ce jour-là, si le Gendarme, agitant ses bras au milieu de la chaussée, n’avait pas plongé sur le bas-côté, il se serait fait écrabouiller comme un malheureux hérisson.
Mouiller la route en allant puiser de l’eau dans le ruisseau d’en face, dans l’espoir de faire déraper le Voleur ? Inutile, le bougre utilise des pneus pluie !  
Grimper en haut du feu tricolore et jeter des cerises mûres pour aveugler l’Ennemi ? Trop périlleux : déséquilibré par le mouvement de lancer, le Gendarme est tombé de son perchoir, en plein sur le toit de la machine infernale, sur lequel il est resté plaqué durant une centaine de mètres, avant de parvenir à s’en libérer au péril de sa vie, en sautant courageusement – ou plutôt en s’écorchant méchamment – sur le bord de la route ; il s’agit de l’unique fois où l’agent s’est autant éloigné de son feu, et cette séparation l’a passablement traumatisé. Il ne reviendra plus, le temps des cerises !        
Se travestir en femme et se faire passer pour une autostoppeuse ? Vain, également : ce malotru de Voleur ne s’est pas même arrêté pour s’enquérir de sa destination !
Le plus frustrant dans ce duel sans fin, c’est l’irritante manie qu’a le Voleur de klaxonner à chaque passage. « Bip bip ! » fanfaronne son véhicule infernal en filant crânement sous le feu. Ce « bip bip !», le Gendarme s’est juré de le faire taire définitivement ! Et puisqu’à ce jour aucune de ses approches n’a marché, il lui faut désormais tenter une tactique inédite...

         Ces dernières semaines, les chiens galeux ont afflué comme des moustiques attirés par la lumière. Le feu est un vrai aimant à gibier, le Gendarme s’en est mis plein la panse ! Toutefois, les carcasses commencent à s’accumuler et à sentir la charogne. Comment s’en débarrasser ? Il pourrait les jeter dans le ruisseau d’en face, mais le risque de contaminer la seule source d’eau potable environnante est trop grand. De plus, l’empilement des cadavres pourrait accidentellement jouer un rôle de barrage et assécher le ruisseau... Nom d’un képi troué ! Un barrage, la voilà la solution ! Le Gendarme tient là l’occasion inespérée de faire d’une pierre deux coups...
Patiemment il récolte roseaux, rameaux d’oliviers, branches de cerisier, aiguilles et pommes de pins, os de mammifères, puis les ficelle fermement à l’aide des boyaux des chiens crevés... Après avoir pris soin de presser le bouton piéton, il traîne ensuite les carcasses des canidés au milieu de la route et les entasse comme des sacs de sable : ils constitueront la base de son barrage. Il doit bien y avoir une vingtaine de cadavres à charrier, ce qui implique un usage intensif du bouton piéton, le feu rouge ne durant que trente secondes – pourvu que le feu vert ne soit pas jaloux.
Sur cette couche en décomposition, notre bricoleur plante alors les bâtons préalablement ficelés. Et voilà comment on obtient une herse géante, hérissée de pieux, sur laquelle le Voleur dans sa machine infernale viendra s’empaler s’il a de nouveau l’outrecuidance de ne pas marquer l’arrêt au feu rouge ! Détail d’importance : cette fois-ci, le Gendarme a bien pris soin de couvrir la route ET le bas-côté – le Voleur ne pourra donc pas s’en sortir avec son pitoyable numéro de cascadeur du dimanche. Fier de son œuvre, l’officier la baptise « le barrage hérisson ». Et il guette...

De fines vibrations dans le sol.
Une colonne de fumée à l’horizon.
La rumeur lointaine d’un engin à moteur...
Véhicule en approche ! Serait-ce enfin un honnête conducteur, respectueux du
code de la route ?
Non, c’est le Voleur de Bâton dans sa machine infernale !
Combatif, le Gendarme appuie sur le bouton piéton et grimpe sur le “barrage hérisson”
– en faisant attention de ne pas lui-même s’y empaler suite à un pas malheureux.
Comme prévu, le chauffard roule à tombeau ouvert et clink-clonk-clunk fait un boucan d’Enfer.
« Le feu est rouge ! crie le Gendarme du haut du barrage, en agitant les bras. Et rouge signifie : le piéton est roi ! »
Comme prévu, la sombre automobile maintient sa folle allure sans se soucier de la couleur du feu.
« Rouge signifie : arrêt absolu ! continue le Gendarme. Rouge signifie : rendez-moi mon bâton, gredin ! »
La vitesse du coupé sport défie l’imagination. Le Voleur a dû écraser le champignon comme jamais ! Après un rapide calcul mental, l’agent évalue que le véhicule a dépassé « le point de non retour » : désormais même s’il pile, il viendra s’empaler sur le « barrage hérisson » !
Pour ne pas faire partie du carambolage – le choc va être insoutenable – le Gendarme regagne son poste auprès du feu. L’impact est imminent ! Il se délecte à l’avance du désastre. « Mon bâton, chantonne-t-il, fou de joie, mon bât... »
Du capot de la machine infernale jaillit soudain une colossale gerbe de flammes. Saisi comme un steak, le Gendarme sent la langue incandescente venir lécher son visage et par réflexe de conservation se jette en arrière... se cognant au passage (BONK !) contre le poteau de son feu tricolore. « Bip bip ! » entend-il vaguement, avant de perdre connaissance.
C’est une quinte de toux qui le réveille, plusieurs heures plus tard. Il baigne dans un épais nuage à l’odeur de brûlé, masquant le paysage alentour... Encore hagard, il se palpe le visage ; ses brûlures ne sont que superficielles, mais ses sourcils ont disparu – ils mettront plusieurs semaines à repousser, à sa grande honte. Son bel uniforme et son képi sont noirs de suie, comme s’il sortait d’une mine de charbon, ce qui promet d’innombrables lessives dans le ruisseau d’en face !
Péniblement il se relève et s’approche de la route. Son splendide « barrage hérisson » n’est plus qu’un tas de cendres fumantes ! Ce satané Voleur de bâton, qui est déjà loin, a décidément plus d’un tour dans son sac.
A la recherche de réconfort, le Gendarme se retourne vers son feu... Catastrophe, celui-ci est aussi noir que son uniforme ! C’est tout juste si l’on distingue sa lueur verte derrière la couche de cendres... Quel crime odieux, quelle infamie ! Il va lui falloir des jours pour nettoyer les méfaits du Voleur...
Ce gredin ne perd rien pour attendre !

***

La loi n’interdit pas de siffler en travaillant.
Pendant qu’il astique le feu tricolore, l’agent de circulation fredonne un air de jadis, sensible et mélancolique. Le titre de la chanson et le nom du grand poète qui l’a composé lui échappent ; mais du fond de sa mémoire, quelques paroles lui reviennent :
« Partir un jour, sans retour,
Effacer notre amour,
Sans se retourner…
...partir un jour sans bagage,
Oublier ton image,
Sans se retourner... »
Alors le Gendarme regarde son feu, si magnifiquement vert, et songe à son bâton perdu ; il se demande si quelque part en ce monde il existe un autre Gendarme veillant sur un autre feu, et si celui-ci est aussi vert et aussi magnifique que le sien. Cet hypothétique collègue se trouve-t-il lui aussi confronté à ce satané Voleur de bâton ? Est-il pareillement harcelé par une Tourterelle bavarde comme une pie ? Et enfin, aime-t-il son travail autant que lui-même ? Bien sûr, le feu ne répond pas clairement. II se contente de briller dans la nuit, comme il l’a toujours fait, immuablement vert, envers et contre tout – ce qui, en soi, est peut-être une forme de réponse.
Le cœur au repos, l’agent continue sa corvée de nettoyage en fredonnant.  

***

Outre le Voleur de bâton dans sa machine infernale, le Gendarme possède deux autres ennemis jurés : cette fichue Tourterelle bavarde comme une pie, et la constipation. Contre cette dernière, il sait qu’il ne peut lutter – il est des combats que même un homme de bien ne peut remporter. Sa détermination à terrasser la Tourterelle est en revanche totale.
Comment se débarrasser une bonne fois pour toute de ce délinquant à plumes ? Là est la question.
D’ordinaire, les oiseaux de son espèce affectionnent les poteaux électriques. Mais cette tourterelle semble préférer les feux tricolores. Et plus précisément son feu à lui. Or ce n’est pas juste : le Gendarme l’a trouvé en premier ! Ce stupide volatile n’a qu’à s’en dégoter un autre – même s’il ne sera certainement pas aussi beau que le sien. Cependant, comment raisonner une tourterelle ? Très loin de ces considérations, le piaf persiste à venir se poser sur son feu et, se croyant à la maison, roucoule, roucoule, roucoule, comme un réveil-matin. De quoi gâcher la sérénité de l’endroit !
Au tout début, l’intrus était facile à chasser : un claquement de mains ou un bon coup de sifflet suffisaient à le faire déguerpir – non sans avoir souillé le feu dans sa fuite. Mais avec le temps, le coquin s’est adapté à son milieu... Face aux gesticulations pourtant spectaculaires du Gendarme il demeure désormais de marbre, et pire, semble prendre goût à ses coups de sifflet, auxquels il répond par des roucoulements amusés. C’est bien simple : à moins de monter le déloger manu militari ou de lui cracher une olive en pleine poire, il ne bouge pas d’un poil – enfin, d’une plume... – et le toise crânement. Comme si le Gendarme n’était pas suffisamment épuisé par sa mission de base !  
En dépit de son agacement, ce dernier se refuse néanmoins à opter pour une solution radicale, tel qu’une pierre affûtée entre les deux yeux, à la David contre Goliath. Pourquoi ? Pour ne pas blesser le feu, pardi ! Avec sa myopie galopante, l’officier risquerait de louper la Tourterelle et de casser sa belle ampoule verte ! Ce serait encore pire que de se retrouver coincé de l’autre côté... Tout bien pesé, les olives ramassées dans le champ voisin offrent le meilleur rapport bénéfices/risques ; les armes de destruction massive, ça n’a jamais été son truc.
Quoiqu’efficace, cette méthode ne fait que repousser le problème à plus tard... Car la Tourterelle revient toujours. Et roucoule, roucoule, roucoule...

Sous le képi troué les neurones s’activent. Une solution aussi simple que géniale vient à l’esprit du Gendarme... Puisque toutes les manœuvres dissuasives ont échoué, il va capturer l’oiseau de malheur... Hop, en garde à vue ! Et à défaut de filet, il va une nouvelle fois devoir œuvrer avec les moyens du bord...  
Pendant des jours, il s’entraîne. Afin d’affiner son temps de réaction, il imite le roucoulement de la Tourterelle et se conditionne à y réagir de manière réflexe. Un poignet souple, un geste rapide et sûr... Pas le droit à l’erreur, il n’aura qu’une seule chance ! Aussi doit-il être en mesure d’atteindre sa cible de dos et les yeux fermés...
Au bout d’un moment, sa technique est au point : au moindre stimulus il dégaine à la vitesse de l’éclair et met dans le mille neuf fois sur dix. Le geste lui est devenu aussi naturel que de coller une contravention ! Le voilà prêt à attraper la bête...
Le jour de la confrontation arrive.
Comme à son habitude, l’intrus atterrit en silence sur son perchoir... Mais comme à son habitude, il ne peut s’empêcher de roucouler ostensiblement ! La réaction de l’agent est instantanée : il saisit son képi par la visière et le lance comme un cerceau en direction du sommet du feu tricolore... Tout en tournant sur lui-même, le projectile suit une trajectoire en cloche pour retomber droit sur la Tourterelle, qui n’a rien vu venir. L’oiseau, affolé, tente bien sûr de s’échapper aussitôt... Mais c’est alors que le piège du Gendarme révèle toute sa beauté : dans la panique l’animal se prend la tête et les ailes dans les trous du képi et se retrouve tout bonnement incapable de s’envoler ! Désespérément son petit cou se tord à la recherche d’une échappatoire tandis que son bec piaille, piaille, piaille... Ahah, on ne roucoule plus ! A force de se débattre, la Tourterelle camisolée finit par tomber du feu mais, ralentie dans sa chute par la visière du képi, elle heurte le sol en douceur.   
Il ne reste plus au Gendarme qu’à lui asséner le coup de grâce à l’aide d’un gros caillou ! Du moins est-ce son plan... Car en voyant ce pathétique oiseau empêtré dans le couvre-chef de la Justice, le brave officier est pris de remords... Toujours par deux vont les tourterelles, dit l’adage populaire. Or celle-ci s’est toujours montrée seule. Une tourterelle sans tourtereau. Ou plutôt l’inverse... Lors de ses ascensions, le Gendarme n’a en effet jamais trouvé d’œuf au sommet du feu – ce qui est fort dommage car cela aurait nettement amélioré sa ration quotidienne. Il en a logiquement déduit que la Tourterelle était un mâle... Un mâle seul perdu sur cette route sans fin qui dans le feu tricolore, a trouvé un phare, un refuge, une planche de salut... Un ami. Et en ce monde, qui mieux que le Gendarme pourrait comprendre ce volatile solitaire ? Un Gendarme sans Gendarmette, qui plus est... Il jette la pierre dans le champ d’oliviers. La peine de mort, très peu pour lui.  
Mais pendant que l’agent était accaparé par son débat intérieur, l’oiseau a continué de se débattre. Bien que désordonnés, ses mouvements frénétiques ont élargi les trous du képi, assez pour que ses ailes parviennent à se déployer. La manœuvre est maladroite, mais suffisante pour amorcer un décollage...  
Et comme dans un mauvais rêve, le Gendarme voit son képi s’élever du sol, tournoyer au-dessus du feu, et disparaître à tire d’ailes vers l’horizon.  


***

Ses paupières sont closes ; ses oreilles sourdes à la rumeur du monde – cette jungle hostile où tout n’est qu’agression, traîtrise, humiliation.
Le contact du métal froid contre sa joue le rassure, tout comme la présence bienveillante de la lumière verte, quelque part au-dessus de sa tête.
Depuis le vol (l’envol ?) de son képi, le Gendarme, transi de honte, ne décolle pas du feu tricolore. Il le serre de toutes ses forces, comme un garçonnet cramponné à la jambe de sa mère ; comme une tique affamée, suçant la vie là où elle peut. Il a l’étrange sentiment que s’il venait à relâcher son étreinte, il se diluerait dans l’horizon...
C’est l’histoire d’un agent de la circulation incapable de faire respecter le code de la route...
C’est l’histoire d’un poulet terrassé par une tourterelle...
Il a beau tenter de faire le vide, des questions le tourmentent : sans bâton ni képi, est-il toujours un gendarme ? Est-il toujours un homme ? Est-il toujours digne de vivre ? Et plus précisément de vivre auprès de ce splendide feu tricolore ?
Combien de fois ce dernier lui a sauvé la mise, le Gendarme ne saurait le dire... Une chose est sûre : sans cette lueur aux couleurs de l’espoir, il serait depuis longtemps mort, fou ou dépressif. Quand le Mistral s’infiltre sous son uniforme et le glace jusqu’à l’âme ; quand trempé comme une soupe et bouillant de fièvre il claque des dents et bâtit des châteaux en Espagne ; quand, n’ayant plus ni blatte, ni rat, ni chien galeux à se mettre sous la dent, il se tord de faim et pense ses derniers instants arrivés ; quand, crevant de solitude et de désespoir, il gémit en silence ; quand, enfin, tout à la peine causée par son bâton perdu – et maintenant de son képi – il envisage de se pendre au poteau avec sa ceinture... aux heures les plus noires de sa vie, donc, le Gendarme n’a qu’à poser les yeux sur l’Œil Vert lumineux, irradiant d’amour, de bonté et de chaleur, pour soudain se souvenir que la vie vaut la peine d’être vécue.
Curieusement, il ne se rappelle plus de leur première rencontre... Quand son tour de garde a-t-il débuté ? Des mois, des années auparavant ? A-t-il jamais été affecté à un autre poste ? C’est comme s’il avait toujours été là, sur cette route sans fin, à veiller sur ce feu magnifique, perpétuellement vert – enfin presque... Peut-être est-ce là la raison profonde de sa présence sur cette Terre... Peut-être...
Mais le Gendarme n’a pas l’occasion de poursuivre son introspection.
Car il perçoit de fines vibrations dans le sol...
Tandis qu’une colonne de fumée s’élève à l’horizon et que gronde la rumeur lointaine d’un engin à moteur...
Véhicule en approche ! Serait-ce enfin un honnête conducteur, respectueux du
code de la route ?
Non, c’est le Voleur de Bâton dans sa machine infernale !

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