lundi 5 août 2013

La transformation [Lila Vampire]

C'est du vol et du plagiat, j'aime pas trop les voleurs et les fils de pute
– Orson Welles

Lorsque Sam A.G. Rogers s'éveilla un matin au sortir de rêves agités, il se trouva transformé dans son lit en un puissant félin. Il était couché sur son dos souple et musculeux, et vit, en levant un peu la tête, son ventre creux, rayé, recouvert de poils soyeux, et ses jambes puissantes, partiellement masquées par la couverture toute prête à tomber à terre. Ses grosses pattes, incroyablement musclées comparées à son volume propre, semblaient prêtes à l'action. « Que m'est-il arrivé ? », pensa t-il. Ce n'était pas un rêve. Sa chambre, une vraie chambre d'homme, un peut trop petite seulement, se tenait calmement entre les quatre murs familiers. Au-dessus de la table sur laquelle étaient étalés les échantillons d'une collection de bibelots des quatre coins du monde - Sam était voyageur - était accrochée le poster central qu'il avait récemment découpé dans un magazine et placé dans un cadre ikéa. Il représentait une fille portant un mini short déchiré en jeans et rien d'autre. Rogers se tourna ensuite vers la fenêtre, et le temps radieux – les rayons du soleil perçaient le fin rideau de tissu – l'incita à la paresse. « Peut-être devrais-je dormir encore un peu et oublier toutes ces sottises. » Il poussa un long bâillement dévoilant ses immenses crocs, étira ses pattes et se rendormi en songeant « Ah, mon Dieu quel métier fatigant j’ai choisi ! Jour après jour en tournée. Les affaires vous énervent bien plus qu’au siège même de la firme, et par-dessus le marché je dois subir le tracas des déplacements, le souci des embouteillages, les repas ignobles chez le routier du coin, et des contacts humains marqué par l'hypocrisie du marketing. Que le diable emporte tout cela ! »
Il sentit une légère démangeaison dans le bas du dos ; se frotta nonchalamment contre le matelas et se retourna pour retrouver sa position initiale. « À force de se lever tôt », pensa-t-il, « on devient complètement stupide. L’être humain a besoin de son sommeil. De bien plus de sommeil que de veille en vérité ! Si je ne me retenais pas à cause de la crise, il y a longtemps que j’aurais donné ma démission, je me serais présenté devant le patron et je lui aurais dit ma façon de penser du fond du cœur ! Mais enfin, pour le moment, il faut que je me lève, sinon je serais bloqué dans les bouchons.»
Et il regarda vers son réveil digital posé sur la commode. « Bordel ! » pensa-t-il. Il était déjà six heures trente-sept. Est-ce que le réveil n’avait pas sonné ? On voyait depuis le lit qu’il était bien réglé sur quatre heures ; et sûrement qu’il avait sonné. Il devait dormir trop profondément. Et à présent c'était trop tard. Il allait se faire convoquer par le patron, car ses collègues auraient depuis longtemps prévenu de son absence. C’était de belles ordures, sans aucune dignité ni intelligence.

Tandis qu’il réfléchissait précipitamment à tout cela sans pouvoir se résoudre à quitter son lit – le radio-réveil indiquait à présent sept heures moins le quart –, on frappa fortement à la porte qui se trouvait au chevet de son lit. « Sam », c’était sa mère qui l’appelait, « il est sept heures moins un quart. Tu vas être en retard ! »
L'agacement provoqué par l'insistance maternelle était si grand que Sam bondit de son lit tel un tigre. Il poussa un rugissement de colère et réduisit la porte en charpie avec ses puissantes griffes. Ses parents médusés virent passer devant eux un immense félin à crinière, dont le pelage mordoré était barré de splendides rayures noires. Sa mère entra alors dans la chambre de son fils et l'appela à plusieurs reprises sans obtenir de réponse.

Le lendemain, ni Sam ni l'animal n'avaient reparu dans la maison. Les parents et la sœur de Sam A.G. Rogers étaient très inquiets de sa disparition et encore plus de l'irruption de cette énorme bête dans la chambre. Leur enfant s'était-il fait dévorer ? Les journaux affirmaient qu'un animal très rare ayant les caractéristiques du tigre et du lion avait été aperçu en ville et avait tenté d’agresser les passants, dont le patron d'une grande firme commerciale.


La bête continua de terroriser la ville pendant de nombreux mois, jaillissant de nulle part pour assaillir les commerçant et leur voler de la nourriture. Puis les attaques s’espacèrent et on ne vit plus la créature.

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