1.
Il suffira d'un cygne...
Boire mon petit café du matin avec ça devant les yeux n'était certainement pas le truc le plus fun qui me soit arrivé.
A côté de moi, Jules non plus n'en menait pas large; son gobelet plastique était encore plein, et le jus de chaussette qu'il contenait devait avoir bien tiédi...
Revenant accompagné d'un adjoint au maire qu'on avait, à en voir ses cernes, cheveux et vêtements en bataille, vraisemblablement tiré du lit, le gardien avait retrouvé quelques couleurs. Le vieil homme avait déjà dû en voir des vertes et des pas mûres, mais je ne doutais pas un instant du choc que ça pouvait être pour lui. Après les salutations d'usage, et comme d'un commun accord, nous nous tournâmes tous les quatre, silencieux, le nez dans le grillage, à contempler le charnier.
Éventrés, découpés en morceaux épars et dépecés, baignant dans un mélange de boue et de sang ou flottant dans les eaux rougies de leur petite mare, la demi-douzaine de cygnes du parc municipal étaient là, face à nous, en pièces détachées.
L'adjoint au maire, fidèle à son rôle de politicard, sortit une banalité.
- Quel genre de malade peut bien faire une chose pareille ?
J'avais bien envie de lui sortir une petite vanne, mais j'avais eu des remontrances peu de temps avant, m'indiquant qu'il fallait que je fasse pédale douce sur les sarcasmes. Je me tus donc.
Le vieux gardien avait la lèvre qui tremblait sous sa moustache grisonnante et les yeux bien humides. Il murmura quelques mots, Jules lui demanda pardon, et il répéta, plus fort :
- Je crois qu'il en manque un.