jeudi 22 août 2013

Sarasvatî [Diane]

Car vous avez un but : une personne près de qui vous asseoir, ou peut-être une idée, ou votre propre beauté peut-être… Vos jours et vos heures passent comme passent les paysages de branches d’arbres et de mousses des forêts aux yeux du chien de chasse qui galope sur une piste. Mais moi, je ne m’attache à aucune piste, et il n’y a pas de corps que je puisse poursuivre ainsi. Et je suis sans visage.
                                                                                                                      Virginia Woolf, Les Vagues

Sarasvatî

         - Et après la fin du monde, que s’est-il passé ?
         Le Professeur posa ses instruments ensanglantés un instant, feignant de vouloir mûrir la réponse la plus satisfaisante possible.
         - C’est très simple dit-il en faisant la moue pour marquer une pause. Les Hommes de cette époque ont poursuivi encore et encore leurs œuvres, jusqu’au jour où ils ont assimilé suffisamment de connaissances pour comprendre, pour admettre, que leurs corps avaient transmué dans leurs molécules les plus infiniment petites. Tu sais ce que cela signifie n’est-ce pas ?
         - Oui dit Sara les mains fébriles, transportant un cerveau humain dans un bol en céramique.
         - Bien sûr, ajouta le Professeur en reprenant l’ablation du cœur de son sujet, le cadavre d’un petit garçon, ce fût bien après la Grande Guerre de Mars, contre ceux qu’ils prenaient pour de demi-dieux. A cette époque, l’être humain était à un carrefour magistral de son évolution. L’humanité entière a découvert qu’après tant de siècles derrière elle, et autant de dégât qui aurait pu être aussi facilement contourné, elle n’avait plus besoin de nourriture, de sommeil, de sexualité ou de stimulus émotionnel pour vivre et qu’elle pouvait résister à la mort si tel était son désir.
         Sara s’assit sur sa chaise pour commencer la dissection du bras gauche de son sujet, le cadavre d’un homme d’une quarantaine d’années.
         - Comment ont-ils réagi à la sensation de leurs corps transcendés ?
         En pesant le cœur de l’enfant, le Professeur répondit à son élève sans même la regarder :
         - Tous ils sont devenus fous. Jusqu’au dernier. Et donc nous voici, survivants de ce grand et pathétique marasme que nous avons finalement transcendé. Bien, plus de questions à présent Sara. La récréation fût agréable, à présent retourne à ton travail. Attrape donc ce bras et montre-lui à qui il appartient.

samedi 17 août 2013

Cliqueue [Vinze]

Jean-Claude réintégra son foyer particulièrement guilleret. Le séjour à l’hôpital n’avait pas été particulièrement agréable mais c’était désormais derrière lui, tout comme ses problèmes érectiles. Après tout, un jeune retraité de soixante-quinze ans était en droit de profiter encore quelques années de son corps avec sa sublime épouse de dix ans sa cadette.
Le modèle dernier cri de pompe pénienne venait de lui être greffée, un simple bouton discrètement dissimulé dans la peau des bourses lui permettait d’obtenir une érection de la vigueur d’un adolescent. Et sa femme semblait identiquement ravie de le voir rentrer dans la pleine possession de ses moyens. Quelques minutes après son retour, elle plongeait déjà la main vers ses testicules avec l’entrain d’un enfant un matin de Noël.
(Clic)
Jeannette regarda le sexe de son mari trouver une taille et une forme qu’elle avait presque oubliées depuis le temps qu’elle ne l’avait vu ainsi.
(Clic)
Le sexe retrouva le repos et l’aspect si habituel qu’elle ne pouvait oublier.
(Clic)
Le pénis gonfla mécaniquement, remplissant la main de la retraitée jusqu’à en écarter les doigts et les coins de ses lèvres.
(Clic)
L’engin disparut dans la main de sa femme, jusqu’à ce qu’elle ne sente presque plus le contact sur la peau de ses doigts.
(Clic)
Cette fois-ci elle avait directement placé sa bouche autour du corps flasque pour le sentir gonfler contre sa langue avec délectation. Elle sentit son mari trembler de plaisir sous ses caresses buccales.
(Clic)
Retour à la normale, en un peu plus humide.
Il était temps de mettre un terme à ces amusantes préliminaires et passer aux choses sérieuses ; cela faisait tant de temps qu’elle attendait de goûter à nouveau aux délices de la chair.
(Clic)
Rien ne se produisit...
(Clic)
Toujours rien. Elle espérait que le dysfonctionnement ne serait que temporaire. Déçue elle releva la tête, jetant un œil au corps de son mari recouvert de sueur pour finalement s’arrêter sur son visage figé, les yeux inexpressifs fixés sur le plafond.

Elle eut beau le secouer en tous sens, jamais son pacemaker ne se remit en marche, ni sa pompe pénienne...

lundi 5 août 2013

CLIXXX [Corvis]

Clic
« Mmmmhhhhh »
« Et là, ça donne quoi ?
- Pas assez puissant. Monte un peu. »
Clic
« Mmmmoooohhh… »
« Et là ?
- Toujours pas assez. Monte encore un peu. »
Clic
« Ooooohhhhh… »
« Et là ?
- Pas assez. Monte. »
Clic
« OOooAaahhh… ! »
« Et là ?
- Pas mal. Monte encore pour voir… »
Clic
« AAaaaaahhhh ! »
« Et là ?
- On y est presque. Monte encore. »
Clic


« Le Président a une nouvelle fois nié sa participation dans l’affaire des baAAAAHHHHOOOHHHHH !!!! »

«  Do you like it like that baby ?
- Yeah, sure… Whatever… Enjoy your moment, I’ll finish myself latUUUUHHHHOOOOOOOOOOH MY GOD YOU’RE AMAZING ! »

« Pour la semaine prochaine vous lirez les paragraphes soixante-cinq à soixante-sept, et vous ferez les exercices numéros vingt-deux à vingt-siiiiiIIIIIIIAAAAAHHHHH !! »

« Konnichiwa Sakura-san !
- Konnichiwa !
- Ogenki desu ka ?
- Hai, okagesamaaaAAAAIIIIiiiiuuUUUUUHHHHHHHHH IKUUUUUUUU !!!!!!!!!!!! »

« Si personne n’a d’objections, je déclare la séance ouUUUUUUUUUHHHAAAAAAAHHHH !!! »

« Y’a un peu plus, je laisse ?
- BohoooOOOOHHHH OUI ! OUI ! OUIIIIIIIIIIII !!!!!!!!!!!! »

«  的 氐 那 能 逦 到 互 逦 袜 *_* % ¥ !!! ≱∑✺◎♥♥♏ !!! »

« Eu não fiz nada de mal. Eu gostaria de falar com um advooOOOHH ! OOHH mamã !!! »


« Et là, ça donne quoi ?

- Trop. Un peu trop. Baisse un poil. »

L’absurde et très courte histoire de l'homme qui voulait monter dans la hiérarchie [Corvis]


Raymond Péridieux s’ennuyait.
Après des années de bons et loyaux services dans cette entreprise, le fonctionnaire avait la désagréable impression de piétiner, et malgré plusieurs réajustements préalables au long de sa carrière, il se sentait le besoin d’accéder à un poste plus élevé.
Certain de la légitimité de son ambition, il demanda audience à ses supérieurs, et exigea une nouvelle augmentation.
Raymond Péridieux argumenta tant et si bien son propos, de sa voix profonde et décidée, que la direction finit par céder et lui accorda une rallonge.

On augmenta donc ses jambes de 10 nouveaux centimètres, ce qui lui permit enfin d’atteindre les postes du 3ème étage, et fit la fierté de sa femme dans les dîners mondains.
Enfin ils se sentaient supérieurs à leurs amis.

Enfin Raymond Péridieux était devenu quelqu’un de la Haute.

La transformation [Lila Vampire]

C'est du vol et du plagiat, j'aime pas trop les voleurs et les fils de pute
– Orson Welles

Lorsque Sam A.G. Rogers s'éveilla un matin au sortir de rêves agités, il se trouva transformé dans son lit en un puissant félin. Il était couché sur son dos souple et musculeux, et vit, en levant un peu la tête, son ventre creux, rayé, recouvert de poils soyeux, et ses jambes puissantes, partiellement masquées par la couverture toute prête à tomber à terre. Ses grosses pattes, incroyablement musclées comparées à son volume propre, semblaient prêtes à l'action. « Que m'est-il arrivé ? », pensa t-il. Ce n'était pas un rêve. Sa chambre, une vraie chambre d'homme, un peut trop petite seulement, se tenait calmement entre les quatre murs familiers. Au-dessus de la table sur laquelle étaient étalés les échantillons d'une collection de bibelots des quatre coins du monde - Sam était voyageur - était accrochée le poster central qu'il avait récemment découpé dans un magazine et placé dans un cadre ikéa. Il représentait une fille portant un mini short déchiré en jeans et rien d'autre. Rogers se tourna ensuite vers la fenêtre, et le temps radieux – les rayons du soleil perçaient le fin rideau de tissu – l'incita à la paresse. « Peut-être devrais-je dormir encore un peu et oublier toutes ces sottises. » Il poussa un long bâillement dévoilant ses immenses crocs, étira ses pattes et se rendormi en songeant « Ah, mon Dieu quel métier fatigant j’ai choisi ! Jour après jour en tournée. Les affaires vous énervent bien plus qu’au siège même de la firme, et par-dessus le marché je dois subir le tracas des déplacements, le souci des embouteillages, les repas ignobles chez le routier du coin, et des contacts humains marqué par l'hypocrisie du marketing. Que le diable emporte tout cela ! »
Il sentit une légère démangeaison dans le bas du dos ; se frotta nonchalamment contre le matelas et se retourna pour retrouver sa position initiale. « À force de se lever tôt », pensa-t-il, « on devient complètement stupide. L’être humain a besoin de son sommeil. De bien plus de sommeil que de veille en vérité ! Si je ne me retenais pas à cause de la crise, il y a longtemps que j’aurais donné ma démission, je me serais présenté devant le patron et je lui aurais dit ma façon de penser du fond du cœur ! Mais enfin, pour le moment, il faut que je me lève, sinon je serais bloqué dans les bouchons.»
Et il regarda vers son réveil digital posé sur la commode. « Bordel ! » pensa-t-il. Il était déjà six heures trente-sept. Est-ce que le réveil n’avait pas sonné ? On voyait depuis le lit qu’il était bien réglé sur quatre heures ; et sûrement qu’il avait sonné. Il devait dormir trop profondément. Et à présent c'était trop tard. Il allait se faire convoquer par le patron, car ses collègues auraient depuis longtemps prévenu de son absence. C’était de belles ordures, sans aucune dignité ni intelligence.

Tandis qu’il réfléchissait précipitamment à tout cela sans pouvoir se résoudre à quitter son lit – le radio-réveil indiquait à présent sept heures moins le quart –, on frappa fortement à la porte qui se trouvait au chevet de son lit. « Sam », c’était sa mère qui l’appelait, « il est sept heures moins un quart. Tu vas être en retard ! »
L'agacement provoqué par l'insistance maternelle était si grand que Sam bondit de son lit tel un tigre. Il poussa un rugissement de colère et réduisit la porte en charpie avec ses puissantes griffes. Ses parents médusés virent passer devant eux un immense félin à crinière, dont le pelage mordoré était barré de splendides rayures noires. Sa mère entra alors dans la chambre de son fils et l'appela à plusieurs reprises sans obtenir de réponse.

Le lendemain, ni Sam ni l'animal n'avaient reparu dans la maison. Les parents et la sœur de Sam A.G. Rogers étaient très inquiets de sa disparition et encore plus de l'irruption de cette énorme bête dans la chambre. Leur enfant s'était-il fait dévorer ? Les journaux affirmaient qu'un animal très rare ayant les caractéristiques du tigre et du lion avait été aperçu en ville et avait tenté d’agresser les passants, dont le patron d'une grande firme commerciale.


La bête continua de terroriser la ville pendant de nombreux mois, jaillissant de nulle part pour assaillir les commerçant et leur voler de la nourriture. Puis les attaques s’espacèrent et on ne vit plus la créature.