mercredi 19 décembre 2012

Les soupirs du voyeur [Corvis] (-18)




Je bande.

Tourbillon de plaisir, spasmes et langue brûlante sur ma verge.
Vision hachée, brume vaporeuse et souffle court.
Happé dans le mouvement ondulatoire et le rythme de piston, je distingue le monde à travers un voile de sueur, en brefs instantanés, sans prendre vraiment conscience de l’entière situation.
Un grain de beauté sous mes yeux et le goût de son sein dans ma bouche.
Une chambre embuée nimbée de rouge et les gémissements du lit.
Son visage aux yeux clos, ses cheveux en cascade, et ses lèvres brillantes à chaque extrémité.
Des fesses qui se compriment, s’ouvrent, frémissent, et l’odeur d’algue fraîche et de rosée acide.
Un lotus entrouvert aux pétales humides, et mon sexe englouti jusqu’au socle dans un fourreau fiévreux pour un baiser profond.
Je ne saisis pas toute l’ampleur de la symphonie, mais au milieu du flou extatique je perçois les différentes partitions.
Les flashs saccadés se succèdent au rythme des contractions, elle crie par à-coup, et j’agrippe fermement son bassin.
La vue brouillée par mon souffle chaud, je contemple ce corps aux joues écarlates, aux seins blancs et lourds qui gigotent comme s’ils cherchaient à s’enfuir, aux hanches larges et souples que mes doigts pétrissent.
Et la fente rose, telle une serrure de chair entre ses cuisses, où ce membre épais qui n’est plus le mien va et vient en cadence, s’enfonce en palpitant et ressort plus dur encore, à mesure que l’excitation afflue vers son point de non-retour.
Je sens la sève brûlante qui remonte comme d’un pipeline et demande à sortir.
Dans quelques secondes l’orgasme va éclater.
Je vois mon sexe dardant quitter son réceptacle et l’attrape à pleine main. En offrant sa poitrine, ma camarade de jeu gémit une supplication qui se perd dans le brouhaha de mes pensées. Les doigts collés sur son amande, elle me regarde tirer vigoureusement sur cette verge impressionnante qui pourrait être la mienne, fièrement dressée en étendard.
Dans un dernier spasme électrique, je lâche la bête et laisse la pression faire son travail.
Un geyser blanc et chaud jaillit de la prune aveugle au bout de mon corps, et se répand en petites flaques épaisses sur la poitrine de ma compagne.
Mon pénis est un arroseur automatique, crachant son plaisir à intervalles réguliers alors que mon corps tout entier tremble sous les décharges.
La respiration haletante et la peau piquetée de frissons, je ferme les yeux pour reprendre mon souffle.


Et puis c’est le réveil.

Le soleil filtre doucement à travers les persiennes.
Mes yeux encore englués de sommeil s’ouvrent à demi.
Le lit n’est même pas défait.
Et mon sexe est toujours aussi flasque qu’au premier jour.
Pas de virilité érigée en thermomètre matinal. Pas de veines palpitantes et de gland gonflé.
Rien qu’un triste membre mou qui végète là, rabougri et honteux de son unique fonction excrétoire.
J’ai encore dans les yeux et la tête l’érection glorieuse de mon rêve, et ces sensations, si douces et si prégnantes.
Le plaisir se rappelle à moi. Il semblait si réel.
Pourtant les méandres de mes souvenirs se font flous, intermittents. Les rêves ont cela de commun avec les situations éthyliques que leurs contours deviennent rapidement indistincts.  Les visages s’effacent, le temps se comprime ou s’accélère, je ne saurais pas dire si c’est mon corps que j’imaginais transi de désir, ou si ma morne existence sexuelle me fait fantasmer un engin endurant et vigoureux.
Jour après jour, un serpent mort pend lamentablement entre mes cuisses.
Nuit après nuit, je m’invente des situations scabreuses dans la peau d’un étalon.
Depuis combien de temps…
Comme chaque matin, le même rituel.
Je me lève, encore un peu gourd, j’inscris une barre verticale sur un morceau de papier, et j’attache un trombone à ses congénères.
Trente-deux traits. Trente-deux trombones et une boule qui grossit. Trente-deux jours que ça dure.
Chaque nuit une situation différente, presque toujours une fille différente, parfois deux, et chaque matin le drapeau est en berne, et il ne me reste que des souvenirs épars qui me donnent la douloureuse impression de n’avoir pas vraiment vécu ces instants de débauche.
Impuissance, a dit le médecin.
Rien à faire, ont dit les spécialistes.
Bienheureux cet étrange leitmotiv nocturne finalement, les personnes dans ma situation n’ont souvent que leurs yeux pour pleurer et leur vît pour pisser.

Une douche, quelques vêtements, un café, et je pars au travail, vers la grise routine de mon quotidien.


***


C’est sale, vulgaire,  dégradant, et terriblement excitant.

Je perçois deux filles différentes.
Deux brunes à la peau mate, l’une grasse et opulente, aux seins lourds et aux mœurs légères, les cheveux longs et le con touffu, l’autre beaucoup plus mince, ses nichons comme deux yeux aveugles, les cheveux courts mais le pubis tout aussi fourni que celui de sa camarade, bien que mieux taillé.
Je me trouve dans une chambre qui tient plus du placard que de la suite nuptiale. Les murs suintent, la lumière vacille, des déchets jonchent le sol, je crois même distinguer cuillères et seringues.
Nous sommes sur un matelas flasque et collant, jeté à même le sol. Une forte odeur de cyprine se mêle la sueur rance, avec un arrière-gout de pisse lorsque je respire trop fort.
J’ai l’impression de ne pas contrôler totalement ce corps, je suis comme engourdi, anesthésié, et pourtant je vois distinctement ce gourdin priapique qui émerge du corps maigrelet qui pourrait bien être le mien.
Les deux rombières aux lèvres enflées et au maquillage de camion-glace s’activent sur mon chibre comme sur  un eskimo glacé qu’il faudrait finir avant qu’il fonde.
Je sens qu’elles mettent du cœur à l’ouvrage, goulument, sans subtilité, mais avec force salive et bruits de succion.
La sensation cotonneuse de ne pas être lucide est toujours là.
Je sens mes couilles ballotées dans la bouche de l’une, l’autre bave, crache et suce chaque parcelle de chair en décalottant mon prépuce avec la délicatesse d’un boucher en pleine séance de dépeçage.
Elles coordonnent leurs mouvements, s’embrassent, aventurent leur langue sur le scrotum et au-delà.
Je n’ai pas conscience de tout.
Je sais que j’attrape les cheveux de la plus mince pour pénétrer plus facilement sa bouche.  Elle avale tout, hoquète, s’étouffe, et recrache ma bite avec les larmes aux yeux, avant d’y retourner dans un sourire.
La sueur et la crasse colle à nos peaux, je vois deux gros seins mous sous mes mains, qui bloblotent comme des flans au caramel, et mon phallus frémissant à l’orée du bois, glissant avec vigueur sur un berlingot cramoisi.
Je vois mes doigts gluants se frayer un chemin frénétique dans une vulve à la toison taillée.
Je vois un cul d’hippopotame, massif et graisseux, se retourner vers moi, des mains qui écartent les fesses, comme une offrande ou une supplique. Ca sent le chaud et la chair humide, et cet œillet noir et étroit m’appelle.
Les images se superposent, le flou m’envahit à nouveau.

« Pilonne, vas-y pilonne, défonce-moi !! »

Une main toujours prise ailleurs, je me sers de l’autre pour insérer sans douceur ma perche dans cet orifice.
Des cris, plaisir et douleur mêlés.
À gauche, mes doigts se partagent deux entrées.

« Delphine viens, viens on va se lécher pendant qu’il me la met. »

Je tiens fermement la grasse par les cheveux, cambrant ce dos adipeux dont les bourrelets mènent à deux montagnes brunes qui s’agitent sous mes coups répétés.
C’est si chaud, si étroit, les contractions de réticences instinctives qui enserrent ma pine ne font qu’augmenter le plaisir.

Je dois être dans l’autre fille maintenant.
La silhouette est plus fine, les fesses plus fermes, je les saisis moi-même pour les écarter.
Elle a l’anus rose et lisse, il semble n’avoir jamais servi.
Je crache un peu et j’entre.
Elle crie fort, se contracte et pleure. Ses jambes se dérobent et elle s’affale sur le matelas.
Peu importe, je continue dans un rythme de compresseur, la plaquant fermement par les épaules.

« T’inquiète, continue, elle va apprendre, après ça vient tout seul. »

Sa camarade lui enfouit la tête dans la mousse pour étouffer les gémissements.
C’est très excitant, et une fois de plus le plaisir arrive à grands flots.
Elles insistent pour que je vienne sur leur visage.
La plus mince pleure encore un peu, son mascara fuyant en longues coulées sur ses joues, l’autre enserre ma queue de ses seins pour finir le boulot. Les deux ont le sourire aux lèvres.
Sueur, orgasme et jets anarchiques qui retombent en filaments gluants.
Fronts maculés et paupières barbouillées.
Baiser lacté, caresses post-coïtales.



Je me réveille avec un goût amer dans la bouche.

Je me sens sale.
J’ai l’impression d’avoir participé à cette soirée de débauche à l’insu de mon plein gré.
L’acte en lui même était très excitant, sulfureux, mais maintenant, avec le recul, je me dis que ce rêve n’était pas vraiment glorieux.
Quelque chose de cru, sec et grossier, une partie de jambes en l’air avilissante qui me donne la nausée.
Les souvenirs s’estompent, mais certaines images s’imprègnent toujours malgré nous, et je ne pourrais pas oublier totalement ce rêve là, au contrecoup désagréable.
Delphine.
L’une d’entre elle s’appelait Delphine. Je ne me souviens déjà plus très bien de son visage, mais le prénom m’est resté.
Je le note sur la feuille dédiée aux prénoms, puis une nouvelle barre verticale, et un trombone de plus sur la construction.
Pourquoi un trombone d’ailleurs ? Pourquoi pas une pile de pièces, ou un château de cartes ? Je ne me souviens plus…
Ah si, je sais.
Les paroles de la première fille, lors du premier rêve, bavarde et insatiable, avaient été particulièrement fleuries et excitantes.

« Trombone-moi, mon chéri, m’avait-elle gémi dans l’oreille en la mordant, trombone-moi jusqu’au fond »

Au réveil, ce souvenir particulier m’avait beaucoup fait rire, et je m’en étais rappelé quelques jours plus tard, lorsque je décidai de tenir les comptes de ces rêves à jour.
Cette pensée me requinque un peu, même si le contraste entre le rêve dégradant de cette nuit et cet oiseau mort qui me tient lieu de pénis dans la journée ne fait rien pour arranger les choses.
Après tout, je ne peux pas trop en vouloir à ces fantasmagories nocturnes. Sans elles, je serais probablement encore plus vierge que je ne le suis, et je n’aurais jamais pu goûter à la sensation, même virtuelle, de l’orgasme tel que je me l’imagine.
Il m’aura fallu 28 ans, quatorze ou quinze longues années de puberté avant de rêver mon sexe en érection, mon excitation satisfaite, et la vision enchanteresse d’une fille nue sous mes yeux, offerte et gourmande.
Peut importe la tangibilité du mirage, si tant est qu’il nous apporte satisfaction.
Après tant d’années, l’impression de boire est pour moi aussi cruciale que la réalité de l’oasis.
Mon dieu quelle morne et triste adolescence j’ai vécu.
Pas de découverte de son corps, d’érection à la vue des jupes virevoltantes de ses camarades de classe, de masturbation frénétique devant un porno enregistré en cachette.
Pas de premier touche-pipi, de fellation stressée à l’arrière d’une voiture.
Pas de première fois.
Pas même d’éjaculation précoce déshonorante dans les draps d’un amour lycéen.
Rien de tout ça. Seulement un ennui et une solitude qui ne pouvaient qu’aller en empirant.
Je me souviens parfaitement de mon premier émoi pourtant.
Ma première vapeur sexuelle, à ces époques où, à 13 ans, le moindre vase ressemblant de près ou de loin à un corps féminin pouvait provoquer des bouffées d’hormones, et où le catalogue de La Redoute était tenu pour être le summum de l’érotisme.

Ce jour là, j’étais chez un ami, et me remettais difficilement de notre pyjama party de la veille, qui avait tenu nos yeux ouverts jusqu’aux lueurs de l’aube. Je n’avais dormi que quelques heures, et mon corps était prêt à prendre le relai du cerveau pour réagir instinctivement au moindre stimulus.
Les yeux froissés et la vision floue, je venais d’aller me chercher un verre d’eau en espérant me rendormir quelques heures, quand je vis la mère de mon camarade sortir des toilettes simplement vêtue d’une nuisette grande ouverte, et de quelques gouttes de parfum qui embaumèrent le couloir en quelques pas.
Bien sûr elle se précipita vers la salle de bain, mais pas assez vite pour m’empêcher d’entrevoir clairement les contours de sa nudité, pendant qu’elle refermait les pans d’une nuisette dont la transparence ne cachait de toute manière pas grand chose.
Elle était encore belle et pas vraiment flétrie, les hanches trop larges mais les seins hauts, la cellulite abondante mais le ventre plat.
Aux premières rides de la quarantaine s’opposaient un visage sans retouches et un sourire immense.
Je dus m’arrêter net, la bouche bée et le front fiévreux, sentant le rouge me monter aux joues et un étrange élixir se diluer en moi.
J’avais vu ces seins fiers et le relief d’un mamelon, ces fesses un peu molles mais dodues, cette toison fine et rousse qui restait sa dernière pudeur, et ce petit sourire gêné qui tentait de donner le change.
L’excitation grimpait dans mon crâne comme une cordée de sherpas.
Dans mon esprit chauffé à blanc, je la prenais en soudard sans même lui dire bonjour. Elle jouissait sans lâcher sa brosse à dent.
Et pourtant aucune érection ne vint célébrer cette découverte. Rien.
Mon cœur battait plus vite, mon cerveau secouait sa cage, mais il manquait le support physique qui viendrait clore ce chapitre. La sensation agréable cessa peu à peu de l’être, me laissant un goût d’inachevé et un relent de frustration sur lequel je ne pouvais pas encore mettre de mot.
Il ne me fallu que quelques semaines et d’autres expériences similaires pour comprendre que quelque chose ne tournait pas rond chez moi.
Les discussions d’ados sur leurs membres respectifs et la fréquence de leurs pollutions, les  concours virils des douches communes, règle à la main, pour savoir qui avait la plus longue, avaient suffi à me faire comprendre qu’à ce jeu là, je finirais toujours bon perdant.

La suite n’avait été qu’une collection d’échecs et d’insatisfactions. Les rares conquêtes qui pourfendaient ma peur de la femme en prenant l’initiative et devenaient miennes ne le restaient pas longtemps. Toutes patientes et compréhensives qu’elles fussent, elles ne pouvaient supporter ad libitum un garçon incomplet, incapable de virilité, quand elles ne me quittaient pas avant même d’avoir découvert mon handicap, lassées de ne s’en tenir qu’aux chastes baisers et caresses, et à quelques gauches attouchements de ma part.
J’avais pourtant entendu parler d’une certaine catégorie de personnes « asexuées » et bien dans leur peau,  mais malgré mes recherches je n’en ai jamais rencontrées.
Et rien ne s’est arrangé en entrant dans l’âge adulte…
Je n’aime pas me souvenir de tout ça.

Je me sens ridicule parfois, et mon corps me dégoûte. C’est idiot, je ne suis pas hideux, mais sans personne pour me désirer, je ne m’aime pas vraiment moi même. Je ne me regarde jamais, ni dans la glace, ni mon corps, et surtout pas cette protubérance pathétique qui me sert si peu. Comme un aveugle, je fais tout au toucher, j’ai même appris à la sortir et à viser droit sans même regarder la cuvette. Je taille ma barbe au jugé, à la tondeuse, et je ferme les yeux devant le miroir du coiffeur.
Non, dans ma réalité, je ne m’aime pas.

Au final je peux m’estimer heureux de m’imaginer chaque nuit des galipettes dans la peau d’un autre, ou dans la peau d’un moi revisité, même si je ne le contrôle pas vraiment.
Une douche lavera cette désagréable odeur fantôme, et un petit-déjeuner copieux fera passer ces restes de nausées.

Je laisse ma boule de quarante trombones qui se dilate au gré de mes expériences nocturnes, et me dirige à pas fatigués vers mon mardi.


***


J’ai déjà vu cette fille.

Ce n’est pas la première fois qu’elle fait partie de mes rêves érotiques. Rares sont les demoiselles qui reviennent prendre part à mes délires, et je me souviens très bien de celle-là. J’imagine que mon cerveau fait de lui même le tri et conserve automatiquement dans le dossier « À réutiliser » mes nymphes préférées.
Que le sexe est doux avec elle. Que les mots sont tendres, et qu’elle est belle.
Dieu que cette fille est belle !
C’est sans nul doute, et malgré le brouillard indissociable des rêves qui efface les détails une fois réveillé, sans nul doute la fille la plus magnifique, la plus parfaite que je ne verrai jamais dans ces fantasmes, et que je n’aurai probablement jamais pu avoir dans la réalité.
Louée soient les divagations de mon inconscient, qui ramène à moi cette somptueuse créature.
Ses longs cils sur des yeux turquoise, en amandes, battent comme des ailes de papillon.
Son nez fin est une flèche qui indique la route à suivre vers sa bouche rose et gourmande, qu’un petit rire entrouvre pour laisser voir une langue pointue.
Elle la tire, cette langue, d’une moue faussement boudeuse qui excite encore plus.
Autour de nous, je distingue l’habitacle d’un van, aménagé façon bohème.
Elle finit de se déshabiller devant moi, à grands gestes lascifs et coquins. Son soutien-gorge a déjà glissé jusqu’à ses pieds, et seuls ses cheveux blonds, démesurément longs, cachent un peu les globes soyeux de ses seins en orange.
D’un geste du doigt elle m’attire vers elle, et me laisse écarter moi même les quelques mèches qui me séparent de ses tétons.
Comme un rideau devant une œuvre d’art, je les repousse délicatement, et les laisse reposer sur les courbes de ces mamelles rondes et lisses, ni trop larges ni trop agressives.
Je caresse leur arrondi, m’attarde sur leurs pointes tendues d’excitation, les laisse reposer dans le creux de mes mains juste assez grandes pour elles.
Elle a fermé ses yeux. Je dépose un baiser sur ses lèvres brûlantes.

« Laisse-moi faire, lui dis-je dans un souffle, je m’occupe du reste »

Je ne reconnais pas ma voix. Enfin, c’est un rêve après tout, c’est probablement la mienne, mais je n’ai pas l’impression d’avoir prononcé ces mots, juste de les avoir entendu. Toujours la même impression de distanciation digne d’un début d’ivresse.
Les images se succèdent dans un ballet sensuel.
Mes lèvres qui glissent sur son buste.
Ma langue qui court autour des aréoles, trace son sillon le long de son ventre d’une perfection indécente.
Ma langue qui s’arrête un instant pour chatouiller son nombril, et son rire fruité qui la fait tressaillir.
Ma bouche qui descend encore, et mes dents qui s’accrochent à sa culotte de dentelle rose, faisant glisser ce dernier rempart le longs de ces hanches au galbe affolant, sur ces cuisses blanches et fermes.
J’hume avec délice les senteurs de jasmin piquant et de désir acide.
Un baiser sur la peau glabre.
Mes lèvres sur ses lèvres.
Ma langue qui se perd sur ce bouton de rose, et au creux du gynécée qui se gorge d’ambroisie.

Je la vois qui me rend la pareille.
Je sens ses baisers humides sur mon sexe.
Ses mains qui enserrent en coupole, les vapeurs de sa gorge et sa langue qui s’enroule.
Ses seins effleurent ma poitrine et ma bouche, mes mains caressent les contours de ses fesses rebondies.
Ses lèvres dans mon cou, elle s’accroupit sur moi, et telle une fière amazone impudique et virginale, elle laisse glisser ma verge entre ses pétales trempés pour me chevaucher avec douceur.
La sensation est merveilleuse, le paysage est magnifique, et sa respiration sonore, la cambrure de ses reins sous mes doigts, font monter le plaisir à une vitesse fulgurante.

« Fred, me susurre-t-elle en posant mes mains sur ses seins tressautant en cadence, te retire pas. Viens-en moi s’il te plait. On va jouir ensemble. Je veux te sentir venir en moi. »

Et j’obtempère. Que faire d’autre ? Et puis après tout, c’est mon rêve qui me contrôle et pas le contraire. Je ne fais que le subir avec délice.
Au moment suprême, se sentant monter avec moi, elle m’enlace et m’embrasse profondément, tandis que mes mains se crispent entre ses cuisses et ses fesses.
Le flot jaillit, et sa chaleur est douce à mon orgasme.
Le sien est silencieux, mais les contractions sont intenses.
Nous restons haletants, serrés dans une étreinte délicieuse.



Au réveil, au-delà du sourire béat de satisfaction virtuelle, c’est une interrogation intriguée qui occupe mon esprit.

Fred.
Elle m’a appelé Fred.
Je ne m’appelle pas Fred, pourquoi est-ce qu’elle m’appellerait comme ça ? Enfin pourquoi est-ce que dans mes propres rêves hallucinatoires, je me ferais appeler par un prénom qui n’est pas le mien ? Comme si j’avais honte d’être moi.
Ce n’est pas une personne que j’admire, ni quelqu’un que je jalouse. À vrai dire je ne connais pas de Fred.
Ce n’est pas non plus un des nombreux docteurs qui ont égrené mon long chemin de croix vers le néant sexuel.
Non, je me souviens de chacun d’entre eux. Les consciencieux, les compréhensifs, les moqueurs, les méprisants, les "je-m’en-foutiste" qui cherchaient à m’envoyer chez un psychologue, les psychologues vers qui je me dirigeais en désespoir de cause.
Je me souviens de chacun de leur prénom.
Des Jean-Jacques, des Georges, des Jérôme, des Léon, des Géraldine, des Sylvain, des Maëva, même un Saturnin.
Des années à essayer thérapies, médication, à passer des examens médicaux et des tests psychologiques. Mais rien ne semblait anormal dans mon corps, rien ne bloquait la circulation du sang, tout aurait dû marcher à la perfection.
J’ai dépensé des sommes folles pour parvenir à devenir entier, j’ai tout essayé, dilatateur, aphrodisiaques, bois-bandé, corne de rhinocéros et Viagra…
Mais il n’y avait rien à faire, pas le moindre afflux sanguin dans les corps caverneux, pas de gonflement du corps spongieux, pas une seule érection pénienne.
Aujourd’hui je pourrais ouvrir une pharmacie au marché noir, spécialisée dans les troubles érectiles.
Le prêcheur est mauvais paroissien…
Non, pas de Fred dans mes connaissances, je ne sais pas comment j’ai pu coller ce prénom dans le bouche de…
Comment s’appelle cette fille déjà ?
Je cherche dans ma liste de filles rencontrées au fil des rêves. Cinquante nuits après, mes trombones forment une belle boule d’acier, et cela fait une sacrée liste de prénoms.
Lucie, Sophie, Julia, Ondine, deux Audrey, Jessica, Marion, Rachel, Emma, trois Juliette, Patricia, Arya, Emilie, Alice…
Alice, voilà, elle s’appelle Alice, la blonde naïade.
Pourquoi mon petit cerveau embrumé a-t-il décidé de me faire appeler Fred par cette Alice ? Quel tour mon subconscient essaie-t-il de me jouer ?
D’ailleurs d’où est venu ce prénom d’Alice ? Et de toutes ces autres filles ?
Au vu de ma situation, rares, très rares ont été mes rencontres féminines, j’ai peut-être croisé une Juliette, connu une Emilie, je suis sorti avec une Delphine, mais c’est tout.
Pourquoi particulièrement ces prénoms-là ?
Peut-être que ça mériterait que j’en parle à un psy, ou tout autre métier de la médecine où l’on se cure les ongles en hochant la tête d’inattentifs « hmm hmm » au discours d’un patient.
J’y réfléchirai. On verra.
Ces charlatans seraient capables de me gaver d’anxiolytiques et d’effacer définitivement ces derniers vestiges d’une vie sexuelle de ma vie nocturne.
Et ça, c’est la dernière chose que je veux.

À réfléchir comme ça, je me suis mis en retard sur l’horaire. Tant pis, pas de douche, pas de petit-déj, je m’habille en quatrième vitesse et pars au boulot. J’arriverai sale et affamé, mais j’arriverai à l’heure.


***


Les nuits se succèdent, et deviennent une routine agréable.

Chaque jour passe avec le désir pressant de retrouver mon lit et de me rendormir.
Mon quotidien se divise de manière très simple, avec des journées enfermées dans un bureau, quelques sorties à la Poste ou au supermarché, et des nuits passées dans les bras et les cuisses de Morphée.
Parfois, le week-end, je me force à dormir des après-midi entières pour retrouver mes concubines, mais si je rêve bien à nouveau d’ébats flamboyants, je ne m’en souviens jamais.
Je crois que j’ai pris un rythme de rêverie, et avec lui une certaine accoutumance.
Une forme d’addiction, et son revers, qui me laisse de plus en plus souvent une curieuse sensation d’insatisfaction. Je n’aurais pas cru dire ça un jour, mais tel un Don Juan coureur de jupons et habitué au sport en chambre, je reste parfois sur ma faim, et il me tarde sans cesse de revenir goûter à de nouvelles expériences.
J’ai revu Alice dans mes rêves. Elle était avec une amie, et un autre garçon était là aussi.
Etrange surprises que les idées enfouies dans notre subconscient.
Camarades de jeu ou pas, les frivolités avec Alice restent toujours suaves et sensuelles. Avec les autres filles, elles sont un peu plus sauvages et passionnées, parfois de purs produits de plaisir charnels, expéditifs et fulgurants, certaines sont plutôt douces, et d’autres carrément bestiales.

Cette nuit le rêve commence dans la rue, et je ne suis pas encore accompagné.

C’est rare, c’est comme commencer un récit d’aventure par un prologue qui situe l’action.
Le temps est toujours morcelé, distendu, et la vision pas complètement nette des rêves me rappelle toujours l’état cotonneux des enivrés.
La devanture d’un magasin dans une ruelle étroite.
Je ne distingue pas toujours les couleurs, mais les tons ont l’air sombre, et comme je m’approche, je peux lire clairement le nom de la boutique. Effectivement, tout s’explique.
Délices de cuir, vente d’articles BDSM, shows nocturnes, et cabines privées 24H/24.
Quel délicieux programme.
L’intérieur tient autant du sex-shop racé que de l’exposition d’art contemporain.
Vidéos, manuels, et livres anciens.
Cravaches, masques de vinyle et accessoires étranges.
Des roulettes à pointes en acier inoxydable, des speculums, des cordes et des pinces.
Des mannequins arborent de curieux harnais buccaux munis de grosses boules rouges, d’autres son vêtus de combinaisons intégrales striées de fermetures éclair, ceints de laisses et de bracelets à pointes, cagoulés de curieuses effigies animales.
Des godemichés démesurés trônent sur le comptoir, des suspensions de cuir tissent une toile sombre au plafond.
Un petit cabinet des tortures et des plaisirs à l’odeur animale.
Je vois la fille.
C’est une asiatique à la prestance folle, une walkyrie du plaisir toute de noir vêtue qui m’attend au fond du magasin.
Elle est juchée sur des talons hauts qui remontent en cuissardes brillantes sous ses genoux, et au-dessus, des cuisses fines décorées d’un porte-jarretelle en cuir, dont la fermeture éclair ouverte au niveau de l’entrejambe dévoile une lippe rose et charnue à la toison habilement élaguée.
Son buste est simplement orné d’un harnais à larges lanières, tout en cuir également, émergeant de chaque côté du pubis, puis se faufilant en entrelacs savants autour de la poitrine pour mettre en valeur ces merveilleux seins en poire, dressés vers l’horizon, avant de finir leur course comme des bretelles sur ses épaules.
Ses tétons fins sont capturés par des pinces rouges, reliées entre elles par une chaîne d’argent.
Aux poignets, des bracelets et au cou, un collier, tous agrémentés d’excroissances métalliques.
Ses yeux sont cerclés de noir, et ses cheveux de jais disparaissent dans son dos en une longue tresse.
Elle tient des menottes d’une main et un fouet interminable de l’autre, qu’elle fait claquer nonchalamment en m’attendant.
L’érection distend déjà mon pantalon de velours.

Je dois la suivre, j’entrevois une salle de spectacle, une performance en suspension est en cours devant un parterre excité mais discret.
Des cabines privées, des coups, des grognements, des cris, des ordres et des quadragénaires à quatre pattes.
Ma chambre au lit d’ébène fourmille d’instruments et de décorations étranges.
La fièvre monte avec une pointe d’appréhension, et les clichés s’enchaînent.
Attaché fermement au lit, immobilisation et douleur lancinante.
Cagoule sur le visage, souffle chaud et cécité.
Une main autour de mon sexe, un mouvement de va-et-vient, une large griffure de l’autre main.
Je gémis un peu.
Plaisir ou douleur, plaisir et douleur.
Caresses génitales appuyées et expertes.
Coups de cravache sur les cuisses.
Mes bourses enserrées fermement dans une lanière de cuir.
Accélération, mouvements de pompe, doigt qui se glisse et s’introduit.
Plaisir, morsures, fouet et martinet.
Mont de venus sur le visage, j’étouffe presque sous la cagoule.
Phallus absorbé tout entier, comment fait-elle ça ?
Sa langue se promène comme jamais.
Respiration pantelante, j’ai la bouche emplie d’exquises profondeurs féminines.
Elle frotte son sexe contre le mien.
Je reprends mon souffle, j’ai mal et je me délecte.
Une gifle.
Elle s’empale vigoureusement sur mon pieu.
Je ne vois rien, je sens des mouvements du bassin divins et millimétrés.
C’est moi qu’on pénètre, sans réelle douleur.
Le plaisir vient de chaque face.
La douleur est ailleurs.
Morsures dans le cou, coups de fouet sur le torse.
Et les mouvements s’accélèrent jusqu’au paroxysme.
Je jouis de toutes mes forces, en serrant un peu les dents.



Le réveil est brutal ce matin.

Même sortie de mon imagination, c’est le genre d’expérience qui secoue fortement.
Mon cœur bat comme un tambour de guerre, je me sens trembler un peu.
Le souvenir de la douleur s’efface plus vite que celui du plaisir, mes rêves restent des rêves, flous et oniriques, mais tout de même, qu’est-ce qui peut bien me passer par la tête quand je ne contrôle rien…
Mes congés ont commencé, et si je me soumets au rituel du matin, je me recouche aussitôt.
Je ne bougerais que pour manger et aller aux toilettes de toutes les vacances.
J’ai besoin de récupérer.

Le choc arrive plus d’une semaine plus tard, lorsqu’à la faveur d’une course pour le patron, je suis obligé de sortir du bureau comme un survivaliste d’un abri anti-atomique. Je ne connais pas ce quartier de la ville, et pense m’être perdu quand je tombe nez à nez avec Délices de cuir.
J’en fais tomber ma sacoche et manque de trébucher dans une grille d’égout.
Je ne suis jamais venu ici. Je ne suis pas sorti de mon bureau ou de mon appartement depuis des mois.
Et pourtant, la boutique est bien là, comme dans mon rêve, les mêmes articles, la même devanture. Les souvenirs s’effacent toujours un peu, mais je me rappelle très bien de ce magasin.
Mon pouls s’emballe, je sens déjà une goutte glacée dévaler ma tempe.
Dans un réflexe incohérent, j’entre.
Le mirage ne s’est pas évanoui. L’échoppe est toujours là.
Tout y est, rien n’a changé, et les détails que j’avais oubliés refont surface. Les cravaches, les accoutrements de cuir et les cagoules. Les harnais au plafond et les godes sur le comptoir. En m’approchant de l’arrière-boutique, je vois la salle de spectacle ouverte, les outils de suspension toujours accrochés aux poulies. Un agent d’entretien balaie la scène.
Ce soir les gradins seront remplis et l’ambiance obscène.
Si j’avance dans le couloir, je verrai les portes entrouvertes, j’entendrai les grognements et les coups de fouet, et au fond, sur la droite, le lit noir en fer forgé et l’asiatique en cuissardes.
Je recule dans des mouvements désordonnés, pas tellement horrifié, mais bouleversé par la nouvelle.

« Il vous faut quelque chose Monsieur ? »

Je sursaute. Un vendeur est apparu derrière le comptoir, et me regarde d’œil amusé, me prenant sans doute pour un cadre discret cherchant l’encanaillement sans oser s’avancer.

« Non, ça va je regardais juste… »

J’étouffe ici. Il faut que je sorte, que je retrouve mes esprits et que je remette tout ça en ordre. Je quitte la boutique aussi précipitamment qu’un curé sortant d’un sex-shop. J’ai juste le temps d’entendre la réflexion goguenarde du vendeur, certainement à l’attention d’un collègue.

« Encore, un timide. Il reviendra vite. »

Je m’assois à même le bitume.
Bien.
Passée l’angoisse de la découverte initiale, j’en viens vite à la seule conclusion que je trouve plausible. Pas la peine de réfléchir des heures, de se triturer les méninges en se disant que ce n’est pas possible, les faits sont là.
Ce ne sont pas des rêves.
Ce n’est pas mon cerveau qui s’imagine des parties de jambes en l’air, c’est mon esprit qui se connecte à celui d’un chaud lapin qui existe vraiment.
Doux Jésus je nage en pleine science-fiction !
Quel pied !
Ca explique tout.
Ces lieux qui existent vraiment, toutes ces filles que je n’ai jamais connues, la belle Alice qui m’appelait Fred…
Pas étonnant que j’aie eu l’impression de ne pas tout contrôler.
Je ne suis pas le propriétaire de ce corps, juste un spectateur, je vois par ses yeux, je ressens ce qu’il ressent, j’ai les mêmes envies que lui, même si elles s’évanouissent peu à peu au matin.
Je m’intègre à son âme en quelque sorte, je fais partie de lui l’espace de quelques heures, chaque nuit.
C’est fou…
Bon sang, c’est encore mieux que de rêver !
Voilà pourquoi ça semblait si réel, ces filles existent vraiment, je leur ai vraiment fait l’amour d’une manière ou d’une autre.
Le plaisir est réel.
Je jouis par procuration.
La nuit venue, j’enfile mon costume de super-héros et je baise à couilles rabattues.
Complètement farfelu ? Certes oui, mais alors qu’est-ce que je m’en moque !
Fred est très amoché dans son cerveau, c’est sûr, et à tête reposée je dois avouer qu’il a des lubies parfois bizarres, mais qu’importe puisque, la nuit venue, je me fonds en lui et partagent les mêmes pensées, les mêmes envies.
J’espère seulement qu’il ne deviendra pas un fervent adepte de Délices de cuir.
J’ai pris beaucoup de plaisir, mais la douleur n’est pas vraiment ma tasse de thé.
Quel homme, merde.
Ce matin j’ai accroché mon 77ème trombone. Cela fait deux mois et demi qu’il couche avec une fille différente presque tous les soirs.
Enfin qu’on couche avec une fille différente tous les soirs.

Il me tarde d’aller me mettre au lit.


***


Les nuits passent comme autant de friandises.

Heureusement, Fred n’a pas décidé de se calmer, il m’emmène toujours vers de nouveaux horizons, des monts et des vallées exotiques, de nouvelles contrées vierges à explorer ou des terrains conquis.
Je me laisse porter par le courant qui nous lie. Mes désirs sont ses désirs, ses gestes sont mes gestes, je jouis sans contraintes et sans responsabilités, et mes problèmes érectiles diurnes me semblent bien loin maintenant.

Nous revoyons souvent Delphine et son amie, parfois avec une nouvelle comparse, dans le taudis vétuste à l’odeur âcre qui nous sert de lupanar.
Fred semble particulièrement aimer le côté cru et crasseux, sans tabous ni fioritures, de ces deux filles. Il me fait penser aux bourgeoises excitées qui partaient à la campagne dans l’espoir de trouver un homme du peuple, un paysan sale aux mains calleuses qui la besognerait vigoureusement à même le foin sans prendre le temps d’ôter sa robe.

Elles acceptent tout, se soumettent volontiers, et c’est terriblement excitant.
C’est incroyable ce que peuvent faire trois langues qui s’entremêlent sur un même sexe.
J’accueille les brumes du partage d’esprit avec bienveillance, et je laisse faire Fred.
Corps nus et gluants, imbriqués les uns dans les autres.
Dilatations, cris et semence chaude.
On se repose au creux de leurs bouches, et la machine repart.
Deux fois, trois fois.
La nouvelle venue est une trentenaire de tout petit gabarit, mais aux seins gigantesques, larges et ronds, qui pendent à peine et sont moelleux comme des coussins de plumes.
Quel plaisir d’y glisser notre engin, de le sentir glisser sur la salive, tout emmitouflé entre ces deux pis gonflés serrés par des mains expertes, jusqu’à l’extase qui se répand dans sa bouche ouverte, son visage dans nos mains.



Au réveil, j’essaie de conserver en tête tous les détails de la nuit, mais des fragments restent dans le crâne de Fred.

Ca n’empêche pas ma bonne humeur, le rituel quotidien de la barre verticale griffonnée sur un cahier et du trombone, et l’espoir que la journée passe à toute vitesse.


***


La fille aux cheveux rouges nous a dragué.

Je vois son visage.
Un peu maigre et fatigué, mais ses yeux pétillent.
Une petite punkette aux tout petits seins, aux toutes petites fesses, un anneau discret au nez et un tatouage de serpent au-dessus du pubis.
Une étudiante en Langues Étrangères Appliquées.
Quelques verres et quelques mots.
Elle veut nous faire boire.
Elle nous entraîne dans un amphithéâtre désert.
Sa longue jupe bouffante se retrousse sur un bassin nu.

« Regarde mon tatouage, dit-elle,  approche toi, regarde-le de très près. »

Elle nous a à sa botte je crois.
Nous prenons ses mains dans les nôtres.
Je respire la rosée. Cyprine et savon doux.
Le serpent semble s’enrouler autour d’un rectangle pileux, comme attiré lui aussi.
Notre bouche s’égare.
Fleur ouverte en corolles éparses.
Petit pilier dressé.
Les lèvres embrassent et tètent.
La langue s’aventure dans les profondeurs mouillées.
Nous la prenons à même le pupitre, devant un public invisible, et ses gémissements saccadés résonnent contre les murs.
Sans prendre le temps de vérifier si sa robe est tâchée, un baiser acidulé en guise de merci, elle s’enfuit dans un au revoir de la main.



Réveil. Rituel. Boulot.


***


Les plaisirs les plus simples peuvent être les meilleurs.

J’ai laissé Fred s’occuper de l’appât. Il a dragouillé une inconnue dans un bar.
Un visage d’ange aux boucles rousses, les joues pommelées de tâches oranges.
Une jeune maman libre pour la soirée.
Inutile de la rendre ivre.
La discussion se fait, le charme opère.
Une simple proposition d’un Smartphone dernier cri en échange de compensation.
Une simple pipe à boire acceptée derrière l’entrée de service.
Elle fait ça très correctement, avec application, c’est très bon, et elle va bien jusqu’au bout, sans rien recracher.
Son forfait accompli, elle se relève un peu gênée, et tandis qu’elle époussette ses bas salis aux genoux, on s’enfuit en courant à travers le parc.
Ce n’est pas vraiment gentil de la part de Fred.
Il ne l’avait pas de toute façon cet appareil, mais il aurait pu lui donner autre chose.



Je me réveille un peu agacé par le comportement de mon camarade.

Si je pouvais converser avec lui, je lui expliquerais, mais je ne sais même pas s’il sent ma présence.
Je ne peux pas vraiment lui en vouloir en fin de compte. 90 trombones, 90 jours que je me vautre dans le stupre et le plaisir charnel sans craindre les conséquences, qui pourrait le lui reprocher ?

Vivement ce soir.


***


Cette fille me fait penser à Alice.

Son corps est plus musclé, vraiment athlétique. Elle a une longue carrière dans l’équitation, et sait merveilleusement contracter ses cuisses et sa vulve autour de notre verge.
Mais elle est douce surtout. Elle n’est pas aussi belle, mais son sourire est franc, ses gestes sont mesurés, tout son corps est attentif.
C’est agréable, mais on s’ennuie tout de même un peu.
Ses baisers au creux du cou, ses caresses du bout des doigts, ses mouvements délicats, tout semble manquer de vigueur.
Nous jouissons un peu poussivement au creux de ses cuisses.



Le réveil est un peu difficile pour une fois.

J’ai moins d’énergie que d’habitude.
Un coup pour rien.


***


Ce soir, Fred m’emmène dans une partouze.

Je le sais, à travers les interférences vacillantes je nous vois marcher vers une devanture discrète, au videur sobre et élégant, éclairé par un néon qui indique La salle de jeux.
En s’approchant plus près, on peut distinguer un intitulé équivoque.
Cabaret érotique.
Soirées libertines.
Orgies sexuelles.
22h -05h.
Etrange idée.
J’appréhende quelque peu, mais ma gêne est noyée sous le flot de notre excitation.
La porte s’ouvre.
Une hôtesse au seins poudrés, perruque bleue et mini-jupe pailletée.
Elle tient un plateau rempli de vibromasseurs en tout genre.

« J’ai pas de culotte, nous dit-elle, vous voulez toucher ma chatte ? »

Pourquoi pas, au passage, laisser glisser ses doigts sur une toison frisée.
Des photos de sexes ornent le vestibule, et le plafond est décoré d’une fresque scabreuse.
Au vestiaire nous devons remettre nos vêtements à l’hôtesse, clone de la première aux aréoles plus large, qui nous dégrafe la chemise et enlève pantalon et caleçon.
Mes yeux pétillent d’excitation, je ne sais plus où donner des sens tant ils sont mis à contribution dans cet antre de la luxure.
Elle embrasse chaleureusement notre verge déjà dure.
Cadeau de bienvenue.
Et nous dirigeons ce corps à deux âmes, libre et nu, vers la lumière et le bruit.

Des corps.
Des corps dénudés à perte de vue.
Une houle vivante, qui frémit, gémit, ondule à l’unisson comme une seule entité.
Des cuisses, des seins, des mains, des visages, des phallus, entassés les uns sur les autres, tel un charnier de chairs roses nanti d’une vie propre.
Étalés sur leurs coussins, dans des lits en dénivelé et des matelas qui courent sur tout le sol, des humains en sueur s’interpénètrent, se caressent, se mordent et s’enlacent, engloutissent des protubérances diverses et enfouissent leur langue dans tous les orifices à disposition. Ils agrippent à plusieurs des seins fermes et des fesses flasques, des cons spongieux et des culs moelleux, s’arrosent de champagne et de liquides corporels, se gavent de nourritures graisseuses à même les corps alanguis.
Dans le capharnaüm sonore des discussions, des cliquetis des bijoux, des bruits de succion et des gémissements rauques ou aigus, on entend parfois un grand râle de jouissance, un rire surpris ou un cri de plaisir.

C’est ignoble et dégoûtant, bien sûr, une boucherie appliquée aux choses du sexe.
Mais j’y plonge sans hésiter, le dard dressé et gonflé comme jamais, et Fred me suit comme un seul homme.
Je patauge dans cette mer de morceaux humains et de fluides divers, glissant entre les corps, laissant ma peau, ma bouche, mes mains s’attarder sur la chair palpitante qui passe à ma portée.
Mes lèvres goûtent, mes doigts plongent, mes yeux se perdent sur ces champs de tiges molles ou dressées, sur ces jeunes marguerites odorantes et ces vieux nénuphars qui s’ouvrent pour être arrosés.
On me suçote à la volée, des mains sorties du maelström me tâtent et me caressent, et nous nous frayons un passage au milieu des embruns épais, des odeurs d’haleine chaudes et de poils humides, de poissons secs et d’algues stagnantes.
Dans une clairière d’oreillers, une blonde se libère.
Un cri d’amour vulgaire à la chirurgie plastique.
Son corps est lisse et bronzé, de cette perfection triste qui n’appartient qu’aux objets d’art moderne.
Elle reprend à peine son souffle, un peu déphasée par cette multiplication des petits pains, que nous nous faufilons jusqu’à elle sans perdre une seconde.
De gros seins gonflés par le silicone, dressés comme un bras d’honneur à la gravité.
Une bouche pulpeuse à outrance, moins faite pour parler que pour dévorer bien plus que de la nourriture.
Aucune imperfection, ni ride, ni poil, ni amas de graisse égaré.
Pas de tache de rousseur ou de grain de beauté.
Son ventre est plat, lisse et luisant comme de la toile cirée.
Je regarde son cul aux proportions parfaites, lustré par l’huile et la sueur, dont la courbure est si elliptique qu’il semble prêt à éclater.
Je l’attire à nous par les jambes, j’hume cette senteur délicieuse d’asepsie totale.
Elle est entièrement glabre, impossible, même en collant mes yeux, de déceler une trace de pilosité, ni même de taches ou d’abrasions.
Même son sexe, d’une symétrie parfaite, se fait gracieux et discret. Rien ne dépasse ou ne fait défaut. Les lèvres closes, elle attend un nouveau serrurier.
Trouble et délices.
Ivresse et débauche.
Je pourfends, je claque, nous nous abandonnons à tout vice à notre portée.
Ici il n’y a plus d’hommes ou de femmes, d’épouses ou de maris, de frères ou de sœurs, d’hétéros ou d’homosexuels, rien que des corps qui se rencontrent avec frénésie.
Sans distinction de sexe, d’âge, de culture ou d’ethnie.
Pendant que nous besognons vigoureusement la poupée de plastique, je soupèse des seins un peu plats, je goûte à l’anus brun d’une jeune à peine nubile, j’agite un sexe d’homme plus épais mais plus court que le mien,  je sens des doigts agiles s’insérer en moi, j’embrasse, je caresse, j’enlace, je vibre, je jouis.
Les ébats durent encore et encore.
Fred me fait découvrir les cris d’une présentatrice télé en vogue, les perversions d’un couple de hollandais,  l’énergie d’une veuve sexagénaire, l’insatiabilité exaltée d’une callipyge d’ébène qui peut contenter cinq mâles et deux femelles sur son seul corps…
Les festivités se terminent toujours sur des douches chaudes et des corps brûlants.
Copulation.
Coït.
Fornication.
Encore, encore, encore et encore.
Encore.
Encore…



Je me réveille dans un spasme acide qui me renverse les entrailles et contourne la pesanteur.

J’ai juste le temps de courir vers la salle de bain entre deux haut-le-cœur fulgurants, avant qu’un jet âcre et bouillant jaillisse de ma bouche.
Je vise non sans mal la cuvette des toilettes qui se retrouve éclaboussée d’une liqueur rance et pâteuse. Mon estomac se convulse encore deux ou trois fois, aspergeant la porcelaine déjà souillée de filets biliaires.
Quelle nuit, seigneur.
Je crois que c’est trop pour moi.
Le fossé qui sépare l’excitation phénoménale de la nuit et l’objectivité honteuse du réveil est un peu trop profond.
Pourtant le plaisir était immense, il me reste des bribes de cette allégresse orgiaque et libidineuse, mais à tête et corps reposés, je ne ressens qu’un profond dégoût pour moi-même, et pour la passion que j’ai mise à m’immerger dans cette masse répugnante de corps sans règles ni tabous.
Alors que je hoquète mes dernières contractions, je me promets de penser de toute mes forces à ce problème lors de notre prochaine fusion. Je suis sûr qu’en y mettant du mien, Fred peut sentir mes pensées et mes réflexions.
Plus de partouze.
Ou alors je me désolidarise du duo. Je fermerai les yeux et je méditerai pour m’imaginer ailleurs.
Je me demande si je peux faire ça, si je peux l’obliger à fermer les yeux.
Vu la relative incapacité à contrôler les situations hors de mon corps, ce n’est pas gagné, mais après tout, avec un peu d’entrainement…
Je fais partie de ce corps autant que lui la nuit venue, je partage ses envies, et ses gestes sont mes mouvements. Quand je suis dans sa tête, nous ne faisons qu’un, si je décide d’avoir une pensée dissidente, il faudra bien la laisser devenir notre pensée.

Je n’ai jamais connu d’accouplement dans la réalité, et toi après trois mois seulement tu m’emmènes dans un concentré de stupre paillard et répugnant, une bacchanale aussi troublante que pathétique, c’est un peu brutal.
Je ris tout de même de la situation en tirant la chasse sur les résidus de ma nuit psychique.

Un nettoyage de finition, une bonne douche chaude pour laver mon corps et mon esprit, je passe outre une quelconque nourriture au moins jusqu’à midi, et en complet veston je me traîne sans hâte au travail, en me disant qu’une journée studieuse ne sera pas de trop pour souffler avant de reprendre mes activités cérébro-lubriques.


***


Cette chambre est glauque.

Le réduit de Delphine et ses copines n’était déjà pas bien reluisant, sale et désordonné, mais cette pièce-là à quelque chose de terriblement triste et malsain.
Le papier peint délavé aux motifs floraux ressemble aux vieilles tapisseries de nos grands-mères, les murs n’ont pas de fenêtre, le lavabo n’a pas de miroir, le lit métallique se terre dans un coin, à proximité d’une corbeille à papier remplie de mouchoirs, et l’unique ampoule jaunâtre qui vacille au bout de fils dénudés donne à la chambre des allures de modèle d’exposition pour pénitencier pakistanais.
Je regarde autour de nous.
Au moins il y a une porte, avec une clé dans la serrure, nous ne sommes pas arrivés dans ce cloaque par l’opération du Saint Esprit.
Au moins il y a une fille.
Elle vient de s’asseoir sur le lit, la tête un peu baissée, et dans la semi-pénombre de la pièce je ne la distingue pas bien.
Je ne vois qu’un carré de cheveux châtains orné de mèches multicolores, une veste en jean, une jupe courte et noire, et des mains blanches posées sur des genoux calleux.
Nous nous approchons d’elle avec assurance et envie.
Je relève sa tête.
Elle pleure doucement. Des traînées sombres qui se répandent sur son visage juvénile, et une bouche trop rouge qui tremble entre deux joues pouponnes.
Bon dieu, Fred, mais c’est une gamine ! Elle ne doit pas avoir plus de 16 ans ! Qui est-elle, quel est cet endroit ?
Un regard implorant, et notre main vient glisser sous sa chemisette, entre les pans de sa veste.
Elle ne porte pas de soutien-gorge. Sous nos larges mains, ses petits seins fraîchement pubères semblent flotter.
Je voudrais avoir envie de m’indigner, de m’enfuir, tout plutôt que ce sang qui afflue en masse sous mon pantalon.
De l’autre main nous posons sa joue sur la bosse qui s’agite sous mes vêtements. Elle sanglote quelques mots.
Elle ne parle même pas notre langue et sa supplication reste sans réponse, alors qu’elle desserre lentement notre ceinture.
Je ne veux pas ça.
Je veux ça, oui, j’en ai envie.
Mon Dieu, Fred, qu’est-ce qu’il se passe ici ?
Est-ce que je dois me dédouaner, me dire que je n’ai aucun pouvoir, accepter ce désir qui n’est pas vraiment le mien ? Est-ce que je n’ai pas l’impression en faisant ça que je participe sciemment à des appétences inavouables, remisées d’ordinaire dans une cave sombre au fin fond de mon inconscient ?
Elle est si jolie, malgré les larmes qui ont maculé ses joues, elle semble si innocente avec ce regard vert qui renonce, maintenant qu’elle tient notre sexe entre ses petites mains.
C’est froid, doux, et honteux.
Nous dirigeons ses mains sur nos fesses, et sa bouche commence son activité dans un soupir.
15 ans. Pas plus.
Je ne veux pas être là.
C’est mal, mais c’est bon, c’est si bon.
L’interdit, même le plus répugnant, peut être affriolant au cœur de certains, et Fred le sait bien. Je ne contrôle rien ici.
Il tient le visage de la petite à deux mains, les doigts dans les cheveux emmêlés, s’activant à l’irrumation dont j’ai trouvé le terme dans les méandres de son cerveau malade.
Ferme les yeux, s’il te plaît, ferme les yeux.
Ou détourne le regard.
Je regarde la scène avec excitation, j’entends les bruits de gorge et de succion, je me dégoûte et je veux continuer.
Il la relève, passe nos mains sous sa jupe, fait glisser sur ses jambes maigres une culotte rose de gamine.
Nous lui demandons de s’allonger sur le lit. Je pense qu’elle a compris. Elle secoue la tête en véritable acte de bravoure.
Il la gifle violemment.
Elle reste là, choquée, la joue meurtrie, sans même porter la main à son visage.
Je la gifle à nouveau d’un revers de la main.
Ses yeux sont humides mais elle ne pleure pas. Elle s’allonge sur le ventre avec résignation, et lentement retrousse sa jupe pour dévoiler son postérieur.
Je perds la notion du temps.
Dieu merci ma vision de la situation redevient morcelée, je capte des images, des sons, des sensations, mais je n’ai plus vraiment conscience de l’acte en lui même.
Un pubis encore clairsemé.
Nos propres grognements cadencés.
Et cette décharge de plaisir hideux qui n’en fini pas de monter en moi.



Je me réveille en sueur, le cœur comme dans une course de chars.

Que s’est-il passé là bas ?
Qu’est-ce qui nous a pris ?
Qu’est-ce qui lui a pris ?
Ce n’est qu’une gamine bon sang, une ado tchèque ou ukrainienne qui a dû se retrouver par malheur à se prostituer dans notre pays.
Une centaine de jours que l’on baise tous les soirs, plus de cent filles différentes, ma construction en trombone a la taille d’une ballon de handball, quel besoin avons-nous d’user des services d’une prostituée, mineure qui plus est ?
Elle était à peine consentante, juste consciente qu’elle n’avait pas d’autre choix…
Et moi j’ai laissé mon âme la pénétrer, j’ai laissé notre corps la posséder, et je ne me sentais pas plus coupable que Fred ne se considérait.
C’est le prix à payer, peut-être bien, le prix à payer pour avoir troqué mon impuissance contre la débauche incessante et savoureuse.
Une nuit en dehors de la moralité.
J’ai mal au crâne et au ventre. Mais je ne veux pas m’arrêter.
J’ai le souvenir de ces senteurs, ces sensations, et cette érection magnifique qui émergeait de mon bassin. Des souvenirs aussi agréables que leur analyse me dégoûte.
Je veux reprendre le cours de nos copulations usuelles.
Une seule nuit.

Je n’ai pas envie d’aller au travail aujourd’hui. Je vais boire un petit whisky et me faire porter pâle.


***


Je suis dans un salon.

Il me faut quelques instants pour saisir que je suis bien de retour dans le corps et l’esprit de Fred, la libido toute frétillante et le corps déjà nu. Je n’ai pas l’habitude de démarrer nos nuits ailleurs que dans un lit, ou au mieux dans une femme.
Il y a une lampe qui figure un lustre au plafond, des canapés autour d’une table basse, un large écran plat, un buffet massif constellé de bibelots et de cadres à photo, un vaisselier, et tout ce qui constitue un salon normal.
L’environnement semble plus sain que la nuit dernière. Une maison cossue dont j’aperçois l’escalier qui mène au premier étage.
Au-dessus de nous, un bruit de douche.
Je ne comprends pas. La partie de jambes en l’air est déjà terminée ? Sans moi ?
Nous montons.
Le flou du rêve arrive déjà, j’ai l’impression d’être ivre.
D’autres photos sur les murs.
Une remise de diplôme, de jeunes adultes et leur mère.
La même femme avec des amis.
Encore la même, souriante, seule sur la plage en bikini.
Pas de père sur ces photos.
La quarantaine, divorcée, habitant seule dans la maison sûrement.
Bon choix de conquête pour ce soir.
Une porte. Derrière elle on entend l’eau fuser hors du pommeau, et couler en grosses gouttes le long des surfaces.
Nous avons déjà la main autour du sexe, le remuant lentement au rythme de notre respiration. Je sens l’excitation grandissante, et une sorte de rage au-delà, quelque chose de frénétique.
Nous ouvrons la porte d’un coup, et nous dirigeons droit vers la cabine de douche.
Fred a l’air furieux. J’ai l’air furieux. Nous avons l’air furieux.
La femme nous voit et se met à crier, se plaquant par réflexe dans le coin du mur, derrière les vitres opacifiées de vapeur.
Notre sang bout dans nos veines lorsque nous faisons coulisser avec violence le panneau qui nous sépare de notre victime.
(Non. Non !)
Mais déjà je n’appartiens plus qu’à ce corps brûlant de désir pervers. Je suis englouti par l’esprit de Fred et mon désaccord horrifié n’est plus qu’une étincelle perdue dans le flot assoiffé de la cruauté.
L’eau chaude qui se répandait sur son corps sans défense nous éclabousse aussi comme nous entrons dans la douche.
Ses grands yeux apeurés.
Ses lèvres étroites et sa bouche qui supplie.
Ses seins roses et mûrs.
Son ventre un peu adipeux et sa toison trempée, noire et compacte.
Une main s’y jette. L’autre sur la nuque.
Je sens nos testicules prêts à exploser.
Nous la retournons violemment sous l’eau chaude qui continue de jaillir.
Profil écrasé sur le mur carrelé. J’entends un craquement derrière les pleurs. Des filaments vermeils glissent vers le siphon.
Elle a le siège plutôt plat mais sa chute de rein m’affole.
J’écarte ses fesses d’une main et guide mon jonc de pierre vers son œilleton en fleur serrée.
J’entre avec force.
Un hurlement déchire la nuit.
Douleur. Seulement de la douleur, et la terreur folle que ce moment ne se termine jamais.
Mon rut en est décuplé. Je m’active en gestes (au secours) brusques, une main écrasant son sein, l’autre la plaquant au mur avec force, dans ce sauna miniature ou l’eau tombe (laisse moi me réveiller s’il te plaît) en cascade.
J’entends son long gémissement secoué par saccades au rythme des mouvements.
Je lèche les pleurs sur son visage.
Je mords son épaule.
(est-ce du sang qui coule le long de ma verge, ou juste de l’eau qui se promène jusqu’à mes bourses oh mon dieu pardonnez-moi madame)
Je sens la chaleur de l’orgasme qui remonte à toute vitesse en pression inaltérable, et je jouis en elle, les mains serrées sur cette cambrure qui a dû faire sa gloire en son temps.



Je vomis au réveil.

Je n’ai pas eu le temps de me rendre dans la salle de bains, ni même de me lever.
La convulsion gastrique m’a réveillé, et un torrent ardent a giclé hors de moi. Toute la répulsion accumulée dans la nuit s’est déversée sur mon torse et mes draps dans un gargouillis immonde, alors que j’ouvrais des yeux dilatés par l’horreur.
Je me retrouve à moitié assis, dans un lit recouvert de soupe stomacale régurgitée, la gorge nouée, le respiration sifflante.
L’odeur me pique les yeux, une virulente odeur de carton mouillé et de nourriture digérée, qui me rappelle des exhalations sordides de fluides corporels, des relents de sang chaud et d’anus entrouvert.
Je vais recommencer, il faut que je sorte de ce cloaque gluant.
Je chancelle hors du lit, les genoux tremblant et la vision floue. Je piétine à tâtons pour me rendre jusqu’à la salle de bains.
Il est des rêves dont on ne veut garder aucun souvenir, pas le moindre instantané.
Dans mon crâne meurtri j’entends un long gémissement saccadé.
Trop tard. Je renvoie en marchant une gerbe biliaire qui jaillit entre mes dents et asperge ma hanche, ma jambe, et ce ver lâche qui ne se réveille toujours pas.
Le liquide me brûle la peau et macule la moquette.
Je suis là, nu, frissonnant, et répugnant avec ce maquillage visqueux qui me donne des allures de créature du marais pathétique.
Il faut que je me nettoie.
Je titube jusqu’à la salle de bains, une bave acide sur le menton.

La cabine de douche est là, ouverte, accueillante.
Propre.
Seigneur, je ne peux pas.
Si je pose les yeux sur elle, je revois cette femme sans nom entravée et déchirée.
J’entends les pleurs, je vois le dos trop cambré, je sens un sein comprimé par des doigts crispés.
Je ne peux pas poser un pied dans cette douche.
Quand je ferme les yeux, je peux presque ressentir le plaisir de la violence priapique.
Et le sang qui fuit sur le sol moite.
J’ai les yeux mouillés.
Je reste là, ridicule au centre de ma salle de bains, maculé de salive et de vomissure, souillé corps et âme.
Je ne veux plus dormir. Je ne vais plus dormir.
Je vais trouver un moyen, et je ne retrouverais plus Fred et ses pulsions abjectes.
Renoncer au plaisir, et à la virilité.
J’ai vécu 28 ans en ascète de l’érotisme, je recommencerais, quitte à m’en rendre malade.
Je crois que je préfère rester un infirme sexuel, que de participer au calvaire humiliant de ces femmes.
C’était tellement agréable.
Même avec violence et contrainte, c’est tellement agréable.
Je dois arrêter ça.

Je vais me nettoyer, nettoyer la chambre, je vais appeler le boulot, et prendre une semaine entière. Et je ne dormirai plus. J’ai trop peur.


***


Je cours sur une route de campagne, à la poursuite d’une jeune fille terrifiée.

Ca recommence.
Je suis désolé. Je suis tellement désolé.
J’ai essayé pourtant, j’ai essayé, j’ai bu du café, trouvé des amphétamines, je me suis forcé à garder les yeux ouverts, j’ai tenu une nuit entière, deux nuits, trois nuits.
J’ai ressassé ses actes, nos actes, en pleurant silencieusement.
Je me suis pincé au sang lorsque je tournais de l’œil.
Et puis mon corps a vaincu mon cerveau.
La fatigue extrême a attendu le moment propice, j’ai dû m’assoupir devant ma fenêtre en regardant le silence de la rue, sans m’en rendre compte.
Et me voilà à nouveau dans les rêves malsains de ce Fred que je ne connais même pas, et qui pourtant est une partie de moi.
Je ne veux pas, je veux être dégoûté par ses actes et pensées, mais quand je suis là nous vivons à l’unisson, et comme lui je sens déjà le membre veineux qui pulse derrière notre sous-vêtement, alors que nous rattrapons ce cul qui s’agite derrière un jean serré, gigotant au rythme des jambes qui le soutiennent pour échapper à son poursuivant.
Quelque part dans les recoins de ce crâne étranger, je pleure d’être impuissant.
À l’avant de cet esprit, je redouble d’effort pour rattraper ma proie.
Elle a jeté ses talons il y a plusieurs dizaines de mètres, elle a beau être svelte, svelte et désirable, elle court maintenant en chaussette sur le goudron craquelé, à la recherche d’une issue, et perd son avance.

« Au secours ! Aidez-moi ! Non, s’il vous plait ! »

La campagne est vide et noire.
Je suis presque à sa hauteur, je sens son parfum juvénile et poivré, mêlé à l’odeur salée de la sueur et de la peur panique.
Elle atteint une maison en bordure de route qui semble inhabitée.
Par instinct elle cherche une entrée non verrouillée, nous laissant juste le temps nécessaire pour l’atteindre et l’attraper par le col.
Elle crie, surprise et terreur.
Nous la retournons l’espace d’une seconde.  Je vois son visage rond, ses cheveux cuivrés et lisses sous un bonnet en laine, ces vestiges anciens d’acné sur ses joues, et ses yeux bleus implorant.
Et nous la projetons violemment sur le mur dans un bruit sourd.
Elle s’affale inconsciente dans l’herbe.
Je, nous, il est dans un état second, fondant sur elle sans même attendre qu’elle reprenne connaissance.
Nous n’allons pas vérifier qu’elle n’a rien alors, juste le plaisir sadique et immédiat.
Un pull arraché, une chemise déchirée, des sous-vêtements déroulés sur des seins pointus.
Un pantin désarticulé abandonné par son marionnettiste.
Pantalon sèchement retroussé.  Culotte enlevée.
Hématome temporal.
Téton pincé.
Langue et salive.
Triangle roux.
Entrée forcée.
Cheveux caressés.
Vigueur, vertige et ongles enfoncés.
Pression.
Visage souillé.
Fuite.
Satisfaction.



Je ne vomis pas au réveil.

Je n’ai pas assez de matière consistante dans le corps, plus assez de force non plus.
Je ne peux plus bouger, mon lit semble s’agripper à moi.
Je pleure en silence.
Je ne peux pas me pardonner.
Je me sens coupable.
J’étais là-bas moi aussi, autant que lui.
J’ai saisi, j’ai violenté, j’ai ri, j’ai joui autant que lui. Que ma vraie nature soit enfermée dans un cachot sombre ou pas, je suis autant responsable.
Je n’ai plus de baume à mettre sur mon cœur pour me convaincre que je n’ai rien pu faire.
J’ai assisté à mon second viol cette nuit, j’y ai même participé de façon active (mon corps me dégoûte) et cela n’a aucune raison de ne pas continuer sur cette voie.
Que puis-je faire ?
Prévenir la police ?
« Bonsoir messieurs, je voudrais reporter plusieurs viols, oui j’y ai assisté, pourquoi je n’ai rien fait, et bien je l’ai vu à travers les yeux de l’auteur voyez-vous, chaque nuit depuis plusieurs mois j’assiste à ses ébats, et je ressens tout ce qu’il ressent, c’est un dangereux criminel, si je sais à quoi il ressemble, non je ne l’ai jamais vu, je vois ce qu’il voit, et nous ne nous sommes jamais regardé dans la glace lorsque j’étais en lui… »
Avec mon teint cireux et mes cernes immenses, c’est moi qu’ils enverront en prison, ou dans un quelconque institut aux murs blancs et aseptisés.
Je n’en peux plus.
Je ne contrôle pas cette extase lors de nos aventures, et le choc est si grand lorsque je reprends mes esprits.
Quelqu’un en moi veut rester éveillé, et quelqu’un d’autre veut y retourner, pour ne pas perdre ce qu’il a acquis.
Comme un zombie poussé par l’habitude, je me suis levé, j’ai inscrit la barre, j’ai accroché le trombone.
114 nuits.
J’ai sommeil.
Mais il ne faut pas que je dorme.

Il ne faut pas que je dorme…


***


Une fois de plus l’enfer dont je suis l’instigateur.

La jeune maman de 30 ans a couru. La fillette de 10 ans a couru.
La mère a voulu cacher sa fille, attirer l’assaillant ailleurs, elle ne sait même pas où s’est réfugiée la petite.
Mais quand nous la tirons dans la chambre par les cheveux sous la menace d’un couteau, je vois bien la gamine, calfeutrée dans le placard, la main plaquée sur sa bouche pour ne pas laisser échapper de terreur, et ses yeux noyés de larmes rivés sur sa mère.
(pourquoi, pourquoi tu ne me laisses pas tranquille, je suis excité mon Dieu, si excité)
Elle va regarder, elle va voir sa mère et ensuite se sera son tour.
(je suis un monstre, je veux partir)

Fred est comme une bête en rut, le poil hérissé, la bave aux lèvres et le membre priapique.
Rires et larmes. Cris et gifles.
Une fois de plus, il découpe, il lacère, nous arrachons un à un les vêtements.
Il veut la voir nue.
Elle est encore belle, mince, et peu de graisse s’agite quand elle se débat. Son regard terrifié est un délice.
Il déracine un câble de sa prise et lui attache fermement les poignets au pied du lit.
C’est un amusement, voilà, un terrain de jeu ludique à utiliser.
Des gifles sur les seins. Durs sont les mamelons, rouges sont les cuisses.
Nous cherchons des objets à insérer.
Une langue, des doigts, un poing.
C’est sec et sans plaisir. Tant pis pour elle.
Caresses sans douceur.
Une bouteille, une poupée, un pied de lampe, le manche du couteau.
Nous me déshabillons, il veut l’humilier de mon sexe.
Ca l’excite. La petite regarde.
Seins. Visage. Bouche.
Un pinceau obscène qui se promène et force le passage.
Il desserre les liens, ignore ses pleurs, et la met à quatre pattes face au placard.
Je veux que sa fille la regarde dans les yeux.
(je voudrais vomir. Je voudrais avoir envie de vomir. Je voudrais crier et recracher mes tripes. Ou au moins détourner le regard. Regarder ailleurs et me boucher les oreilles)
Il malaxe, touille, glisse des doigts au plus serré, et vient planter son dard entre deux lèvres affolées.
La terreur est un aphrodisiaque.
Nous ne sommes plus nous-même. Les coups de boutoir rythment la scène comme les rouages d’une machine sordide. Les yeux dans le flou, il creuse, et creuse, toujours plus fort, et toujours plus loin.
Et je vois le corps qui se crispe, et les mains qui cherchent au sol, et je sens l’orgasme qui décolle, et le couteau qui se lève.
Et qui s’abat au même rythme.
La femme hurle.
Un râle d’extase.
Le sperme gicle au dedans, le sang gicle au dehors.
La femme s’effondre et les coups continuent, et les spasmes péniens nous font frissonner, et les coups continuent, et le fluide vermeil saute sur nos bras, et rampe sur le sol, et les coups continuent, fesses, cuisses, orifices, et il a encore envie.
Nous avons encore des ressources.
(il va nous faire chercher la petite fille, je le sais)
La gamine hurle en voyant arriver cette créature nue au membre furieux, les yeux forcément injectés de sang.
J’arrache les portes du placard, jette la gamine près du corps de sa mère.
Des flashs. Des bribes. Mon esprit éreinté se met en grève.
Larmes.
Innocence brûlée.
Impudeur forcée.
Douleur. Humiliation.
Et ce sang sans blessure. Tout ce sang qui s’écoule. Tout ce sang sur mes lèvres, mon visage et mon sexe.
Et ces cris qui s’arrêtent.
Qui s’arrêtent enfin.
Il est à bout de souffle.
Nous sourions.



Je me réveille en sursaut.

Il fait toujours nuit.
Ma chambre est sombre, et je ne distingue rien. Mon cœur veut s’évader, je respire en rafale, je suis trempé et collant.
On tambourine à ma porte.
Que se passe-t-il, je ne comprends rien. La nuit est toujours là, des étrangers sont sur le seuil, je suis désorienté.
J’essaie de reprendre mes esprits.
Mon lit est une mare.
Je cherche à tâtons la lampe de chevet.
Les coups redoublent et on crie quelque chose.
J’atteins la lampe, et sa lumière me brûle les yeux.
La chambre devient visible.

Je suis couvert de sang.

Mes mains sont maculées, le lit est une immense tâche rouge, je sens le goût de métal dans ma bouche et de la salive vermeille s’échappe vers mon menton.
Mon regard vide est fixé sur mes doigts.
Les mêmes, ce sont les mêmes.

« Police ! Ouvrez tout de suite cette porte ou nous entrons de force ! »

Ca va s’arrêter alors. Ca va s’arrêter.
Mon esprit ne réagit plus.
Mes yeux ne voient plus qu’un fil qui se déroule.
Routine et habitude.
Je me lève et vacille, mon corps a activé le mode automatique.
Bonjour Fred.
Je traîne ma peau visqueuse jusqu’à mon bureau.
La porte implose avec fracas et j’entends des bruits de pas précipités.
Une barre verticale.
Un cent quinzième trombone. Le dernier de la boite.
Ma boule d’acier est terminée.



Je crois que je bande.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire