Texte sélectionné pour le recueil "Sales bêtes ! Animaux étranges et délires zoomorphiques" aux Editions des Artistes Fous.
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jeudi 28 février 2013
vendredi 15 février 2013
Elegantville [Diane]
«
Je possède un joyau et
cherche quelqu'un qui sache le regarder ».
Hâfez
de Chiraz, Le Divân, Ghazal 373
***
SAM
& AYMI
Aymi termina de se brosser les dents, puis alla dans sa
chambre où Sam, son père, l’attendait pour lui raconter une histoire. Déjà en
pyjama, elle se jeta dans son lit et il rabattit les couvertures sur elle, puis
l’embrassa sur le front, précisément sur sa cicatrice. Il s’assit
tranquillement sur le rebord et vit que sa main gauche tremblait alors qu’il
caressait les cheveux bruns de son enfant, repoussant cette mèche qui le jour,
cachait la marque disgracieuse.
- Ma chérie, est-ce que tu sais ce que c’est qu’un
secret ?
Elle secoua négativement la tête,
tirant le drap et les couvertures qui cachaient un sourire désincarné et espiègle.
Son père lui avait promis de lui raconter cette histoire de l’enfant aux
cheveux d’or, tirée de ce livre qu’il avait acheté un jour sur internet et qui
avait mis un mois à arriver. Mais cette histoire il l’avait lue, interprétée et
racontée pour sa fille des centaines de fois. Toujours après l’avoir
religieusement écoutée de la bouche de son père, Aymi s’endormait profondément.
A son réveil, elle n’avait gardé aucune trace, aucun souvenir. Elle était donc
impatiente de l’entendre comme chaque soir, au chaud dans son lit, frottant ses
pieds l’un contre l’autre. Comme si c’était la première fois qu’elle
l’écoutait, cette histoire éternellement inédite que son père ne se lassait
jamais de lui lire encore et encore. Depuis maintenant six longues années que
ce rituel s’était installé entre eux, et que Sam portait quotidiennement sa
fille comme un immense rocher au sommet d’une pente montante.
Ce soir-là, pourtant, la fatigue lui donnait
l’envie de pleurer sur lui-même sans que les larmes ne coulent. Comme si les
émotions s’entremêlaient à un carrefour qui rendait toute parole, toute
expression de ce profond chagrin, impossible. Sam se sentait désespéré, car le
trouble visible dans les yeux de sa fille pesait douloureusement sur son
sentiment de culpabilité. Qu’elle soit perçue comme une arriérée par les autres
était une chose avec laquelle il avait appris à composer, mais de savoir
qu’elle ne serait jamais capable d’être autonome, et de devenir la personne
qu’elle était supposée devenir l’enfonçait dans une terrible angoisse et une
profonde culpabilité. Qu’allait-elle devenir s’il mourrait dans peu de
temps ? Dans un an, dix jours, ou demain-même ? Allait-être être
envoyée dans un hôpital psychiatrique avec des inconnus et des individus potentiellement
dangereux ? Allait-elle mourir seule dans un institut médicalisé sans
personne pour l’accompagner ? Ce désespoir était particulièrement intense en
lui ce soir-là et il se sentait si faible à l’intérieur, si écrasé qu’il a
pensé, une énième fois, prendre son revolver dans sa chambre, abattre son
enfant d’une balle dans la tête, ainsi que lui-même pour en terminer une bonne
fois pour toutes. Mais comme à chaque fois qu’il était dans cet état, il se
rendait compte de l’incroyable nectar de douceur que dégageait cette détresse
intérieure. Sam se souvenait toujours des paroles de sa mère, à propos de la
tristesse. Elle lui avait appris qu’il fallait laisser la lame aiguisée du
désespoir couper un morceau du cœur davantage, au risque que celui-ci s’arrête
pour de bon sous le coup de la blessure, devenue trop profonde. La tentation,
plus que jamais, était grande d’emmener sa fille dans la grange, là où son
secret, qu’il voulait absolument partager avec d’autres sans le pouvoir, se
trouvait au chaud, et à l’abri de regards potentiellement malveillants.
Ce soir-là, tournant en rond dans sa
chambre, regardant la pleine lune par la fenêtre en buvant une bière, il prit
sa décision. L’arme était dans la commode, rangée dans son étui, cachée sous
ses chemises de travail et ses sous-vêtements. Il attendit qu’Aymi s’endorme. Pour
la transporter jusqu’à la grange en pleine nuit, c’était plus pratique, elle
n’aimait pas les imprévus, elle aurait été effrayée d’être réveillée en pleine
nuit. Dehors le ciel nocturne était très clair. Comme la Lune, les étoiles
étaient toutes là, visibles, nombreuses, rassurantes. Elles semblaient observer
ce père qui ne dormait pas, avec sa fille dans ses bras, tranquillement
endormie, innocente et inconsciente du sort qui l’attendait. Sam fût surpris
par ce parfum qui annonçait, à coup sûr, les premières neiges de l’année. Les
yeux d’Aymi riboulaient sous ses paupières, elle rêvait. L’épaule de son père
comme oreiller et son odeur familière et rassurante comme couverture.
jeudi 14 février 2013
Homo Homini Lupus [Nosfé]
Homo Homini Lupus.
Plaute (Asinaria, II, 4, 88)
Plaute (Asinaria, II, 4, 88)
Dans son esprit d'enfant, c'était une « grande », mais elle ne devait pas avoir plus de 12 ou 13 ans. Son corps nu, à peine formé, recroquevillé sous les branches basses d'un sapin. Elle grelottait, tant de peur que de froid.
Une fine couche de neige uniformisait la forêt de blanc, faisant ressortir les traces de lutte et toute une constellation de taches vermeilles parcourant le lieu. La fille relevait la tête vers eux, ses cheveux en bataille découvrant un regard fou, aux bornes de la frayeur et de la rage. Du sang barbouillait son visage.
« Bon sang, c'est rien qu'une gamine. Grégoire... »
« C'est une louve. » grogna Grégoire pour toute réponse.
Alors, tels deux colosses de son point de vue d'enfant, pris dans un fracas de ferrailles et de grincements de cuir, les deux hommes s'affrontèrent, se firent face, chacun retenant le bras de l'autre, retenant l'arme de l'autre. Ils parlèrent, soufflant et grognant leur arguments plus qu'autre chose. Lui n'en saisissait que des brides, ses yeux et son esprit ne parvenant pas à se défaire de la jeune fille. De ce corps nu et rose, pudiquement replié sur lui-même, de ces yeux bleus qui allaient et venaient, de lui aux hommes se battant, de ce sang qui maculait, qui souillait l'innocence de ce lieu, de cet être.
Derrière lui, Maître Jean fit par repousser son adversaire et conclure la dispute:
« D'accord, mais pas devant le gamin. »
Alors, grandissant à ses yeux, Maître Jean s'approcha et, lui saisissant le bras dans un claquement de cape, lui souffla un « Viens » et le détourna du sapin, du sang et de la fille.
Dans leur dos, un sanglot, un cliquetis métallique se mêlant à un grincement de sangle et de bois sec, et le claquement froid de l'arbalète de Grégoire.
mardi 5 février 2013
La condition inhumaine [Maniak]
Texte sélectionné pour le recueil "Sales bêtes ! Animaux étranges et délires zoomorphiques" aux Editions des Artistes Fous.
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