lundi 11 août 2014

Le Coïtélépathe [Nosfé]

Ça durait depuis maintenant une heure. A la tribune, toujours le même sous-fifre du parti, qui annonçait point à point ce que la présidente en chef allait étaler au long de son discours nauséabond. Les mêmes idées, les mêmes lieux communs. C'était là bien l'avantage de l'extrême-droite, se disait Marco, que d'avoir un discours tout fait, une grille de lecture facile, à adapter sans nuances aux évolutions de monde. Assis à côté de lui, un couple de retraités. Tout à l'heure, le vieux avait hurlé «Dehors les bougnoules!», comme ça sans raison, alors que tout la salle applaudissait la logorrhée du bonhomme. Marco avait sourit jaune, et avait soudain angoissé à l'idée que toute a salle était pleine de mecs comme ce petit vieux. Et le discours avait repris, attaquant cette fois l'Europe...
Les applaudissements le firent sortir de sa torpeur. Le vice-secrétaire-quelque-chose du parti lâcha le pupitre en annonçant l'arrivée de sa chère leader. Alors, dans un ballet de lumières bleues, blanches et rouges, sous un tonnerre d'applaudissements et une musique saturée, la cinquantenaire blonde arriva sur scène, dans son tailleur sombre, les bras en l'air, croisant son subalterne, tout sourire.
Marco prit alors le sac à dos à ses pieds, quitta son fauteuil et sortit de la grande salle du palais des congrès. Il obliqua dans le hall d'entrée, et, tandis que derrière lui résonnait les première paroles du discours de la blonde, pénétra dans les toilettes.
Il prit soin de bien vérifier qu'il était seul, et il verrouilla la porte. Puis il baissa son pantalon et s'assit sur la cuvette. Au travers des cloisons résonnait la voix amplifiée de la femme politique.
Il sortit alors de son sac à dos une revue pour adultes qu'il avait acheter exprès, le matin même; un magazine porno, «spécial secrétaires coquines» annonçait la couverture en grasses lettres oranges. Se massant un sexe encore mou et timide, il commença à feuilleter le magazine. Les photographies présentait des jeunes femmes en tailleurs, chemisiers ou mini jupes, s'effeuillant dans des décors de bureau vite esquissés, et prenant la pose en plein acte, avec un godemiché, une collègue de travail guère plus farouche, ou un bodybuilder en costard incarnant le patron ou un autre encore, incarnant «un livreur avec un très très gros colis»...
Sa main allait et venait autour de sa verge maintenant tendue, redoublant par instant de vitesse, s'émouvant de la découverte de chaque nouvelle page, de chaque nouvelle image. Les battements de son cœur s'accéléraient, une fine sueur perlait à son front. Il se concentrait sur les photographies, sur leur charge érotique, s'en excitait autant que possible. Il se rendait sourd au monde extérieur, se focalisait sur les corps de papier glacé, sur ces poses scabreuses et grotesques. La sève montait en lui, il le sentait. Alors, serrant plus fort encore son membre, le calottant et le décalottant avec encore plus de violence et de frénésie, il fixa une dernière fois l'image qu'il avait sous les yeux, s'étalant en double-page, la garda en mémoire, et repoussa le magazine. Il ferma les yeux. La petite asiatique en bas-résille qui se faisait prendre par derrière sur la photocopieuse s'afficha dans son esprit. Alors, retenant son éjaculation, il se força à modifier l'image qu'il avait en tête. Il se força à penser à cette femme politique qui était là-bas, sur la scène, à quelques mètres, et dont la voix résonnait encore jusqu'à lui. Il remplaça la jeune asiatique par cette blonde cinquantenaire, l'imagina, elle, dans son tailleur stricte déchiré, sa jupe relevée, se faisant prendre en levrette sur la photocopieuse.
Alors, avec à l'esprit cette image, il jouit.
Il sortit discrètement des toilettes. Comme il s'y attendait, la plus grande agitation régnait dans le palais des congrès, et sa sortie ne se remarqua pas. Passant devant les portes grandes ouvertes de la salle, il saisit le brouhaha ambiant, l'agitation dans l'assistance et sur scène. Des secouristes et des agents de sécurité entouraient la femme politique, assise par terre, visiblement en état de choc, et rouge comme une pivoine. Les médias, le lendemain, rapportèrent un malaise, mais les images vidéos et les témoignages des personnes présentes étaient explicites. Alors que, face à son public, elle se lançait dans sa diatribe habituelle concernant l'immigration clandestine, Elle s'était agrippée, haletante, à son pupitre, se déhanchant tel un chien contre une jambe.
Elle avait eu un orgasme.

Marco considérait qu'il avait acquis son étrange pouvoir au début du mois de juin, quelques mois auparavant.
Le vent soufflait par bourrasques, faisant danser les branches des pins. C'était la fin d'un chaud après-midi, trop chaud pour la saison, et la météo à la télé avait annoncée des orages pour la soirée.
Marco, en chemisette sur son scooter, roulait au pas. Il se faisait pas mal chambrer par les autres garçons parce que son Booster était un vieux tréteau même pas débridé, mais si il n'avançait à rien maintenant, c'était plus par peur d'être déséquilibré par un courant d'air que par limite mécanique. Il roulait sur le bord droit de la route, aux abords du village. Le tonnerre roulait aussi, tout proche, là-haut.
Marco fut soudain paralysé. Sourdement, il y avait eu une détonation, une lumière blafarde, suivie d'un voile noir. Le scooter avait calé aussitôt, bloquant la roue arrière, et glissa en embardée. Marco roula sur le bitume, à demi-conscient. Il sentait encore l'électricité le parcourir en tout sens, brûler au bout de ses doigts, dans son crâne. Après un temps, figé comme une photo, il se redressa. Il resta assis à même la route, le cœur battant à tout rompre, le scooter échoué à côté. Une odeur de chaud, de viande grillée emplit ses narines. Il enleva son casque, sentant celui-ci tirer bizarrement sur son cuir chevelu. Le sommet de la sphère de plastique était troué d'un cratère cloqué, plein de matière fondue, scalpé, et juste au même endroit, sur son crâne, Marco sentit que c'était chaud, douloureux, et que ses cheveux avaient brûlés. Brûlées, fondues aussi, les semelle de ses tongs, qui filamentaient comme une pizza quatre fromages. Brûlées, les poignées du guidon, où s'étaient imprimés le contour de ses doigts. Brûlé, le circuit électrique du scooter, incapable de redémarrer.
Il venait d'être foudroyé. Il avait survécu. Craquant de nouveau au-dessus de lui, l'orage l'arrosa d'une pluie tiède.
Marco avait rallié la maison de ses parents à pied, en poussant son deux-roues, sous la pluie. Et de leur raconter sa mésaventure. Passé leurs inquiétudes, la visite du docteur et leur soulagement, la nouvelle se propagea vite dans le village. Il avait été frappé par la foudre et il n'avait rien! Le quotidien local s'intéressa à lui, le temps d'un article, puis c'est la télé régionale qui vint tourner un petit reportage, une interview où il raconta son histoire, montrant son casque, son scooter en panne...
Il avait une notoriété tout neuve, et les effets de s'en ressentirent durant ces derniers jours de lycée. On le reconnaissait maintenant, d'autant que, pour cacher sa tonsure, il avait adopté un nouveau look à base de boule à zéro qui, de l'avis général, lui allait assez bien. Même les filles, pour la première fois de sa vie, s'intéressèrent à lui. Alexandra, surtout. Alexandra, dont il était secrètement amoureux depuis le début de l'année. Elle lui plaisait, et maintenant, il lui plaisait.
Ils finirent par sortir ensemble, par être ensemble, juste avant les vacances. Juste le temps d'en profiter, parce que Alexandra habitait à vingt bornes de chez lui, que son scooter ne remarchait toujours pas, et que les parents de la jeune fille étaient du genre hyper-protecteur, et ne voulaient pas entendre parler d'un quelconque petit ami. Et puis, comme chaque année, elle allait passé le mois d'août en Bretagne, avec eux.
Marco et Alexandra s'appelaient tous les soirs, ou presque, en cachette. Elle prétextait une balade dans les allées du camping, ou l'envie de se coucher tôt, et ils parlaient.
Un soir, Alexandra décrocha son portable depuis la couchette qui était la sienne dans le camping-car, alors que ses parents, juste de l'autre côté de la cloison, regardaient le journal de 20 heures à la télé. Elle lui manquait terriblement, et Marco se sentit étrangement émoustillé par la petite voix susurrante qui était la sienne quand elle parlait ainsi à voix basse. Comme à son habitude, il s'était enfermé pour sa part dans sa chambre, allongé sur son lit, et presque malgré lui, il avait commencé à se sentir excité en entendant la voix de sa chère Alexandra au bout du fil. Très vite, il eut une érection, et ce qu'elle lui racontait de sa journée passée importait peu; seul comptait cette voix douce et murmurante, cette bouche qui la modulait, cette langues, ces lèvres souple qui s'agitaient. Il ne l'écoutait plus, se laissait simplement bercé par le son, allant et venant avec frénésie sur son membre raide. Et alors qu'au bout d'un temps trop court, il éjaculait déjà toute cette excitation, il se rendit compte qu'au bout du fil, Alexandra avait poussé un même cri, soufflait de la même respiration, gémissait de la même libération. Puis il y eut du fracas, les éclats de la voix du père de la jeune fille, et la communication coupa.
Ils déménagèrent une fois les vacances finies. Alexandra changea de numéro, lui partit à la fac. Ils ne se revirent pas, ne reprirent pas contact, et Marco resta longtemps à se demander ce qui s'était réellement passé ce soir-là.
Était-ce bien cela qui était arrivé à Alexandra? L'idée de pouvoir, à distance, et par la simple excitation qu'il ressentait, donner un orgasme à une femme, semblait trop incongrue à Marco. Quand, la fin de l'été venue, il entra à la fac, il ne chercha guère à vérifier ou infirmer l'existence de ce don. Les affres de la vie étudiante ne l'intéressaient guère. Il sortait peu, et ne cherchait pas, pour ainsi dire, à draguer. Oh, il avait bien sûr un attrait pour certaines voisines d'amphithéâtre, pour telle ou telle égérie du campus, mais il se sentait comme bloqué. Si son pouvoir existait, pouvait-il faire amour pour de vrai? Est-ce que cela fonctionnerait aussi? Ou alors cela ne marchait pas, et il ne pourrait jamais faire jouir une femme que par la pensée? Et si celle-ci savait pour son pouvoir, comment réagirait-elle à ne pas jouir avec lui? Pour lui qui était encore vierge, et pour qui le contact était la gente féminine était comme une épreuve, handicapé qu'il était par une timidité excessive et par le souvenir de cette expérience avortée avec Alexandra, tout cela relevait de l'inconnu.
Pire encore était son questionnement, et une forme de culpabilité, quant à celles qui le faisait fantasmer. Il ne se sentait pas particulièrement obsédé, accroc à l'onanisme. Ses plaisirs solitaires ne constituaient pas le centre de ses pensées ou de son existence, ainsi que c'était le cas pour nombre d'adolescents. Sa vie n'était pas American Pie. Mais ses interrogations quant à la véracité de son pouvoir, et les craintes qu'il pouvait en nourrir faisaient que la sexualité et l'acte masturbatoire étaient toujours présents en son esprit, et sa libido, ses pulsions s'en ressentaient.
Il y avait cette étudiante étrangère, avec laquelle il n'avait qu'un cours optionnel en  commun. Elle était originaire de Jordanie, elle avait le teint mat, de long de cheveux d'un noir profond, un charme presque animal, sauvage. Elle lui rappelait La Jeune Fille Afghane de la photo de Steve McCurry.  Zeïna, qu'elle s’appelait. Il avait parlé un peu avec elle, il pensait même lui plaire. Elle avait cet accent et ces hésitations quand elle s'exprimait en français qui ajoutaient encore à son charme; une forme de sécheresse, de rudesse dans sa manière d'être et de s'exprimer, typique des langues arabes, que Marco, dans ses fantaisies, assimilait à un comportement de dominatrice.
Un soir de lassitude, dans le petit studio qu'il louait, il se prit à penser à elle, à alimenter ses fantasmes et son plaisir solitaire de son image. Allongé sur son lit, il visualisait son visage, son corps. Il enlevait  dans son image ce qu'elle avait de pudeur et de timidité pour l'habiller de séduction et de sensualité. Tous en jouant de son membre, il l'imaginait, conscient de combien cela pouvait paraître cliché et ridicule, en une princesse arabe, reine de harem, experte en des délices exotiques qu'il serait le premier occidental à goûter. Il explosa à cette idée. Quand il la croisa,  le lendemain matin, saisissant son regard, il ressentit une gêne, une honte, presque réciproque. Il sut qu'elle avait joui en même temps que lui, que cet orgasme l'avait prise par surprise, et il eut, dans un frisson, l'impression qu'elle savait que c'était de son fait.
Il entama une période de forte consommation de films pornographiques. La solitude de son petit studio à proximité de la fac et l'internet gratuit dont il profitait sur place lui avaient apportés une liberté nouvelle, et l'avaient débarrassés de quelques uns des scrupules qui restreignaient ses activités masturbatoires. Avec une grande part de naïveté matinée d’auto-persuasion, Marco avait considéré que son pouvoir ne pouvait pas gêner ces actrices pour qui le coït était une chose banale, quotidienne, et souvent simulée, qui plus est. Elle ne pouvait pas, selon lui à ce moment, s'être investies dans ce milieu sans avoir un goût certain pour la chose sexuelle. Au pire, se disait-il, elles pourraient grâce à lui, ne plus avoir à simuler à grand cri et avec force démonstration le plaisir qu'elle ressentait...
La nuit avait eu ça d'exceptionnelle qu'il l'avait entamée dans un bar. Une soirée étudiante, dans un Irish Pub suffisamment peu irlandais pour servir des mojitos et assurer son ambiance avec une musique trop forte de boite de nuit. Marco n'avait pas attendu la fermeture pour s'éclipser, et retraverser la ville à la lueur des lampadaires. Plus que l'ennui qu'il avait ressenti dans ce bar, l'envie, le besoin de satisfaire à sa sexualité solitaire. Il était quelque chose comme 1 heure du matin, ce qui correspondait, ainsi qu'il l'avait calculé, à un 17 heure en Californie. Une fois arrivé chez lui, il fit sortir son ordinateur de l'état de veille dans lequel il l'avait laissé, et se connecta à son site pornographique de prédilection. Il avait retenu, dans un coin de son esprit, que le producteur de vidéo à l'origine du site avait lancé un concept: Un «Live Sex Show», une prestation en direct, sur le web, avec une de ses actrices stars, et avec laquelle les spectateurs internautes allait pouvoir interagir par messages. Cela était payant, évidemment, mais pour attirer le chaland, cette première représentation du genre était accessible gratuitement.
Marco avait été d'autant plus émoustillé par le concept que l'actrice concernée était Vixen. Sous ce pseudonyme se cachait une jeune femme brune qui lui plaisait de manière déraisonnée. Marco lui trouvait une charme particulier, une vraie beauté qui allait bien au-delà du fait qu'elle était sexy. Son visage était beau, encore naturel d'aspect, son corps était beau, souple, équilibré malgré l'énormité de ses seins refaits. Il lui trouvait même une certaine éthique, tant celle-ci ne se prêtait guère à des films trop extrêmes, aux gang-bang ou au sado-masochisme qui, lui, ne l'excitait pas.
La connexion mit du temps à se faire, tant l'affluence était grande. Vixen apparut enfin sur son écran. Elle parlait face caméra, seulement vêtue d'un ensemble en résille noire. Avec un fort accent américain, répondait aux messages que lui envoyaient les autres connectés. La caméra pivota et un homme, musculeux et huilé, emballé dans un costume de pompier new-yorkais, s'approcha d'elle. Tout en lançant, de ses yeux bleus profonds, des regards complices à la caméra et aux milliers de masturbateurs de l'autre côté, Vixen sortit un sexe d'une taille considérable du pantalon du faux pompier, qu'elle se mit à embrasser et à suçoter. Puis, trop vite au goût de Marco, mais à la demande insistante de quelques connectés, elle allongea l'homme sur une banquette et, sans même oter ses dessous noirs, se mit à le chevaucher. La caméra fixait, en gros plan, ces fesses rondes qui s'agitaient, se déhanchaient, qui allaient et venaient au-dessus de ce membre énorme qui disparaissait dans cette vulve imberbe. Tournant autour du couple, l'image s'attardait sur le bijou doré qui ornait le nombril de la demoiselle, puis sur ces seins géants, aux tétons agressifs, pris de soubresauts. Puis, montant encore, elle tentait de fixer le visage sans cesse mouvant, trop maquillé et emmêlé de cheveux noir, de Vixen. Elle haletait des «Oh yes» et des «Oh my God». Sur l'écran qui apparaissait à l'arrière plan, les messages des internautes s'accumulaient. Marco sentait l'excitation montée particulièrement vite en lui. Sans doute avait-il bien à l'esprit l'immédiateté de l'action, le fait que vraiment, à ce même instant précis, à l'autre bout de la planète, cette Vixen dont il était sans se l'avouer, amoureux, était là, en train de faire amour, et qu'il la voyait. Presque avait-il oublié qu'en jouissant, il la faire jouir, elle. Sa semence jaillit à bout de son membre. Aussitôt, sur son écran, les halètement de Vixen prient un ton différent. Son déhanchement devint irrégulier, saccadé, son corps entier se contracta, tétanisé, et tomba, masse nue et vibrante, sur l'homme entre ses cuisses. Il avait l'air ahuri, balbutiait des «Are you okay?» compatissant à Vixen. Dans son orgasme, celle-ci avait éclatée en sanglots. La communication internet avec le site coupa.
Comme un moine ferait vœux de chasteté et d'ascétisme, il portait maintenant un sentiment de honte et de culpabilité sur ses pulsions et fantasmes. Dans les jours qui suivirent, il vit disparaître la plupart des vidéos en ligne dans lesquels apparaissait Vixen. Ce «Live Sex Show»avait été un fiasco, et Marco se sentait en tenir l'entière responsabilité. Il s'imposa de nouveaux interdits. Il décida de ne plus porter ses turpitudes que sur des images floues ou abstraites. Sur des figures féminines composites, des muses qui était toutes les femmes à la fois mais aucune en particulier. Des créatures imaginaires sur lesquels se focaliseraient ses ondes télépathiques, et se perdraient ainsi, ne préjudiciant aucune fille, ne provoquant aucun orgasme malvenu. Héroïnes de bande dessinées, de comics, de manga, de romans occupèrent alors son imaginaire, même si il se retrouvait très vite avec, en tête, des incarnations charnelles de celles-ci qui pouvaient être réelles. De même s'interdisait-il toutes ces œuvres qui avaient déjà été adaptés au cinéma ou à la télévision, car il savait que, fatalement, l'image de l'actrice concernée lui reviendrait en tête.
Il pensait également à quelques sec-symbols défunts. Des pin-ups des 50's. Marylin Monroe, Nathalie Wood, Audrey Hepburn ou Bettie Page illustrèrent ses orgies pendant un temps. Jusqu'à ce qu'il lise sur internet, au lendemain d'un soir de masturbation, que la tombe d'une de ces actrices avait été profanée. Il pensa, frissonnant, à la possibilité que sa pulsion auto-érotique ait pu crée un zombie...
Il avait peu ou prou abandonné ses études. Un sentiment d'inaboutissement, de désespoir s'était emparé de lui. Ce pouvoir particulier était une malédiction qui pesait sur sa vie. Une épée de Damoclès suspendue au-dessus du dernier plaisir que la solitude permettait. Car, plus que jamais, il était seul, se sentait seul. Plus que les seules femmes qui auraient pu l'attirer ou alimenter le feu de son imagination, c'était comme si ce pouvoir le coupait du monde entier. Ce don et ce qu'il impliquait toujours à l'esprit, il ne trouvait d'intérêt à aucune discussion, à aucun sujet, à aucune personne, et il s'interdisait de le faire, comme si, entre deux paroles, il allait, malgré lui, avouer ce dont il était capable par la seule force de sa pensée lubrique. Son abstinence se transformait en prison.
Et puis, apprenant par un étudiant militantiste qu'un parti d'extrême-droite venait tenir congrès dans la ville, il avait, pour la première fois depuis longtemps, trouvé un intérêt, un bénéfice à son don télépathique...
L'homme avait un pseudonyme on-ne-peut plus équivoque: Jacques Facial. Affalé sur son fauteuil, derrière un immense bureau en acajou, il était la caricature même du producteur de film pornographique. Fumant un cigare pour lequel le titre de «barreau de chaise» ferait figure d'euphémisme, il était boudiné dans une chemise de soie rose qui semblait sur le point de s'éventrer. Quand Marco fut introduit dans son bureau, monsieur Facial était en train d'insulter quelqu'un par  téléphone.
«Bon, je vais être clair, fiston, commença-t-il à l'adresse de Marco une fois finie sa série de jurons. Des petits branleurs qui se pointent ici en me racontant des cracs parce qu'ils pensent qu'ils vont pouvoir se taper mes filles, j'en ai plein. Et sur le peu que je garde, j'en vire les ¾ parce que même si je les engage comme simples machinos sur mes tournages, ils savent pas se tenir. Alors, je veux bien écouter ton truc, mais y a intérêt à ce que tu te foutes pas de ma gueule, parce que j'ai pas que ça à foutre!»
Alors Marco, pour la première fois, fit part de son étrange pouvoir. Une semaine avait passée depuis la drôle incartade du congrès politique, et il était ragaillardi, confiant. Il envisageait de nouvelles choses dont ceci n'était que la première étape, à afin d'user au mieux de son don, d'en tirer parti et non ombrage.  Il expliqua au producteur en quoi consistait celui-ci, et ce qu'ils pouvaient en tirer. L'étudiant avait préparé son argumentaire: Il connaissait la tendance actuelle de l'industrie pornographique, et comment, à vouloir brasser un public plus large, ils cherchaient maintenant à intéresser les femmes, à faire des films destinés à des spectatrices. «Une femme, disait-il, est capable de voir quand une autre femme simule son plaisir. Et aussi expertes soient vos actrices, leurs orgasmes simulés ne tromperont pas les spectatrices. Je n'aurai pas à apparaître à l'écran, je n'aurai même pas besoin d'être présent sur le tournage! Mais j'offrirai à vos actrices de vrais orgasmes que les autres femmes reconnaîtront comme tels, et qui seront, de fait, bien plus excitant pour elles.»
Facial lui promit de le rappeler rapidement. Il avait semblé intéressé par le projet de Marco mais quelque chose l'avait retenu. L'étudiant, à vouloir le convaincre de la véracité de son pouvoir, avait mentionné le cas de Vixen après une longue hésitation, et si le nom avait fait tiquer le producteur, peut-être était-ce aussi ce qui avait provoqué sa réserve.
Avec au cœur une pointe de dépit, Marco avait rallié la gare et rejoint son studio, sa fac et les cours qu'il avait le lendemain...
Il ne prêta guère attention, en pénétrant dans l'amphithéâtre, à l'attroupement bruyant qui s'était constitué dans les rangs du fond, sur sa droite. Les discussions animées, l'intérêt pour un nouveau gadget ou une vidéo internet qui passe de smartphone en smartphone provoquaient régulièrement ce type de manifestation. Mais l'agitation, cette fois, était d'une toute autre ampleur, et, tendant l'oreille, Marco surprit des paroles, et un nom: «Zeïna». La jordanienne avait, depuis quelques semaines, disparu de leur cours commun, et si il s'était un temps inquiété de cette absence, il avait fini par apprendre, par un autre étudiant, la fin de son séjour en France. Mais cette agitation soudaine, et la mention de son nom étaient de nature à l'inquiéter. Négligemment, il sortit à son tour son téléphone, et capta le partage en Bluetooth émanant du groupe.
C'était issu d'un journal en ligne. En illustration, une photo d'identité de Zeïna. L'article avait pour titre «Agitation et Polémique en Jordanie: Une Jeune Femme Vierge Enceinte?»
Il était sorti de l'amphithéâtre, son téléphone en main, incapable de détacher ses yeux du texte comme de saisir le sens entier de celui-ci. L'article mentionnait son séjour en France, dans cette fac, et son retour au pays, pleine d'inquiétude. Elle était vierge, se préservant, ainsi que la tradition le voulait, pour son mariage, et elle se défendait d'avoir fauté avec un homme, ou de s'être faite inséminer. Mais elle avait été reconnue médicalement, diagnostiquée comme étant enceinte de deux mois. Évidemment, une tel forme «d'immaculée conception» dans un pays du moyen-orient, là même où le christianisme était né, faisait quelques remous... Marco se livra à un rapide calcul mental. Il ne tenait pas un journal exhaustif de ses séances d'onanisme, mais le vertige qu'il ressentait à l'énumération des dates et de ses souvenirs ne le trompait pas. C'était bien il y a deux mois de cela qu'il avait associé l'image de Zeïna à son activité phallo-manuelle.
Revenu à son petit studio en toute hâte, il avait rallumé son ordinateur. Fébrile, il avait lancé trois recherches internet, sur les noms de la femme politique, de l'actrice pornographique, et de sa petite amie de lycée. Le site officiel de Vixen proposait un lien vers sa page Facebook, laquelle annonçait, comme dernier message, une pause dans la carrière de l'actrice, motivée par une grossesse. Les photos sur la page de profil d'Alexandra représentaient, dans leur grande majorité, un nourrisson. Un bébé, d' à peine quelques mois, qui était le sien. Sur une autre page, le site d'un magazine people était apparu parmi les réponses, et une suite de photos volées montrant la cinquantenaire blonde sortir d'un cabinet médical, et les réponses aux questions posées à un collaborateur de celle-ci.
Deux jour plus tard, un communiqué du parti politique officialisait le tout. La leader d'extrême-droite était enceinte, et elle mettait sa carrière politique en parenthèse. La rumeur avait enflée, et la femme ne pouvait pas, de part ses prises de positions très conservatrice sur le sujet, se permettre de simplement avorter...
Marco se posa mille questions, retourna sans cesse la chose dans son esprit. Il émit quelques hypothèses, invoqua un hasard extraordinaire, mais cela ne pouvait expliquer le cas de Zeïna. Elle, ce qu'elle avait dans son ventre, était la preuve de sa culpabilité. Il était, par sa volonté, le père de ces enfants à naître. Il était un violeur, l'équivalent d'un violeur.
Il ne sortit pas de chez lui pendant plusieurs jours. Il avait avoué son pouvoir à Jacques Facial, celui-ci avait, sans doute, fait le lien avec le cas de Vixen, et c'était une explication logique à la réserve grandissante dont il avait fait montre durant leur entretien... Et si Facial allait parler à quelqu'un d'autre du pouvoir de Marco? Et si on faisait le rapprochement, qu'on le retrouvait, qu'on l'accusait? Et si ces enfants conçus à distance portaient ses gènes?
La télévision crachait sons et images en continu. Marco cherchait à donner à son esprit autre chose à moudre que ces questions. Zappant au hasard, avachi sur le canapé clic-clac qu'il ne quittait plus, il tomba sur une chaîne d'information. L'invité interviewé, sa voix, les traits de son visage, lui évoquaient quelque chose sans que l'étudiant puisse se remémorer où et quand il l'avait vu. Au fil des questions, son identité se révéla à Marco: Le vice-secrétaire général du parti d'extrême-droite, le sous-fifre de la blonde. La grossesse de celle-ci l'avait propulsé grand chef par intérim, et il semblait bien se gargariser de cette importance nouvelle.
Alors les interrogations et les inquiétudes de Marco s'effacèrent au profil d'une idée qui s'épanouit sur son visage en un sourire cynique. Il déboutonna son pantalon, et commença à asticoter son sexe encore mou comme il le ferait d'un petit animal, convoquant dans son esprit tout ce que ses hormones adolescentes et sa libido pouvaient compter comme sujets à fantasmes. Tout ce qu'il avait refoulé, il le voulait de nouveau, en forme de préliminaire. Il ne quittait pas l'écran des yeux, tandis que sa verge commençait à s'ériger, et il trouva la journaliste qui interviewait l'homme politique, avec ses cheveux châtains tirés en arrière, son tailleur blanc et ses lèvres pincées, tout à fait apte à l'exciter également. Très vite, ce n'était plus d'un entretien télévisé qu'il était le spectateur, mais d'un film érotique dont cela n'était que l'introduction. Il était clair pour lui que l'homme et la jeune femme n'allaient pas tarder à se jeter l'un sur l'autre, à s'entre-déchirer les vêtements, à se dévorer de baisers, et a avoir un coït violent, cru, avide, dans lequel le sentiment amoureux n'aurait aucune place. Sa main vibrait frénétiquement sur son sexe, et il sentait déjà gonfler en lui le flux de sa semence. Il se retint, serrant son membre, espérant que sa télépathie transmettait également l'intensité de sa jouissance. Il se retint, encore et encore, et, ouvrant les yeux, juta en fixant obstinément le visage de l'homme politique, inscrivant son nom et ses traits dans sa rétine, dans cet orgasme qu'il venait d'avoir.
Aussitôt à l'écran, l'homme politique se figea, coupé dans l'élan de sa diatribe. Il roula des yeux, pris un air gêné. Tout en passant ses doigts dans un mouchoir en papier, Marco riait de ce spectacle, et redoubla d'hilarité quand l'homme, maladroitement, plongea une main par dessous le bureau du plateau TV, pour la ressortir aussitôt, et s'essuyer les doigts sur ses fiches, le visage marqué par une moue de dégoût.
Mais ce qui faisait le plus rire Marco, d'un rire mauvais, c'était l'idée que cet homme allait bientôt découvrir qu'il était enceint.

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