« Aïe ! »
Une perle de sang apparut sur
l'index de sa main gauche.
« Tu savais qu'on pouvait se
couper avec un épluche-légume ?
- Quelle idée aussi de vouloir
peler des tomates !
- Tu as vu la taille des tomates
? Je ne crois pas que la peau fonde à la cuisson...
- C'est ton cerveau qui est
fondu ! »
Paul prit le ton de Bourriquet
l'âne dépressif et maugréa :
« Merci d'avoir remarqué ! »
Il contempla l’épluche-légume,
d’une taille bien supérieure à la norme, la lame branlante mais redoutablement
affutée. Un ustensile d’un cachet certain, tout comme cette cuisine, tout comme
cette maison de vacances que des amis leur avaient confiée.
Des vacances salvatrices après
une période difficile.
Après une série de projets
personnels non concrétisés, Paul avait déniché un job d’intervalliste sur la
série animée « Winnie l’ourson ». Au bout d’un mois, il se rongeait la peau
jusqu’au sang entre le pouce et l’index, penché sur sa table lumineuse
pivotante. Le troisième mois, il introduisait son petit doigt dans le
taille-crayon électrique collectif. Une manière comme une autre de jeter
l’éponge… et de gagner un billet d’entrée pour un séjour en hôpital
psychiatrique.
Le défilé permanent de zombis
médicamentés dans les couloirs blafards, la chambre exiguë aux barreaux à la
fenêtre dans laquelle le temps se dilatait… quant aux repas, un patient avait
surpris le « cuisinier » en train d’uriner dans une boîte de conserve géante.
Une certaine idée de l’Enfer. Ce qui ne l’avait pas empêché de rechuter
quelques mois plus tard après sa sortie.
La voix de sa femme l’extirpa de
ses pensées :
«
Alors, ces tomates ? »