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mardi 8 septembre 2015

Les funérailles du Père [Southeast Jones]

À Henri (21 avril 1936—20 avril 2011)


 

     Ces fleurs, toutes ces fleurs, et les rubans avec des mots, des mots que je ne distingue qu’à grand peine, que de toute façon, je n’ai pas envie de lire. Toute la famille est là, et puis les amis, et les amis des amis. Leur mine est défaite, triste, de circonstance.
     Les yeux sont rouges d’avoir déjà trop pleuré, mais on sent que les sanglots se retiennent comme aux bords des lèvres, comme à fleur de cœur, prêts à revenir au plus petit souvenir, des souvenirs encore vifs ; « imaginez, il y a une semaine à peine ! ».
L’ambiance est lourde de chagrin et de regrets. D’incompréhension aussi.
     Ils ne parlent pas, ils murmurent, comme s’ils avaient peur de déranger, peur de réveiller ce corps qui semble dormir dans son étrange lit de bois laqué noir. Je voudrais leur demander, les supplier d’arrêter, leur faire comprendre que cela m’est insupportable, quand bien même prêteraient-ils attention à mes paroles, ils ne pourraient s’en empêcher.
Ils disent du bien.
     Car c’est une tradition, on ne dit jamais de mal d’un disparu. Eût-il été la pire des ordures, la Mort semble l’avoir lavé de toutes ses fautes. Tel n’est pas le cas ici ; cet homme n’était ni pire, ni meilleur que le commun des mortels. Mais la chose qui est dans ce cercueil n’est plus un homme que dans l’esprit des personnes qui le pleurent. En vérité, c’est une coquille vide, un véhicule abandonné en bord de route. Ce qui repose ici n’est qu’un cadavre ; tout ce qui a été lui n’a plus d’importance que pour ceux qui restent.
     Le prêtre vient d’arriver. Pourquoi est-il là, et surtout pour qui ? Il ne parlait jamais de ces choses ou alors rarement; mais sait-on jamais, une absoute, au cas où, ça ne peut pas faire de mal. Tête baissée, les yeux mi-clos, chacun psalmodie, tous unis par le fervent désir que ces boniments ne soient pas qu’un ramassis de conneries, parce qu’à ce moment précis, ils ont vraiment envie d’y croire ; ils s’imaginent, là, dans cette caisse de bois.
Et ils ont peur.
     Alors, même les plus sceptiques prient pour son âme, si elle existe. Ils prient aussi pour eux, pour le voisin qui écoute peut-être, ou par réflexe, comme ce copain Algérien et musulman qui, après une bruyante crise de nerfs,  pleure maintenant en silence. Peut-être est-ce sa façon à lui de faire montre de respect à celui qui fut son compagnon de beuverie à défaut d’être vraiment son ami. D’une certaine manière, ses larmes sont aussi une supplique.
     D’une voix laconique, l’homme du Culte débite un bref historique des faits marquants qui ont jalonné la vie du défunt, cependant que passe en boucle une unique chanson : « Sixteen tons » ; leur toute première danse.
     Surtout ne pas penser ; oublier le feu, mon Dieu, ce feu qui va le dévorer !
Et Tennessee Ernie Ford qui reprend de plus belle sa litanie hypnotique : « Some…people say a man is made outta mud, a poor man’s made outta muscle and blood, muscle and blood and skin and blood ; a mind that’s a weak and a back that’s strong. »
     Personne n’a voulu assister à la crémation ; trop dur, trop terrible, un peu comme s’il devait mourir une deuxième fois. La salle se vide, la veuve et les enfants, les amis, et les amis des amis, tous s’en vont. Certains ont soif, d’autres envie de fumer, de toute façon, il faut attendre. 
L’Épouse, la Mère, reste digne et ses yeux sont secs ; elle ne sait pas pleurer.  La souffrance n’en est sans doute que plus horrible. Je la connais bien ; je sais qu’à l’intérieur de ce corps frêle et fatigué se déroule une effroyable tempête, un maelström de désespoir infini.
Son corps hurle en silence.
     Je ne parviens toujours pas à y croire. Rien de tout ceci n’est vrai, c’est un mauvais rêve et je vais me réveiller. Puis, ma sœur et mes deux frères s’approchent et me prennent dans leur bras, nos têtes se touchent et nos larmes se mêlent ; nos mains se serrent fort, si fort que cela fait mal, mais la douleur n’est rien, « nous sommes là » me disent-ils, «nous sommes là ».
     C’est fini ; on a jeté les cendres au vent et le fin crachin qui tombe depuis presque une heure a rabattu la fine poussière vers le sol boueux. La Famille s’en retourne vers une maison qui désormais semble vide. Nous allons parler, pleurer encore, boire peut-être, pour oublier un peu de notre chagrin.
     Plus tard, nous pleurerons encore, parfois même sourirons-nous, à moins que nous ne riions aux éclats à l’évocation d’une anecdote cocasse ou d’une blague qu’il aimait raconter. Demain et les autres jours, et ceux, nombreux, qui suivront seront pénibles, mais le temps passera, adoucira l’absence sans jamais l’effacer.
Il n’est plus là, il ne sera plus là, jamais !

           



lundi 11 août 2014

Denis Noodle et le sexe [Southeast Jones]

I


- Je ne doute pas que votre addiction soit un handicap dans votre vie de tous les jours, mais en admettant que cela soit possible, la solution que vous proposez ne risque-t-elle pas d’aggraver les choses ?  

- Vous êtes l’un des chirurgiens les plus compétents qui soient, l’un des plus chers aussi, vous vous targuez de pouvoir réussir n’importe quelle opération, ne vous préoccupez pas des conséquences, j’ai déjà songé à ma reconversion. Je n’ai qu’une question à vous poser : pouvez-vous le faire ?
- Il me faudra du temps pour trouver le matériel compatible, je devrais faire des simulations, mais la redirection des stimuli aux bonnes terminaisons nerveuses ne devrait pas poser de problème majeur. Je m’inquiète plutôt pour l’impact psychologique qu’auront sur vous ces changements pour le moins peu orthodoxes. Dans un certain sens, on peut parler de transhumanisme, vous…
- Oui ou non ?
- Bien sûr que oui.
- Combien de temps ? 
- Donnez-moi six mois, je vous recontacterai.


***


          Denis Noodle serra la main du docteur et un large sourire aux lèvres, décida de se promener un peu avant de rentrer au Noodle Building. Chemin faisant, il agressa une petite vieille, la viola par devant, par derrière et à peine assouvi se jeta littéralement sur un passant qui n’en demandait pas tant, le cher homme refoulait son homosexualité depuis plus de trente ans. Il leur laissa sa carte, ainsi que le numéro de téléphone de son avocat, les assurant que quelle que soit la somme réclamée en compensation, elle leur serait versée sans discussions.
         La police fut appelée à la rescousse par des badauds, mais ils savaient déjà à qui ils avaient à faire, qui d’autre que Denis Noodle serait assez fou pour violer quelqu’un au beau milieu de la rue ? Bien sûr, ils prirent leur temps, Monsieur Noodle avait une sainte horreur d’être interrompu dans ses ébats. L’un des agents arborait un splendide coquard, un autre se massait une épaule visiblement luxée. La bagarre au commissariat avait été rude, on comptait une demi-douzaine de blessés dont certains seraient en incapacité de travail pour plusieurs mois. Les apparitions de Noodle occasionnaient toujours de graves échauffourées, dans ses bons jours, le cher homme savait se montrer très généreux.  Les heureux vainqueurs se frottaient mentalement les mains, imaginant déjà le chèque à quatre zéros qu’ils ramèneraient ce soir à la maison.. Comme il se doit, un délégué syndical les accompagnait. Ce serait lui qui aurait les deux plus gros chèques, le premier à son nom et l’autre pour les orphelins de la police.
          En bon et honnête citoyen, cigarette au bec, Noodle les attendait calmement appuyé contre  le capot de sa berline. Il signa les chèques avec le sourire, plaisanta un peu avec le délégué syndical puis monta dans sa voiture, ce petit exercice lui avait donné faim.
Il dîna sobrement d’une salade César et d’une bouteille de Chardonnay californien. Il ne put s’empêcher de peloter la serveuse et se sentant de nouveau très excité, lui proposa un pourboire de cinq mille dollars pour qu’elle accepte de se coucher sur la table. Il fut très étonné, presque choqué, de la voir refuser, mais une dame obèse assise à une autre table lui proposa une fellation pour la moitié de la somme. Haussant les épaules, Noodle tomba le pantalon et introduisit son membre, qu’il avait énorme, dans la bouche gourmande de l’heureuse élue. Pendant qu’elle s’affairait, il but un excellent cognac et alluma un somptueux et coûteux Montecristo. Comme il éjaculait, il réussit un splendide rond de fumée.
Denis Noodle était un homme d’une exquise politesse, il la remercia et rédigea le chèque promis en lui offrant son plus beau sourire.
          Alors qu’il rentrait, son dogue allemand vint lui faire la fête, il n’en fallut pas plus pour réveiller sa flamme. Une fois de plus, Noodle regretta de ne pas avoir choisi une femelle, il allait certainement encore se faire très mal, mais comment résister à ces fesses poilues et rebondies ? Peut-être qu’en utilisant de la vaseline ?
Il était près de dix-sept heures, il téléphona à son agence d’escorts habituelle et demanda qu’on lui envoie une dizaine de filles. La nuit fut belle, agitée et courte. Il s’était déjà masturbé trois fois lorsque son majordome lui apporta son petit déjeuner à sept heures.
Ainsi était la vie de Denis Noodle, sex addict et perpétuellement insatisfait.


II


       
         L’opération dura dix-huit heures, pour l’occasion le docteur Turnbull avait réuni sept chirurgiens, la crème de leur profession. Il avait peiné pour les convaincre d’accepter, on l’avait traité de fou, de nazi, quelques uns en avaient même appelé au Conseil de l’Ordre, en vain. Denis Noodle donnait sans compter pour la recherche médicale.
L’opération fut une parfaite réussite, mais le résultat était étonnant.
Noodle avait demandé à être placé en coma artificiel, tant pour éviter les douleurs post-opératoires que pour se réveiller parfaitement fonctionnel. Turnbull attendait ce jour avec impatience, il était curieux de voir la réaction de son patient.
         Le grand jour était arrivé, une meute de journalistes se trouvait devant la vitre d’une chambre de réveil spécialement aménagée pour l’occasion. Turnbull buvait du petit lait.
- C’est une première mondiale, Docteur, pouvez-vous nous expliquer en quoi elle a consisté et ce qui vous a poussé à accepté de faire cette opération ?
- Le patient ressentais une immense souffrance psychologique, imaginez que son extraordinaire constitution lui permettait d’être continuellement en érection ; il était capable d’avoir plus de trente relations sexuelles par jour sans éprouver plus de satisfaction que vous n’en n’auriez à sauter bobonne chaque jour de la même façon depuis vingt ou trente ans. C’était un violeur, courtois et honnête, je vous le concède, mais un violeur quand même. Ses victimes se comptent par centaines. Il est heureux pour lui qu’il compte encore plus d’amis chez les hommes les plus influents de ce monde. Bref, l’opération a consisté à lui greffer des pénis aux endroits qu’il m’avait indiqués. Il en a un à chaque doigt, un au dessus du coccyx, un autre sur le front, c’est celui dont je suis le plus fier. Tous sont reliés à l’hypothalamus latéral, j’ai du créer de nouvelles terminaisons nerveuses et les agencer de façon à ce que les orgasmes soient synchronisés. Il n’y aura bien sûr pas d’émissions séminales, je ne vois pas comment j’aurais pu en plus lui greffer des testicules.
A bien y réfléchir, peut-être que…
Il prit rapidement quelques notes avant de poursuivre.
- Cette opération a fait de lui un autre homme, j’en sais un peu plus aujourd’hui sur sa reconversion. Il a acheté la plupart des maisons de production pornographique de cet état, il sera à la fois producteur, scénariste et acteur, en fait, le seul de sa nouvelle maison, excepté les seconds rôles recrutés pour les films gays. 
- Il est toujours dans le coma ? demanda une jeune femme.
- Non, il est en phase de réveil, regardez, il vient de changer de position. Ses paupières bougent, je pense qu’il rêve. N’est-il pas magnifique ? Voyez comme il a l’air heureux, on dirait un enfant, il suce son pouce.


          


lundi 11 novembre 2013

Noël lointain [Southeast Jones]

I


    Vous dites que vous avez vu qui ?
    Le père Noël, sans blague, il m’a bien semblé que c’était lui.
    Dites voir, rétorqua le prévôt hilare, vous n’auriez pas un peu abusé de l’alcool de roche ? Vous savez que nous sommes à plus de six cents années lumières de notre bonne vieille Terre et qu’il y a peu de chance que le vieil homme passe faire un tour par chez nous, c’est que ça fait loin pour distribuer les jouets. Et puis dame, vous avez quoi, soixante-quinze ans ? Même les gosses ne croient plus à ce genre de fariboles !
    Moi, pour ce que j’en sais, j’ai bien vu un gros bonhomme barbu et habillé de rouge sur un traîneau. Il ne volait pas bien haut, à mon avis, il s’apprêtait à se poser.
    Et les rennes, vous avez vu les rennes ?
    Là, j’sais pas trop, j’ai bien vu des bestiaux, pour sur que ça y ressemblait, mais de là à affirmer que c’était des rennes…
    ‘Savez quoi Dumontier ? Vous devriez rentrer chez vous, vous faites une petite sieste histoire de vous requinquer et ce soir, vous réveillonnez tranquillement en famille.  Je ne vais pas me taper un rapport à… bon sang, déjà seize heures ? Je ferme boutique dans trente minutes et j’ai aussi le droit de faire bombance avec les miens.
            Sylvain Dumontier haussa les épaules en maugréant et prit le chemin de la sortie.
Le Prévôt sourit en regardant le vieil homme partir. Un brave type, ce Dumontier, un peu porté sur la bibine, mais à cet âge, on pouvait beaucoup pardonner, surtout qu’il avait la boisson paisible. Le Père Noël, n’importe quoi !

Chute [Southeast Jones]

I

Où suis-je ?
C’est une question que je dois m’être posé un bon milliard de fois depuis que je suis tombé                            ici. Une heure, une semaine, ou un an, et pourquoi pas mille ? Je crains de ne plus très bien, savoir ce qu’il en est exactement, j’ai perdu la notion du temps.
D’ailleurs, suis-je vraiment ici ?
Ma perception de cet environnement pourrait être tronquée par de fausses informations. Pour autant que je sache, je suis peut-être en train de rêver.
Ou mort.
Même la seconde option me semblerait préférable, dans le cas contraire, cela signifierait que tout ceci existe.  Et cela me terrifie.
Blanc !
Rien d’autre ne peut définir ce Lieu. Autour de moi et jusqu’à l’infini, tout est blanc, désespérément blanc.
Me souvenir.
Je sens, je sais que c’est important, primordial, même. Comment suis-je arrivé ici ?
Procéder par étape.
Froid.
La chair de poule. Une réaction physiologique qui élimine a priori l’idée de la mort.
Je respire, difficilement, mais je respire et mon cœur bat beaucoup trop vite il me semble.
Soif.
Ma langue est sèche, j’ai l’impression d’avoir du sable dans la bouche et je crois que je pourrais tuer pour une gorgée d’eau.
Ce Lieu a une odeur.
Je la connais, mais je suis incapable de mettre un nom dessus. Un nettoyant quelconque, un désinfectant peut-être.
Et un goût, ce Lieu a aussi un gout. Métallique, désagréable.
Hurlement.
Le cri se répercute longuement autour de moi, l’écho semble ne jamais vouloir s’arrêter.
Il me faut quelques secondes pour réaliser que la bouche qui a poussé ce cri est la mienne.
Putain, qu’est-ce que je fous ici ?
J’ai peur !

lundi 11 mars 2013

Clic 30 millions d'amis [HMD & The Bagneux's Boys]

Clic
- Meuh !
Clic Clic Clic
- Meuh ! Meuh ! Meuh !
CLIC
- MEEEEEEEUUUUUHHH!
clic
- Meuh !
Cliiiiiiiiiiiiic

- Meuuuuuuuuuh !
Cliclicliclicliclic
- Meuhmeuhmeuhmeuhmeuhmeuh !
Clic
- Meuh !
Clic
PAF !
- Celle-là vous ne l’avez pas volée, Monsieur Demoulin ! Vous pourrez récupérer votre boîte à Meuh à la fin de vos douze heures de colle...

vendredi 21 septembre 2012

Jour gras [Southeast Jones]

                                                                                   Mardi

La viande est vraiment  savoureuse. André en reprend une belle part  qu’il agrémente d’une
énorme portion de purée. En face, Simone mange, les yeux mi-clos, le visage figé en un masque quasi
extatique.  Il ramasse les dernières rondelles d’oignons frits avec un bout de pain, rote avec
satisfaction et sourit. Sa femme engloutit une dernière et monstrueuse bouchée qu’elle mastique
longuement ; un long filet de salive mêlée de sauce coule de la commissure de ses lèvres et va se
perdre sur le haut de sa robe déjà passablement souillée par des fragments de nourriture poisseux.
Elle se lève, se sert un porto en passant et s’installe dans le fauteuil près de la fenêtre.  Le rituel est immuable,  dans moins de dix minutes, elle dormira.
André range la dernière assiette et contemple Simone, elle sombre lentement dans la folie.
Elle a été plutôt calme ces derniers temps, demain devrait bien se passer, après…

mercredi 1 août 2012

... [Southeast Jones]



      – Il est minuit ! lança Georges. Je vous souhaite à tous une bonne et heureuse fin du monde !
       Le vingt-et-un décembre… C’était aujourd’hui que nous allions savoir. Naturellement, on n’y croyait pas trop, mais après tout, pourquoi ne pas fêter ce jour comme il se devait ? Si tout s’arrêtait aujourd’hui, nous passerions au moins nos dernières heures dans la joie et la bonne humeur ; dans le cas contraire, cela nous donnerait l’occasion de célébrer la vie. Les filles avaient cuisiné toute l’après-midi pendant que Georges et moi installions le télescope dans le jardin et allumions le brûle-tout. Nous avions festoyé comme jamais et sans doute bu un peu plus que de raison. La nuit était claire, s’il devait se passer quelque chose dans le ciel, nous ne devrions pas le manquer. C’est vrai que l’on prenait ça à la rigolade, mais à franchement parler, qui ici aurait osé jurer qu’il ne ressentait aucune appréhension ? Nous nous installâmes confortablement et nous trinquâmes avec nos tasses de vin chaud. Les parois du brûle-tout rougeoyaient faiblement, nous étions bien. Prune et Nicky finirent par s’endormir. J’en profitai pour accepter le cigare que me présenta Georges ; Nicky ne supportait pas que je fume. La nuit était calme, pas même l’ombre d’une étoile filante. Pour tromper l’ennui je pris quelques clichés de la Lune. Vers quatre heures du matin, je commençai à envisager de réveiller tout le monde – Georges avait fini par s’assoupir, lorsque quelque chose changea. C’était très subtil, il flottait dans l’air comme un parfum de roses. Vint ensuite la musique, une musique telle que je n’en avais jamais entendue auparavant… Cela semblait provenir de partout à la fois et se rapprochait. J’hésitais encore à réveiller les autres pour ce qui n’était peut-être qu’un effet de mon imagination. Prune ouvrit les yeux et décida pour moi. Personne ne disait rien, nous étions partagés entre crainte et incrédulité. La musique – indubitablement celle d’un orchestre, était maintenant suffisamment audible pour avoir réveillé d’autres personnes. La lumière s’allumait dans la plupart des maisons de nos rares voisins, certains étaient déjà dans leur jardin. Quelque chose de brillant passa soudain dans le ciel, je plongeai vers le télescope ; d’autres objets apparurent, défilant en rangs serrés et réguliers, bien trop réguliers pour que ce phénomène put être qualifié de naturel. L’étrange manège dura près de deux heures et s’arrêta aussi brusquement qu’il avait commencé. Le silence se fit et sans transition, une vive clarté embrasa le ciel. Nous restâmes là, figés de stupeur alors que les accessoiristes commençaient à démonter le décor et que dix milliards de voix hurlaient de terreur.

FIN

lundi 7 mai 2012

Question de point de vue [Southeast Jones]


- Nous étions des myriades, les maîtres de l’Univers, et regardez… Que reste-t-il de nous aujourd’hui ? Une race épuisée, lasse des conflits, vous rendez vous compte que cette histoire stupide dure depuis plus d’un million d’années ? Ne serait-il pas temps d’enterrer nos vieilles rancœurs ? Si nous ne faisons rien, notre espèce est vouée à l’extinction. Nous étions moins de vingt milliards au dernier recensement, la prochaine guerre décimera probablement nos rangs de manière définitive. Les Cohos et les Mahjs sont frères, c’est le même sang qui coule dans nos veines, je vous abjure d’admettre vos torts et de reconnaître comme vérité ultime que Oharr, Son Saint Nom soit loué, n’a jamais porté de barbe ! 
Des cris de protestation haineuse jaillirent de la partie adverse, une arme fut sortie pour être aussitôt rengainée, puis, le silence se fit et, très calmement, un par un, les délégués Mahjs quittèrent le Parlement. Tumen soupira, il avait échoué. S’il y avait un avenir, l’histoire ne garderait de lui que le souvenir de celui qui avait mené la dernière croisade, son nom serait honni et craché comme une insulte à la face des étoiles. Un acolyte déposa respectueusement le coffre de la honte devant lui. Il l’ouvrit et le referma aussitôt, pas maintenant pensa-t-il avec colère, il n’éprouvait aucune honte, juste des regrets. Le devant du coffre était orné des armes d’Oharr le Pacificateur, les trois soleils Originels et l’épée de cristal ; sur le couvercle, une eau forte le montrait triomphant au lendemain de la bataille des Colonies Extérieures. Il riait tous crocs dehors, ses plumes frontales encore hérissées de l’excitation du combat, aussi loin que semblait porter son regard, le sol était jonché de cadavres. On raconte que l’odeur du sang l’avait rendu fou, deux jours plus tard, il mettait fin à ses jours en buvant la sève du mac-mac, l’arbre à putréfier, il agonisa pendant deux semaines. C’est pendant ce court laps de temps qu’il dicta le livre des lois. Les visitations débutèrent deux mois plus tard. Il inspirait les stratèges, très vite, des miracles lui furent attribués et il devint rapidement évident qu’il avait rejoint le Panthéon Divin. On lui bâtit des temples, sur Planète Mère d’abord, puis jusqu’aux plus lointaines colonies stellaires. L’entrée des lieux consacrés était toujours ornée d’une statue du Héros Combattant et naturellement, il était imberbe. L’origine du schisme demeure incertaine, une erreur, un excès de zèle ou, - pire encore -, un acte délibéré et provocateur d’un groupe d’incroyants. Lorsqu’ils établissent une nouvelle colonie, la première tâche des ouvriers est de construire le temple, un Gardien de la Foi est alors dépêché pour constater la conformité du bâtiment et le bénir. C’était une obscure petite lune, une colonie minière à peine constituée de quelques centaines d’individus. Son nom est aujourd’hui perdu car l’affront fut si terrible qu’il jeta l’opprobre sur l’ensemble de la population. L’endroit fut banni des cartes de navigation et réputé maudit.  Quelle ne fut pas l’horreur du Saint Servant quand il vit cette monstruosité, il hurla, tempêta, invectivant les mineurs de manière fort peu convenable pour quelqu’un de son rang, et refusa tout net la bénédiction. La perfection du menton du Héros Combattant avait été souillée par une barbe se terminant par trois courtes pointes tressées, la même que portent aujourd’hui encore les membres de la corporation des éboueurs ! On raconte qu’avant de grimper dans l’astronef, le Gardien de la Foi se retourna vers la chose puis se creva les yeux avec son poignard de cérémonie. Le mal était fait, avant que l’ostracisme fût décrété, plusieurs impies s’enfuirent vers d’autres mondes. Ils s’investirent prêtres et entreprirent lentement de saper les bases de Notre Religion en promulguant de nouveaux dogmes. Le conflit ébranla tout l’Univers, des systèmes solaires entiers furent dévastés et l’Empire se disloqua. La paix semblait désormais impossible, chaque affirmation était d’office réfutée et contredite par d’autres qui, il faut malheureusement l’admettre, ne manquaient pas de pertinence, les blasphémateurs étaient aussi rusés qu’intelligents. La trêve était terminée, dès que les diplomates et les prêtres auraient rejoint leurs mondes respectifs, les combats reprendraient, plus impitoyables que jamais. L’arme ultime était prête à entrer en action, pour le meilleur et pour le pire. Tumen frissonna, il avait peur.

                                                                     **********************

mercredi 2 mai 2012

Clic ! Une farce cosmique


                                                         Clic ! (Origine)

On est riche ! lance Tito en rigolant, je ne sais pas à quoi servent la plupart de ces engins
mais ça doit valoir un max de fric. T’as vu ça ?
- On dirait un banal interrupteur, arrêtes de jouer avec ce truc, chaque fois que tu
l’actionnes ça fait vibrer le vaisseau. Y a une notice avec ? Les Technologues de Bilal XI
sont tous un peu cinglés alors je me méfie.
- Je ne maîtrise pas bien leur langue, il me semble que ça dit quelque chose
comme « disjoncteur aléatoire d’univers », jamais entendu parler !
- C’est bien ce que je disais, une sorte d’interrupteur.
« Clic »
- Laisse ce machin tranquille nom de dieu ! ça perturbe les instruments !
« Clic »
- Ca fait comme des fourmillements dans tout le corps c’est marrant.
- C’est peut-être dangereux, vas savoir à quoi ça sert.
- Tu devrais essayer Bob, c’est vachement agréable.
« Clic »
- Allez, pose ton jouet, on émerge de l’hyperespace.
« Clic »
- Merde ! Tu vas arrêter ?
- Allumé, « clic », éteint.
- Tu es pire qu’un gamin, marmonne Bob en lançant les photoniques.
- Allumé, « clic », ét                                             


                                                              Clic Final (Peut-être...)

- eint, « clic », allumé…
- ‘S’est passé quoi ? fit Bob, j’ai eu une drôle d’’impression.
« Clic », - Éteint, « clic »…
- Le moteur a cafouillé, Tito, arrête ça une fois pour toute, je crois que ton jouet
perturbe vraiment tous les instruments, même l’horloge de bord ne fonctionne plus.
- On est encore loin de l’orbite terrestre ?
- J’en sais foutre rien, je ne vois pas la Terre, en fait il n’y a rien, pas l’ombre d’une
planète, pas même une étoile… C’est le noir absolu. Jamais rien vu de pareil.
- Et le scanner ?
- Rien de chez rien. Attends… les détecteurs énergétiques viennent d’accrocher
quelque chose, mais les relevés ne veulent rien dire, c’est à la fois tout proche et
incroyablement lointain, la masse de l’objet est… impossible à calculer. En tout cas,
c’est une grosse source d’énergie, un trou noir super massif peut-être…
- Je ne vois pas ce que ce truc ferait dans le système solaire, le plus proche se trouve
à vingt cinq mille années-lumière.
- Je parierais ma chemise que c’est ce disjoncteur qui a fait ça. Essaie pour voir ?
- Tu es sûr ? Ca me fout la trouille maintenant.
- Vas-y, au point où on en est…
« Clic »…
- Maintenant, c’est certain, ce… machin et l’objet stellaire sont bien en interaction,
d’ailleurs il a grossi, à moins qu’il ne se rapproche. Si c’est le cas, à cette vitesse, il
sera sur nous dans moins de vingt minutes. Rectification… dix minutes, non,
quatre… Merde c’est quoi ce truc ? J’envois une balise de secours, qu’on sache au
moins ce qu’il nous est arrivé. C’est parti !
- Bob, j’ai peur…
- Putain, t’as vu ces couleurs ? C’est magnifique…
*******************************
La vitesse et la masse du vaisseau spatial étaient maintenant infinies. Dans
cet espace nul où le temps n’existait pas encore, la rencontre des deux objets
occasionna une réaction fulgurante, l’explosion qui s’ensuivit ne connaitrait plus
jamais de précédent.
Et la lumière fut.
« Clic »

mardi 1 mai 2012

Barbares ! [Southeast Jones]


« LES BARBARES ARRIVENT ! » Le titre du journal semble m’exploser au visage. Comme tout le monde, je sais ce que cela signifie. Dans moins de trois mois, ils seront sur nous, semant la mort et la destruction. Un délai bien insuffisant pour évacuer les quatre cent mille colons de Manamée. Fugitifs serait un terme mieux approprié, nous fuyons devant l'envahisseur depuis plus de deux millénaires

                                                                       #

mercredi 25 avril 2012

Soldat [Southeast Jones]

« J’en ai marre de mourir ! » J’aurais voulu hurler mais aucun son ne sort de ma bouche. Je ne peux m’exprimer librement, mon Maître, mon Dieu, Qui ou Quoi que ce soit veillant sur ma destinée me l’interdit. Les mots sont toujours les mêmes, ils varient légèrement suivant l’endroit, la saison ou même l’époque, on ne parle pas de manière identique à un légionnaire de César et à un Berserker du troisième empire technocrate.
      Aujourd’hui  j’ai échoué, il me manque un bras et mon fusil gît à plus de dix mètres de moi, ma jauge clignote méchamment et indique deux unités, je ne survivrai pas à une autre blessure. Je ne souffre pas, IL m’épargne au moins ça !
      Où vais-je me réveiller ? Waterloo, la ceinture d’astéroïdes, Thermopyles… quelle importance, une guerre est une guerre.
       Et je suis un guerrier.
      Mais sait-IL à  quel point je suis fatigué de tuer ?
      L’éclat métallique d’une baïonnette dans le soleil couchant…
      GAME OVER !

samedi 10 mars 2012

Clic [Southeast Jones]

Texte sélectionné pour le recueil Fin(s) du Monde, aux Editions des Artistes Fous.

Fin de semaine [Southeast Jones]


– Ils vous attendent, Monsieur.
– Je sais, nous n’en sommes pas à quelques  minutes, n’est-ce pas ?
– J’ai bien peur que si, Monsieur.
– C’est donc ainsi que cela doit se terminer…
            Sur les écrans se déroulait un étrange jeu vidéo, à ceci près que ce n’était pas un jeu, c’était la fin d’un monde, peut-être même la fin du monde… en direct.
– Les Chinois viennent d’ouvrir leurs silos, les Russes ne devraient pas tarder à en faire autant.
            – Et nous ?
– Non, vous savez bien que nous ne bougerons pas, pas de cette manière, nous avons les moyens d’empêcher cela, de laisser une chance au monde.
– Aux Hommes ?
– Peut-être, nous n’en sommes pas absolument certains.
– Du moins restera-t-il quelque chose de vivant, il faudra combien de temps ?
– Une minute pour le déploiement, quatorze pour la diffusion.
– C’est rapide.
– Bien plus que les missiles, si nous faisons vite, pas un ne décollera. Les effets sont foudroyants, tout sera terminé en moins de vingt minutes.
            L’aide de camp pleurait, c’était un jeune gars d’à peine trente ans. D’ailleurs les avait-il seulement ? Il aurait pu avoir toute la vie devant lui, avait-il une femme, des enfants… Plus rien n’avait vraiment d’importance. Le président eut soudain très froid, – mon Dieu, pardonnez-nous, pensa-t-il.
Les murs de la salle étaient nus, au centre, un siège devant un simple clavier et un écran.
            - Vous avez le code ?
            Le jeune homme lui tendit une petite cassette métallique, ses mains tremblaient.
            Le président appuya sa main sur les capteurs et murmura le mot, un mot que lui seul connaissait, un mot terrible et définitif : «  ragnarök ». Un compartiment se dévoila, à côté du clavier se trouvait une petite torche à ultraviolets, il l’alluma et en balaya le fond de la cassette. Une série de chiffres apparut, il prit une profonde inspiration et commença à les encoder.
            Il dut s’y reprendre  à trois reprises.

Emancipation [Southeast Jones]


                              Texte sélectionné pour le recueil Fin(s) du Monde, aux Editions des Artistes Fous.

Contrat [Southeast Jones]

Texte sélectionné pour le recueil Fin(s) du Monde, aux Editions des Artistes Fous.