C'est du vol et
du plagiat, j'aime pas trop les voleurs et les fils de pute
– Orson Welles
Lorsque Sam A.G. Rogers s'éveilla un
matin au sortir de rêves agités, il se trouva transformé dans son lit en un
puissant félin. Il était couché sur son dos souple et musculeux, et vit, en
levant un peu la tête, son ventre creux, rayé, recouvert de poils soyeux, et
ses jambes puissantes, partiellement masquées par la couverture toute prête à
tomber à terre. Ses grosses pattes, incroyablement musclées comparées à son
volume propre, semblaient prêtes à l'action. « Que m'est-il arrivé ? », pensa
t-il. Ce n'était pas un rêve. Sa chambre, une vraie chambre d'homme, un peut
trop petite seulement, se tenait calmement entre les quatre murs familiers.
Au-dessus de la table sur laquelle étaient étalés les échantillons d'une
collection de bibelots des quatre coins du monde - Sam était voyageur - était
accrochée le poster central qu'il avait récemment découpé dans un magazine et
placé dans un cadre ikéa. Il représentait une fille portant un mini short
déchiré en jeans et rien d'autre. Rogers se tourna ensuite vers la fenêtre, et
le temps radieux – les rayons du soleil perçaient le fin rideau de tissu –
l'incita à la paresse. « Peut-être devrais-je dormir encore un peu et oublier
toutes ces sottises. » Il poussa un long bâillement dévoilant ses immenses
crocs, étira ses pattes et se rendormi en songeant « Ah, mon Dieu quel métier
fatigant j’ai choisi ! Jour après jour en tournée. Les affaires vous énervent
bien plus qu’au siège même de la firme, et par-dessus le marché je dois subir
le tracas des déplacements, le souci des embouteillages, les repas ignobles
chez le routier du coin, et des contacts humains marqué par l'hypocrisie du
marketing. Que le diable emporte tout cela ! »
Il sentit une légère démangeaison dans
le bas du dos ; se frotta nonchalamment contre le matelas et se retourna pour
retrouver sa position initiale. « À force de se lever tôt », pensa-t-il, « on
devient complètement stupide. L’être humain a besoin de son sommeil. De bien
plus de sommeil que de veille en vérité ! Si je ne me retenais pas à cause de la
crise, il y a longtemps que j’aurais donné ma démission, je me serais présenté
devant le patron et je lui aurais dit ma façon de penser du fond du cœur ! Mais
enfin, pour le moment, il faut que je me lève, sinon je serais bloqué dans les
bouchons.»
Et il regarda vers son réveil digital
posé sur la commode. « Bordel ! » pensa-t-il. Il était déjà six heures
trente-sept. Est-ce que le réveil n’avait pas sonné ? On voyait depuis le lit
qu’il était bien réglé sur quatre heures ; et sûrement qu’il avait sonné. Il
devait dormir trop profondément. Et à présent c'était trop tard. Il allait se
faire convoquer par le patron, car ses collègues auraient depuis longtemps
prévenu de son absence. C’était de belles ordures, sans aucune dignité ni
intelligence.
Tandis qu’il réfléchissait
précipitamment à tout cela sans pouvoir se résoudre à quitter son lit – le
radio-réveil indiquait à présent sept heures moins le quart –, on frappa
fortement à la porte qui se trouvait au chevet de son lit. « Sam », c’était sa
mère qui l’appelait, « il est sept heures moins un quart. Tu vas être en retard
! »
L'agacement provoqué par l'insistance
maternelle était si grand que Sam bondit de son lit tel un tigre. Il poussa un
rugissement de colère et réduisit la porte en charpie avec ses puissantes
griffes. Ses parents médusés virent passer devant eux un immense félin à
crinière, dont le pelage mordoré était barré de splendides rayures noires. Sa
mère entra alors dans la chambre de son fils et l'appela à plusieurs reprises
sans obtenir de réponse.
Le lendemain, ni Sam ni l'animal
n'avaient reparu dans la maison. Les parents et la sœur de Sam A.G. Rogers
étaient très inquiets de sa disparition et encore plus de l'irruption de cette
énorme bête dans la chambre. Leur enfant s'était-il fait dévorer ? Les journaux
affirmaient qu'un animal très rare ayant les caractéristiques du tigre et du
lion avait été aperçu en ville et avait tenté d’agresser les passants, dont le
patron d'une grande firme commerciale.
La bête continua de terroriser la ville
pendant de nombreux mois, jaillissant de nulle part pour assaillir les
commerçant et leur voler de la nourriture. Puis les attaques s’espacèrent et on
ne vit plus la créature.
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