lundi 23 juin 2014

Punk's not dead [Nosfé]

C'était un sacré putain de bœuf. A s'en faire saigner les tympans.
Sur ce pauvre assemblage foutraque de planches et de tréteaux qui faisait office de scène, il y avait de la crête et du cuir clouté à gogo. Au moins15 gratteux, et une demi-douzaine de gus qui tapaient comme des sourds sur 3 batteries amalgamées. Pas assez de projos pour tout le monde, et encore moins d'enceintes, mais qui crachaient tout ce qu'elles savaient de bruits saturés et de larsen. Dans la fosse, en bas en face, ça pogotait en mode barbare. Le parfait échauffement pour la baston qui suivrait immanquablement une fois les guitares éteintes.
La bière et le son coulait à flot, ça puait le rance, la boue et la transpiration. La fin de concert parfaite. Le bonheur.
Pour sûr qu'on avait jamais vu ça ici! Le trou de balle du monde en plus moche, que c'était, ce bled! Ici, les indigènes se couchaient et se levaient comme les poules, avec le soleil, et de l'avis de certain, ils en avaient le QI aussi. La zone complète, la mort. Un village du genre à n'avoir rien d'autre à afficher en mairie que les horaire d'ouverture du cimetière. Parce que clamser, voilà bien le seul divertissement qu'on pouvait avoir ici. Au moins, ça leur faisaient une occasion de se rencontrer, aux 3 péquenots qui hantaient les lieux. Il n'y avait rien ni personne, ici. Vous pouviez traverser le village à n'importe quelle heure sans avoir une chance de voir le moindre être vivant. Une ville fantôme de western, en carrément plus craignos. Un mec avait voulu faire un lotissement ici, 10 ans auparavant. Sur toute la rue en cul-de-sac, il avait vendu deux parcelles. Sur l'une, la baraque n'avait jamais été achevé, et l'autre était à vendre depuis que le proprio s'était pendu. Une malédiction, ce coin. Un no man's land, un trou noir civilisationnel, un vortex de déprime.
En spleen, il l'était carrément, le Bertrand. Et déjà bien pété aussi. Il en était au stade 3, celui où il abandonnait la 8,6 et autre houblonnades fortes en canettes métalliques pour se torcher au mélange de vins de la communauté européenne. De celui où le raisin était rallongée avec le pied de vigne, la pisse de vigneron et la dernière vidange du tracteur.
Sa boutanche de Villageoise à la main, il titubait aux abords de la réunion d'excités de la crête, gueulant des insultes enremuglée de vinasse.
C'est qu'il l'avait mal, le Bebert. Mal à en chialer. Tout à l'heure, derrière la scène, au milieu des vapeurs d'échappements des groupes électrogènes qui alimentaient ce bronx en jus, il avait surpris la Cindy en train de se faire sauter par un des groupes. Les As & Dick, que c'était leur nom. Les ceusses qui étaient passé en premier sur scène. Ils la fourraient, chacun leur tour, comme à la chaîne, le quatuor s'astiquant le manche en attendant que le cinquième ait fait son affaire. Et elle était là, jupe relevée, haletante, elle râlait, la tronche collée sur le capot de sa Ford Fiesta, embuant la peinture métallisé.
Bon, c'était une grande fille, Cindy Bazoches, elle faisait ce qu'elle voulait de son cul. En plus c'était elle qui l'avait organisé, ce concert, en partie. Mais voir ça, ça l'avait foutu en rogne, Bertrand. Parce qu'il l'aimait, Cindy. Il était tombé amoureux direct en la voyant. Pas qu'elle avait spécialement l'air d'un mannequin, non. Elle était pas spécialement belle, et pas du genre à passer trois plombe à se peinturlurer la face ou à se faire gerber dans les gogues pour s'épargner de prendre de la brioche. Mais elle était gentille, sympa, elle faisait des trucs, se marrait et picolait comme un mec. Elle avait deux ou trois ans de plus que lui, aussi, et ce côté mature l'attirait.
Et puis elle s'était confiée à lui, une fois. Elle lui avait raconté sa vie, son quotidien. Son vieux qui lui mettait sur la gueule, sa frangine qui avait fuguée pour se refaire une vie toute neuve, à Paname, et qui lui manquait... Elle avait pleurée sur son épaule à la fin de son histoire. Ca l'avait touché, Bertrand, qu'elle lui fasse confiance à lui raconter tout ça, et il se disait qu'il ne se sentirait jamais aussi proche d'une autre gonzesse que ça.
Enfin bref, il l'avait mauvaise. Un sale goût dans la gorge et les tripes qui faisait des nœuds.


Derrière lui, la fête était finie. On avait coupé le jus. Plus de guitare, plus de projecteurs, plus de concert. Dans le noir, les cris, les bruits de verre brisé et les sifflets avaient remplacés le foutoir musical. Comme prévu, les mecs pris dans l'élan de leur pogo en profitèrent pour se mettre sur la gueule pour de bon. Bringuebalant et dérapant sur l'herbe de la friche où avait squatté le concert, creusant des sillons à grand coup de pneus, des bagnoles décampaient déjà, tout phares allumés. Quelques pelés prenaient la peine de faire un poil de débarras, donnant un coup de main pour charger le matos et ranger le souk ambiant, tandis que d'autres, qui s'était préservés encore un peu de picole en réserve, tenaient réunion, mais de manière générale, c'était la débandade. Dans le brouillard de son alcool, Bertrand suivit le mouvement. Il dût jouer les toréadors façon Drunk Master pour ne pas se bouffer une 205 GTI qui le klaxonna en passant. Il marcha, zigzagua encore sur quelques centaines de mètres et, balançant sa bouteille de Villageoise, récupéra sa mob appuyée contre un platane. Il dû s'y reprendre à trois fois pour réussir à l'enfourcher correctement, à cinq pour boucler son antédiluvien casque bol, et à vingt-quatre fois pour réussir à démarrer le moteur. Suant comme un bouc et jurant comme un charretier, évoluant à travers les brumes éthyliques à la lueur pisseuse de son phare, Bertrand rejoignit la route et obliqua pour suivre le ruban de bitume. Heureusement que la mobylette, elle, était à jeun, et qu'elle connaissait la route, parce que Bertrand était dans un sale état. Les vibrations de sa bécane lui secouait les tripes et le berçait, et il avait envie de gerber et de pioncer en même temps. Slalomant entre les éléphants roses, il occupait toute la largeur de la route, et il ne faisant pas vingt mètres sans manquer de se vautrer dans le fossé. A force de rouler, il arriva à un autre bled pourri, et à l'intersection avec la route nationale. La commune avait hérité lors des dernières élections municipales d'un éclairage public tout neuf, qui faisait dégouliner sa lumière glauque sur ce bout de cambrousse. Guère porté sur la contemplation à cette heure avancée de la nuit, et pressé de se mettre la viande dans le torchon, Bertrand ignora royalement l'interjection du panneau «Stop» et s'engagea droit devant, en travers de la RN.
Il se mangea le camion en plein dedans. La dernière chose qui lui passa par la tête, hormis une sensation de soulagement parce que le choc l'avait fait dégobiller, ce furent ses cervicales.

Viendez pas me demander ce qu'il y avait bien pu se passer à ce moment-là.
Peut-être était-ce dû à un alignement planétaire, à une intervention extraterrestre ou à un miracle, de ceux qui ne manqueraient pas de rameuter toutes une population d'illuminés du bulbe.
Peut-être était-ce de s'être fait rouler sur la paillasse par quatre essieux successifs de roues jumelées et quelques dizaines de tonnes de fret. Peut-être était-ce simplement parce qu'il avait suffisamment peu de sang dans l'alcool pour que l'apport de mélange spécial 2 temps à 4% passa comme une lettre à la poste.
Mais voilà qu'au bout de quelques minutes, Bertrand se relevait. Ou qu'il essayait, du moins, de décoller sa carcasse du bitume.
Il avait salement morflé, et sa mob aussi, au point que chacun des deux avaient des morceaux éparpillés un peu partout et dans le désordre. Mais les deux, dans leur ensemble, avaient fusionné, ne faisait désormais plus qu'un.
A la fois Bébert et sa meule.
Un Bébert mécanique, un robot Bébert. Un Ro-Bert quoi.
Il se redressa, pissant le sang d'un peu partout. Il avait le «A» de Scania imprimé sur la tronche. La moitié gauche de la coque blanche de son casque bol s'était incrustée dans son crâne, lui donnant sur la moitié de la gueule un côté Calimero, tandis que son œil s'était fait la malle, parti jouer les gastéropodes sur le bitume, lui donnant sur l'autre moitié un côté borgne. Planté en angle droit dans son artère jugulaire, la poignée de gaz de son guidon bracelet. Son cuir était râpé et déchiré de partout, et à travers de son t-shirt, encore plus déchiqueté et dégueulasse qu'avant, le monocylindre de la 103 MVL avait défoncé la cage thoracique, et s'était prit ses quartiers d'été en lieu et place du palpitant. Lequel bout de viande était maintenant étalé façon confiture sur une dizaine de mètres, un peu plus loin. C'était maintenant le carbu 15 mm Polini qui tétait l'aorte, et le moteur, à chaque coup de piston, envoyait 50cm3 d'essence, d'alcool et de sang parcourir les veines du gaillard. Lui perçant la peau du dos et le cuir du perfecto à hauteur des reins, son pot de détente Ninja pétaradait quant à lui doucement. Bertrand se redressai encore, cherchant à s'asseoir. Voulant s'appuyer sur sa main gauche, il ne trouva, dépassant de sa manche, que la tête de son radius, environné de chair. «Merde, ma montre de communion» fut la première chose qui lui traversa l'esprit face aux reliefs de corned beef de son avant-bras.
De son bide, c'était la partie avant du réservoir de la 103 qui dépassait, tordu, cabossé, mais encore suffisamment étanche pour garder quelques mètres d'intestins baignant dans l'hydrocarbure.
Il replia sa jambe gauche, mais ne trouva pas la droite. Sa Ranger était là-bas, à perpête, pleine de viande, les esquilles pleine de moelle de ses tibia et péroné en dépassant comme deux pauvres fleurs sèches dans un vase trop gros.
En lieu et place, incrusté dans la rotule de son genou, le bras oscillant de sa mob, avec roue, chaîne, câble de frein et tout le toutim. Avec ce truc en guise de patte, il eut du mal à se lever dignement, même qu'il se rétama deux-trois fois dans ses tentatives.

Une bonne demi-plombe avait passée depuis que le camion lui-même était passé, et Bertrand avait à peine réussi à retrouver un semblant de station verticale que, arrivant dans l'autre sens et pilant à sa hauteur, revoilà-t-y pas que le bahut se repointait. Il avait la calandre défoncée, un phare qui pendait comme une couille d'octogénaire, la moitié du pare-choc qui manquait, et la roue avant de la mob plantée en travers du radiateur qui, de fait, pschitt-pschittait avec allégresse.
La portière du côté conducteur s'ouvrit, et un gugusse courtaud, le cheveu ras, le regard inquiet et le t-shirt blanc sale, descendit de la cabine. Voyant Bébert et son sale état, le mec commença à baragouiner plein de trucs dans un drôle d'idiome slave auquel le punk ne bitait rien. Tout ce qu'il voyait, le Bertrand, c'était que ce mec lui avait roulé sur la paillasse! Et ça le fichut en rogne. Ce gars avait mis 30 minutes à se rendre compte qu'il avait taper quelque chose, et voilà qu'il revenait sur les lieux de son crimes, la bouche en cœur et remplie d'excuses en serbo-lituanien du sud!
L'inquiétude dans le regard du gonze se mua en trouille. Dans sa rage, Bertrand avait trouvé de suite la technique pour marcher sur son pneu, et clopin-clopant, tout raide et la tronche en biais (ouais, parce qu'il avait aussi quelques dents qui en avait profiter pour jouer les filles de l'air), il avançait, menaçant, face au routier. Celui-ci recula pied à pied, le long de son bahut, implorant les mains jointes. Ils avaient dépassé la cabine, et longeait maintenant la remorque. C'était un camion grumier, chargé ras-la-gueule et au-delà de toutes limites légales de tronc d'arbres ,allongés les uns sur les autres en une morbide partouze sylvestre, et aussi écorchés que le Bertrand.
Le transporteur balkanique était au désespoir, et il eut, de fait, un geste désespéré. A sa remorque était intégré un petit casier métallique, lequel contenait un petit nécessaire de bûcheronnage. Il se rua sur la boite en ferraille, et se bâtit avec le cadenas qui la scellait. Alors que le volet s'ouvrait enfin, Bertrand arriva sur lui, et envoya bouler le bonhomme d'un coup de son bras valide. Le mec revint à la charge de plus belle, poussant le punk contre la remorque. Déséquilibré, Bébert chercha à appuyer sa main aux abonnées absent contre le casier, mais se rata, cria de douleur en plantant son cubitus contre un truc, tomba à la renverse et, son bout d’os se raccrochant, sentit un objet lourd tomber sur son moignon et s’y planter comme dans une motte de beurre demi-sel. Nouveau hurlement.
Alors, aux «pet-pet-pet-pet» du cœur mécanique tout frais de Bertrand s’ajouta un autre «pet-pet-pet-pet», naissant de son bras gauche. La douleur s’estompant au profit de l’étonnement, Bertrand se redressa, ouvrit les yeux, et admira à la lumière du jour naissant sa nouvelle main gauche estampillée Husqvarna. Fuyant pour sauver sa peau, tout là-bas, le routier courait rejoindre les jupes de sa mère patrie.

Si Dieu, quel que soit son blase, devait vraisemblablement se tenir une bonne grosse biture le soir où il a créé l’ornithorynque, ce devait être le lendemain matin, pris d’une nom-de-lui-même de gueule de bois qu’il avait dessiné cette région. C’est qu’il ne s’était pas foulé, le vieux barbu. Pas de mer, pas de montagne, pas de lac, pas vraiment de forêt et encore moins de trucs naturels remarquables. Il s’était contenté ici de dispercer un semblant de relief, de foutre une base de champs de bettrave et de colza pour la couleur, et de jouer du copier-coller à perte de vue. En soi, ce n’était pas forcément moche; juste carrément triste. Et les nuages qui parsemaient le ciel de ce matin gris n’arrangeaient pas les choses. Seul altération de cette morne monotonie paysagère, la demi-douzaine d'éoliennes fraîchement plantées qui brassait l'air à quelques bornes de là.
C'était dans ce triste panorama que Bertrand râlait tout ce qu'il pouvait, à traîner sa carcasse blessée. Il avait la bouche pâteuse et le souffle court, et il sentait bien dans sa poitrine que son monocylindre ratait des tours.
Il boitait depuis maintenant 3 bons kilomètres, et si il avait saisi le truc pour bloquer sa roue correctement et ne pas se ramasser, il commençait à être sérieusement claqué, à suer eau, sang et alcool, et à trouver de plus en plus lourde la tronçonneuse au bout de son bras.
Mais il était presque arrivé.
Ca n'avait jamais été une flèche, le Bertrand. Pas le genre à faire directos un choix clair, défini et définitif. Mais là, bizarrement, il savait ce qu'il devait faire vu son état. Faut dire qu'il avait eu tout le temps de cogiter quant à son état et sa situation. Il avait bien pensé au rentrer au bercail, voir sa reum et son vieux, mais tous les deux, à l'heure qu'il était, turbinaient dans la seul boite du coin qui faisait autre chose que de l'agricole. Ils bossaient dans une usine qui faisait des pare-soleils pour bagnole, pour vous donner une idée de ce que ce boulot pouvait avoir de passionnant et d'épanouissant, et Bertrand était pas trop enchanté à l'idée de voir la maternelle tomber en syncope devant l'état de son fils unique. Pas aller voir un toubib, non plus. Déjà parce que le coin était un désert médical format Sahara, et ensuite parce que vu son état, pas besoin d'être Esculape pour voir qu'il devrait logiquement être canné. Un doc y ferait rien. Non, ça aurait plutôt été d'un mécano dont il aurait besoin, et un de confiance. Et de dresseur de chevaux-vapeurs clean, Bertrand n'en avait jamais connu qu'un seul: Son oncle Dodo.
Tonton Dodo avait tenu tout sa vie un petit garage-station service sur le bord de la nationale, avant de clamser à la surprise générale, il y a 2 ans, d'une cirrhose du foie, alors qu'il avait une santé de fer et une descente d'irlandais. Sa cambuse était dès l'or restée telle quelle, murs et fond, trop à la baille pour ne jamais intéresser qui que se soit. Pas même les sales gosses qui aurait pu en péter les carreaux.
C'était là que Bébert arrivait maintenant. Si il n'y trônait plus les deux pompes à benzine, la cour du garage était encore imprégnée de mazout, maculée comme les draps d'une maison de passe. Et la rosée matinale, et les rayons d'un soleil tout aussi matinal qui poussait derrière les nuages, faisaient transpirer celui-ci d'effluves pétrolisantes qui soumissionnèrent Bertrand à une soif inédite. Si il était normal, après une musette pareille, que d'avoir la bouche pâteuse, les boyaux qui réagissaient aux parfums d'hydrocarbures, se tordaient et gargouillaient dans leur réservoir de tôle, c'était nouveau. Le punk redémarra sa main-tronçonneuse, et en abattit le guide contre la chaîne qui maintenait fermer la grande porte coulissante, qui s'ouvrit en coulissant donc, dans un grincement de désapprobation.
La cambuse était encombrée d'une collection complète de pièces mécaniques diversement démontées, d'outillages laissés en plan, et de calendrier périmés illustrés de femmes à poil encore fraîches, le tout drapé d'une pellicule de poussière à rendre asthmatique un aspirateur.
Il se désaltéra d’un plein jerrycan d’essence, qu’il têta directement au bec. Les premières gorgées lui cramèrent un peu la glotte, mais une fois les gencives cautérisées et les papilles gustatives ratiboisées, et compte-tenu du bien que ça lui faisait au bide, les litres suivants passèrent comme un petite bibine. Puis il dégota dans le fourbi de quoi suturer une bonne partie de ses blessures, sous la forme d’une agrafeuse et d’un pistolet de joint à carrosserie. Une fois ces finitions médicales terminées, Bertrand continua son bricolage. Il était quand même un poil calé en mécanique, le Bébert, alors dès qu’il eut déniché une autre épave de bécane dans le garage, il se mit à se customiser ses greffons cyclomotoriques. Déjà, il tendit un câble de frein tout neuf et un système de goupille à sa poignée pour bloquer sa roue et ne pas se ramasser dès que celle-ci tournerait. Ensuite, ce fut une chaîne qu’il tendit, avec des segments de tuyau de cuivre et un roulement à bille en guise de guide, qu’il se planta dans l’os de la hanche, afin que cette même roulette soit entrainée par son cœur 50cm3. Un bout de tige métallique placé dans l’axe du moulin lui permit de déporter un poil le variateur, histoire de ne pas s’usiner les côtelettes à chaque démarrage, et d’embrayer-débrayer plus facilement la chaîne sur son pignon. En sus, il s’ajouta un cale-pied sur l’axe de la roue, afin, avec un peu d’entraînement, de pouvoir se poser dessus et se mouvoir comme un clown sur son monocycle, et un petit robinet à carburant sous son réservoir, juste au niveau du nombril, afin de gérer sa consommation. Il se soulagea ensuite le bras gauche, en démontant des plein de petits trucs inutiles sur la tronçonneuse, l’allégeant notamment du réservoir en reliant deux bouts de durites aux veines de son bras. 
Tout content du boulot accompli, Bertrand fêta ça d’une lampée à la boutanche de gnôle trouvée dans un tiroir de l’établi, et le moteur réagit d’une accélération à s’en faire péter le joint de culasse, envoyant bouler, dans un concert de flammes, la cartouche de silencieux au bout de l’échappement.
Ca lui avait pris la matinée, il était aussi poussiéreux que le garage et avait du cambouis jusqu'aux couilles, mais Bertrand était prêt, assumant pleinement sa nouvelle condition d'homme-mobylette.
Il cala la bouteille de tord-boyau dans la doublure crevée de son blouson.
Il n’avait même pas la gueule de bois.

Les flics avaient investis la moitié de la route. Et ils étaient en plein grattage de tête, tant le cas était bizarre. C’est déjà pas bien malin, un gendarme, alors si vous le sortez de sa routine et des trucs habituels, du tapage nocturne du mec qui tape sa femme à onze du soir parce qu'elle a oublié de faire les courses, de l'accident suite à biture ou de l'écrasage de sanglier, il risque la surchauffe neuronal sous le képi. Prenez ce cas-là: Normalement, un délit de fuite après un carton, c’était au volant du véhicule qu’il se faisait, pas à pince en laissant l’objet du délit en pleine voie! Et plus zarb encore, il n’y avait pas la moitié des restes du gars à mobylette qui avait été emplafonné. Il y avait bien, de loin en loin, des traces de sang, mais vu la violence du choc, le mec devait ressembler à des fricadelles, aussi n’avait-il pas pu aller bien loin…
Là en étaient les réflexions anisés des agents des forces de l’ordre et de l’apéro (qu'ils allaient finir par prendre en retard, avec ces conneries) quand, ayant coupé à travers champ pour plus de discrétion, revenait notre Robot Bébert sur les lieux du drame. Il restait un peu à l'écart, le dos courbé, le pif à hauteur des fleurs de colza qui l'environnait, conscient que vu sa tronche, il aurait l’air aussi suspect qu’un rom sur la Place Beauvau. Il observait les atermoiements gendarmiques à distance, mais ce qui ne devait pas manquer d'arriver ne manqua pas. Un gonze, alarmé par le bruit de mobylette, regardait obstinément dans sa direction, et finit par le capter. C'était un vieux qui faisait le badaud, fringué d'un impayable ensemble polo-jogging-charentaises. «Hé là, toi! Hé, v'nez voir, vous autres! Y a un gars dans le champ qui essaye d's'planquer!» qu'il gueula à s'en cracher le dentier. Les autres en question se rameutèrent, considérant l'événement comme un rebondissement de première ordre dans l'enquête pataugeante des pandores. Innocemment, Bertrand se découvrit tantôt. Ventrilopant dans son polo bleu clair à galons, le moustachu gendarme le plus proche porta la main à son soufflant de service. Bébert fit mine de lever les paluches, oubliant que sa gauche venait de chez Husqvarna. Panique chez les gonziers. La hiérarchie gendarmique présente se mit à beugler, face au suspect potentiel, planqué, couvert de raisiné, et ayant du contondant en main. Sentant que l'atmosphère était au lynchage, Bertrand cala sa grole sur son cale-pied, embraya la chaîne sur son moulin et, en mode équilibriste, traça au travers du champ sous les globes ébahis des badauds et gendarmes.

Il poireautait à l'écart, accroupi façon posage de pêche, grapillant sur les tiges quelques effloraisons colzaïques qu'il machouillait. Prévoyant, le Bertrand: Si des bus pouvaient carburer à l'huile de fleurs jaunes, peut-être qu'en laissant macérer ces mêmes petites fleurs dans son réservoir, ça lui rallongerait d'un poil le coco. Et puis, il cogitait mieux en grignotant. La mangeaille stimule les méninges, c'est connu.
Bon, la frousse des autres gars sur les lieux de l'accident n'était pas spécialement légitimée, mais ça en disait beaucoup sur sa situation. Avec sa tronche de Quasimodobylette, et avec l'état d'esprit bien obtus du terroir local, il n'avait pas trop moyen de se pavaner. Se redressant, il se remit sur sa roue, avec une idée en tête faute de l'avoir ailleurs, fut-elle pas si bonne que ça.
Il lui était passer en tête la même chose que n'importe quel gaillard qui en pince pour une frangine. Il voulait voir Cindy.

La maison de la famille Bazoches était crépie d'une jolie teinte «Jaunisse du nourrisson», qui se désaccordait bien avec la teinte gris PVC sale des volets unanimement baissés. Devant, faisant lieu de cour, un carré de gravillons, parsemé d'herbes folles et de nains de jardins en plastique qui champignonnaient. Bertrand fit tinter la sonnette. Pas de réponse, il ne devait pas y avoir grand monde à la casa Bazoches. Mais la lourde n'était même pas clanchée, comme une invitation, alors Bébert entra. Il pénétra dans le salon, décoré à la mode grand veneur. De quoi filer des cauchemars conjointement à Valérie Damidot et Brigitte Bardot: Des bestioles ornaient toute la cambuse, sur tous les murs, empaillés, en trophées, en canevas, en motif de tapisseries ou sur les posters punaisés tirés du Chasseur Français. Et histoire de compléter la thématique ornementatoire des lieux, râteliers et vitrines exposaient toute une panoplie des tromblons et de soufflants, des fusils de tous calibres à dessouder du chevreuil, du sanglier, de l'éléphant ou du témoin de Jéhovah.
Et le massacre était à l'avenant dans le reste de la baraque. Seul une porte, dans le couloir à l'étage, affichait autre chose que du gibier, foutant au passage un coup de pression à Bertrand. Un poster grandeur nature de Sid Vicious lui présentait son majeur fièrement tendu, et signifiait, là derrière, l'emplacement de la piaule à Cindy. C'était leur idole commune, le Sid. Bébert gardait le souvenir ému d'une fois qu'ils avait jacter ensemble avec Cindy, à étaler leur admiration pour le bonhomme, pour la façon dont il avait fait du «No Future» un principe de vie, et de foutage en l'air de celle-ci.
Il inspira un grand coup et poussa la porte.
La tapisserie rose à motif Barbie s'effaçait derrière une foultitude de posters de groupes, d'affiches de concerts et de festoches. Sous un drapeau The Exploited qui faisait office de parure de lit, la môme Cindy pionçait. Le deux-temps dans la poitrine de Bertrand accéléra malgré lui quand il se rendit compte qu'elle était vraisemblablement nue, et il se questionna quant aux bon fonctionnement de son service trois pièces suite à l'accident quand il y ressent quelque palpitation. Mais voilà qu'elle émergeait; elle bougeait, reniflait, et ses yeux commençaient à s'ouvrir. Faut dire qu'avec le mélange odoriférant que se trimbalait Bébert, entre mazout, viande pourrie et alcool frelatée, il y avait de quoi réveiller les nerfs olfactifs les plus emmorvés.
Elle eut un mouvement de recul, Cindy. Parce qu'il y avait certes l'odeur, mais je ne vais pas vous refaire l'article quant à son allure, à notre cy-clomoteur-borg. Il était pas plus beau à voir qu'à sentir. Se redressant, elle tira un drap pudique sur ses miches nues.
«Bertrand?» demanda-t-elle, la langue encore engluée de sommeil et des excès de la veille.
Lui ne répondit pas, carrément intimidé. «Qu'est-ce qu'il t'est arrivé? Qu'est-ce que tu fais là?» reprit-elle.
«C'est... Je.... J'avais envie de te voir.» bég-balbutia Bertrand.
Et puis, doucement, il commença à lui tartiner toute l'histoire. Son accident, le routier, son bricolage médico-mécanique, son retour et l'accueil de la flicaille. Du long qu'il causait, la môme Cindy le reluquait sous toutes les coutures. Ca restait encore une gamine, Cindy, aussi restait-elle impressionnable et effrayable dès qu'on tapait dans le morbide et le violent. Elle passa en désordre par toute les couleurs de la maturation de la tomate durant le récit de Bertrand, et resta bloquée sur le vert nauséeux quand celui-ci, par va-savoir quel looping dans sa narration, mentionna le pourquoi du comment de sa biture et les As & Dick.
Ce fut elle, maintenant, qui ânonna dans le désordre un début de réponse.
«Je... Je voulais pas, tu sais. J'étais bourrée, c'était pas comme ça que ça devait se passer.»
«Tu ne voulais pas? Perroqueta Bertrand. Tu veux dire qu'ils t'ont violé, c'est ça? Ils t'ont forcé?»
Elle hésita. Bertrand vit rouge.
«C'est ça, alors? Dis-le moi, Cindy! Un mot de toi et je t'apporte leurs couilles sur un plateau!»
Elle avait les miquettes, Cindy. La trouille de ce qu'allait bien pouvoir faire le Bertrand à propulsion thermique. Angélique comme une marquise des anges, voulant surtout se débarrasser de lui, elle articula un «oui.»

Les As & Dick se retrouvaient tous les vendredis aprèm et tous les lendemain de concert pour une répet' qui consistait surtout en une biture collective au Picon bière. Ça se passait dans le garage du paternel au gars Dick, qui en fait s'appelait Roger, là où d'habitude le vieux laissait sa Xantia pisser de l'huile. Il était quelque chose comme 8 du soir, ce qui signifiait qu'on en était à 3 morceaux de joués et 7 litres d’éclusés.
Les As en question prenait leur pause syndicale, et s'offrait un petit jeu à boire, le cul par terre et les canettes entre les pattes, tandis que le Dick profitait qu'il était à domicile pour se réfugier dans sa piaule, le temps de se faire turluter par sa régulière, une planche à pain qui, au sexe près, aurait pu être sosie officiel de Franck Ribéry, et que tout le monde appelait Loulou ou la Morue, selon qu'elle écoutât ou non.
Alors qu'ils attaquaient la deuxième manche et le ravitaillement en binouzes, un bruit leur firent dresser l'oreille. Un moteur de bécane qui répétait obstinément son ralenti régulier juste là, derrière la lourde. Bon, rien de surnaturel: C'était souvent qu'il y avait des gars qui se pointaient et squattaient leur répétition, pour écouter de la musique, causer un peu et picoler beaucoup.
Sauf que là, en fait d'entrer dans le studio-garage, le gonze au dehors se contenta de balancer un grand coup de tatane dans la porte. Les quatre zicos s'entrinterloquèrent en entendant démarrer un autre moteur. Ca vrombit en mode menaçant, et soudain le polymère de la porte vibra, grésilla, et se fendit pour laisser apparaître le guide mouvant d'une tronçonneuse enragée. L'engin taillait des croupières et des segments au hasard à travers la paroi, puis celle-ci se déchira pour découvrir aux yeux des rockeurs un drôle de cyborg tiers-mondiste en la personne de Bertrand.
«Qu'est-ce c'est qu'ce truc?» interrogea rhétoriquement un des As.
«Pétons-lui sa gueule.» décréta un autre. Bertrand se campa sur sa Ranger et sa roue, vissa son œil rescapé droit devant lui et, de sa main valide, tourna d'un poil la poignée de gaz de sa gorge.
Il esquiva la canette qu'on lui lança, rotationna sur lui-même, tailladant un main par-ci, un jambe par-là, un vrai chambara-tronçonneuse. Un des gonzes l'attaqua par derrière. Bertrand recula, l'acculant contre la paroi en BA13 brut, lui plantant l'embout de son échappement dans le bide, et, d'un coup de gaz, lui encarbonisa les tripes. Un autre, déjà amoché, se jeta sur lui, et l'instant d'après, sa tête courait dans l'autre sens, ayant oublié le reste du gus. Le troisième se pointa droit devant, une barre de fer à la main, et se retrouva découper en diagonale en suivant les pointillés. Le garage était repeint façon Jackson Pollock, si celui-ci avait eu une période rouge. Le dernier gars était agenouillé, trop occupé à faire le tri dans les viscères qu'il avait face à lui pour remarquer qui lui manquait la moitié de la tronche. Franken-Motobécane-stein désempêtrait le guide de sa tronçonneuse des boyaux qui la retenait, quand la porte du garage s'ouvrit sur Dick et sa gonzesse. Futal et calbar au niveau des chevilles, le grand dadais dégingandé débanda direct. Effrayée, la Morue fit une démonstration de ses capacités à monter dans les aïgues, avant de courir, à travers la porte éventrée, chialer sa trouille ailleurs. Dick, lui, ne moufta pas, avant d'enfin postillonner un «t'es qui, p'tain? Qu's't'veux?!», comme si l'heure était à la conversation.
Pour tout semblant de réponse, Bertrand fit aboyer le moteur de sa tronçonneuse, aspergeant au passage Dick de quelques menus copeaux de ses ex-collègues. Puis il la fit monter le long des guiboles du chanteur, menaçant, accélera, réduisit sa saucisse en chair à, et lui bâtit les deux œufs en  neige. Il monta encore. La panse du punk s'ouvrit sur la chaîne de la scie mécanique, et déversa toute sa tuyauterie sur le sol du garage.
Bertrand s'assit sur le coin d'un ampli parmi les quartiers de bidoches qui étaient quelque minutes avant les As & Dick et, laissant égoutter sa tronçonneuse, il sirota une bière.

Tout joisse, Bertrand carburait à toute blinde à travers le bled. Il revenait vers Cindy.
Zigouiller les As & Dick l'avait foutu dans une drôle d'euphorie. Il se sentait fort, puissant. Un truc nouveau, pour lui qui était taillé comme un sandwich SNCF. Il en avait remonté à ces mecs qui avait attenter à l'honneur de sa Cindy chérie, il leur avait mis la pâté, et il se voyait bien recommencer quand il faudrait avec n'importe qui. Il avait confiance, la patate grand format. Il stoppa cependant à un demi-hectomètre (50 mètres à vue de pif) de la maison Bazoches. Le paternel devait tenir conférence, car deux bagnoles et un tout-terrain étaient garés devant. Bertrand descendit de sa roue, tourna son robinet de réservoir sur la réserve, et décida de boiter, plus normalement, jusqu'à la porte d'entrée. La lucarne qui perçait le toit de sa lumière, à l'étage, s'entrouvrit quand il pénétra dans le champ de gravillon. Le mignon minois de Cindy se découpa en contrejour dans le carré.
«Bertrand, gémit-elle. Non, ne...»
Il ne s'était pas spécialement équipé d'un œil bionique, ni n'avait subit de greffe de jugeotte bonus, mais il a bien capté que papa Bazoches lui avait mis une raclée, qu'elle chialait, et qu'elle avait les foies. Le sang et l'essence de Bertrand ne fit qu'un tour, sans passer par la case départ ni toucher les 20000. Il sortit la bouteille de gnôle de son blouson, s'en envoya une large gorgée, et démarra sa tronçonneuse. Il montait dans les tours façon dragster, le Bébert, et il ne mit qu'une poignée de seconde à transformer la porte d'entrée en allume-feu. Derrière, dans l'entrée décoré façon «Chasse, Pêche, Biture et Tradition», était statufier un espèce de pélican en salopette de travail, rougeau et  adipeux dont le gobage de mouches intensif accentuait encore le goitre.
«C'est toi le père à Cindy?» interrogea Bertrand, n'ayant en effet jamais rencontré le géniteur de sa dulcinée. Le volatile obèse tendit un doigt sauciforme vers le living, où tronaient Laurel et Hardy en tenue de gendarmes. Si le petit gardien de la paix, momie amorphe qui flottait dans son uniforme, était inconnu de Bertrand, la version bibendum qui l'accompagnait, et qui se révéla donc être le Maréchal de Logis Bazoches, fit tinter une cloche dans sa mémoire. C'était le même gros moustachu qui lui avait dégainé sous le nez quelques heures plus tôt, sur les lieux de l'accident.
«Ah nodidiou!» interjecta celui-ci. S'éclipsant derrière Bertrand, l'homme-pélican avait déjà prit ses jambes à son cou (ce qui demande une grande souplesse).
«C'est la dernière fois que tu lève la main sur ta fille, enfoiré!» déclara le Bébert.
«Tu l'as dit: C'est ma fille, gamin! Répondit l'emmoustaché. Si j'veux y mettre ma main sur la gueule, j'y met ma main sur la gueule. Si j'veux y faire goûter de ma bite pour qu'elle se rappelle qui c'est l'homme de la maison, j'y met ma bite!»
Et le Stan Laurel à son gros côté, comme pour appuyer cette déclaration aussi fine que celui qui l'avait proférée, de se saisir d'une des pétoires qui décorait la pièce.
La teneur de la sentence était typiquement du genre de celles à faire bouillir Bertrand. Mais avant qu'il n'ait pu faire le moindre mouvement, la momie gendarmique lui avait déjà balancer un coup de chevrotine dans le buffet. Bertrand encaissa, les tripes fumantes, pissant l'essence. Il fit un pas en arrière, se prit une deuxième décharge sans guère broncher, et sauta sur le duo. Premier coup de tronçonneuse. L'amas de force de l'ordre esquiva, et Laurel se retrouva d'un coup avec un canon scié de traviole. Quand il tenta de faire feu, son fusil de poche explosa et, avec deux paquerettes de viande au bout des bras, il ne put que laisser tomber ce qui restait de son feu. Deuxième coup de tronçonneuse, et sa jambe rejoignit le bout de flingue. Un coup de pétard sourd descendit les vitres du salon. Le père Bazoches avait à son tour chopé un fusil et tiré. Quand il pressa de nouveau la gâchette, ce fut pour rater Bertrand mais vaporiser son collègue, étalé en une gerbe rouge sur la table de la salle à manger. Ayant repris sa bouteille de gnôle, Bertrand la vida, cul sec et, les moulins au rupteur, commença à tronçonner contre un barbare. Il dévia le soufflant du paternel, l'accula contre le poste télé, et tailla dans les bourrelets. Le vieux, enragé, ne bronchait pas, essayant de l'étrangler. Ca allait mieux pour Bébert, une fois les bras séparés du gonzier.
«Je vais te buter, petite enflure!» continuait à râler le gros père. Le tube cathodique, bientôt recouvert de sang et de cellulite, implosa quand les lames de la tronçonneuse, traversant le gendarme, attaquèrent son verre, et des morceaux de bidoches furent aspirer par le vide ainsi crée. Après encore de long instants de découpage, le père Bazoches tomba, en pièces détachées et dans le désordre, sur le plancher de sa salle à manger, redécorée pour l’occasion de grandes gerbes hémoglobineuses.
Du milieu de l'escalier, Cindy observait la scène. Quand Bertrand se tourna vers elle, avec sur la gueule les tranches de carpaccio de son père, elle lui sourit.
«Prépares tes affaires, qu'il lui dit. Faut qu'on trace.»

La chasse était ouverte. On avait déhoussé les fusils, sorti fringues de surplus militaire et gilet fluos, chargé saucissons et cubis de rouge dans le coffre. On tapait dans l’inédit, niveau proie, avec pour soi l’idée que la morale, la normalité et le bon ordre social était de notre côté. Un marginal, assassin par-dessus le marché, et moitié robot-mort-vivant de surcroît. Ça n’allait pas être du lynchage, juste un nettoyage, une action salutaire; chrétienne même. Le justice façon vieille France, sauce chasseur. La loi du taïaut, quoi.
Les viandards étaient excités comme des puces, la bave aux lèvres et le goût du sang dans la bouche, pire que leurs clébards. Le soir tombait doucement, ce qui se résumait, vue le couvercle nuageux, à une baisse de la luminosité ambiante. Pas grave, puisqu’on allumait les phares des 4x4, et qu’on avait ce qu’il fallait niveau projecteur mobile.
Seulement, si la magie du bigophone avait permis à nos miliciens improvisés de se mettre en branle rapidement en suivant les informations du pélican fuyard, ceux qui avaient passé le mot avaient omis quelques menus détails. Et donc, quand ils se réunirent à proximité de chez le père Bazoches, ils eurent la surprise de voir que le monstre mi-homme, mi-cyclomoteur avait la petite Cindy comme complice plutôt que comme victime. Et que c’était à bord de la bagnole de celle-ci qu’ils prenaient la fuite.
Faut dire que l’effort du trucidage de paternel avait émoussé l’énergie du Bertrand. Son niveau de mélange à 4% avait pris un coup derrière les oreilles et, si il avait pu éteindre sa tronçonneuse pour en préserver quelques gouttes, c’était maintenant son cœur mécanique qui hoquetait. Si bien que, toute encompassionnée, et consciente que la vindicte populaire n’allait pas tarder à leur tomber dessus, Cindy l’avait chargée sur la banquette de sa Fiesta pour fuir vite et bien.
Elle sortit du garage, et fit vavavoumer la Ford à travers le village, s'ouvrant un passage au travers des 4x4 qui ralliaient le QG Bazoches. C'était pas Fangio, la Cindy, mais elle savait mener sa carriole.
A l'arrière, allongé sur la banquette, Bertrand dégustait. Nauséeux, il avait l'impression d'être constamment à deux doigts de claquer. Le bruit du moteur de la bagnole fit clignoter une idée dans sa caboche. Contre toute logique, il démarra sa tronçonneuse, ce qui lui suça un peu plus d'énergie encore, puis il en abattit le guide à travers l'assise. Au-delà des copeaux de mousse, la machine cala contre la tôle du dessous. Il redémarra, et attaqua la ferraille. Ses travaux de carrosserie terminé, il avait accès, juste là où on pose le prose, au réservoir d'essence de la bagnole. Il se mit à tétiner, directement à la goulotte.
«Arrêtes Bertrand! L'interrompit Cindy. Tu pompes tout et il reste rien pour mon moteur!»
En effet, le moulin de la Fiesta clapotait, et ça n'était guère le moment. La Cindy avait pris un virolo en mode rallyman et obliqué dans une cour de ferme, qu'ils avaient ensuite traversé, slalomant entre les gallinacés, pour déboucher dans un champ de maïs. La bagnole était bien planquée, vu l'altitude atteinte par les graminés, mais elle manquait de pèche pour se bringuebaler correctement à travers les sillons, et la horde chasseresse ne mit guère longtemps à les débusquer. Ils étaient maintenant de retour sur un de ces chemins de terre qui quadrillaient la zone, et de partout autour, des paires de phares leur cramaient la rétine. Ce fut à une intersection que l'encerclement viandard arriva à son climax. Un coup de pare-buffle défonça le côté droit de la petite Ford, l'envoyant faucher les maïs comme un militant anti-OGM. Après quelques tonneaux, la tire s'échoua, sur le flanc, tel un cachalot candidat au suicide. Sans attendre leurs restes, Bertrand et Cindy s'extrayèrent de la carcasse, sous la menace des lueurs approchantes.
«Viens.» ordonna Bébert à sa douce, entamant alors un drôle de numéro de Barnum. La péronnelle punkette s'agrippa à ses épaules et se cala contre son dos, à dada sur son homme-mobylette, lequel grimpa sur sa roue et son cale-pied et carbura droit devant. Ils foncèrent, évitant un pare-choc et un coup de plombs à sanglier. Cindy pointa du doigt un point, un bout de pilier blanc qui grimpait et se découpait dans la nuit noire. C'était là qui allait pouvoir se réfugier. La base d'une éolienne. Une section d'escalier en tôle galvanisée, et une porte ovale façon sas de sous-marin, qui faisait l'effet d'une crotte de mouche posée là vu les dimensions de l'engin.
D'un coup de tronçonneuse, Bertrand fit sauter la serrure du portillon, et lui et Cindy pénétrèrent la colonne de la grande girouette.
L'intérieur était aussi circulaire et blanc que l'extérieur. Des échelons, plantés dans la paroi, augurait d'une belle grimpette jusqu'en haut. D'un nouveau coup de débiteuse de bûches, Bébert sectionna une barre en ferraille qui servait de renfort à la structure, et la coinça en travers de la porte pour barrer celle-ci. Déjà les viandards tambourinaient de l'autre côté. Cindy n'avait pas attendu qu'on lui envoie un fax de confirmation pour commencer à escalader les barreaux. Il suivit le mouvement.

Les échelons lui semblèrent se succéder à l'infini. Ça grimpait, encore et encore et encore. Faut dire qu'il en chiait, le Bertrand. Z'avez déjà essayé, vous, de grimper à une échelle avec une tronçonneuse en guise de paluche et une roue de mob à la place de la guibolle? Moi non plus, mais j'imagine. Surtout que la môme Cindy, au-dessus de lui, ne semblait guère disposée à l'attendre, tandis qu'en bas, ils avaient toujours les villageois vindicatifs au derche. Ceux-ci avait d'ailleurs fini par réussir à pénétrer dans l'éolienne, et commençaient à leur tour à se payer l'escalade.
Pour ne rien arranger, son moteur-coeur se remettait à tousser comme un tuberculeux, ce qui avait pour effet de lui foutre un vilain coup de pompe, et de rappeler à son cerveau reptilien les bonheurs du vertige. Dans les boyaux de son réservoir, le colza qu'il avait brouté commençait à peine à être digérer, et sa fiole de gnôle était aussi pleine de vide qu'une émission de télé-réalité.
Bertrand profita d'être arrivé à un palier pour se donner un coup de poignée de gaz, histoire de se réveiller un coup. Si jamais il calait, sûr qu'il allait se casser la gueule à la renverse, se bouffer barreaux, paliers, parois façon boule de flipper, jusqu'à rejoindre le plancher des meuh-meuhs. Et que là, les chasseurs et leur compagnie allaient te le démembrer façon film de zombies. Tant qu'à profiter de sa pause, Bertrand déboutonna son futal et se mit à pisser, visant bien à arroser les chasseurs en contrebas. Drôle de vinaigrette, d'ailleurs, qui leur pleuvait sur le râble. A l'urine se mêlait un semblant d'hydrocarbure chargé de calamine, comme l'huile d'une vidange un peu trop anticipée. Il se remis un coup de gaz dans le carbu et la bite dans le calbute, puis repris son escalade, s'accrochant du mieux qu'il pouvait pour réussir à rejoindre le cul de Cindy qui, lui, montait sans grande difficulté.
Après une escalade qui avait dû durer quelque chose comme 3 ou 4 heures en temps ressenti, Cindy arriva au sommet de l'échelle, au niveau de la nacelle de l'éolienne. Elle souleva une trappe, libérant ainsi le vacarme qui régnait là-haut. Bertrand finit par la rejoindre. L'intérieur de l'éolienne ne ressemblait pas spécialement au Plaza Athènée. Une fois la trappe refermée, l'homobylette et sa copine prenaient à peu près tout du peu de place disponible. Le reste était occupé par l'énorme bloc de fonte boulonnée et peinturlurée de bleu de la dynamo, par du câblage électrique format maousse qui en sortait et par quelques armoires électrique façadées de sibyllins compteurs, manomètres, jauges et autres loupiotes. Histoire d'arrêter de se cogner la calebasse contre la basse voûte de tôle de l'ensemble, Cindy entreprit de grimper encore la petite échelle métallique qui trônait là, et donnait accès, via une nouvelle trappe, sur l'extérieur et la tête du ventilateur géant.
«Viens!» Intima-t-elle à Bertrand.
«Nan! lui hurla-t-il en retour pour couvrir le boucan de la dynamo. Tu veux qu'on fasse comment, après, une fois dehors? Qu'on se fasse pousser des ailes et qu'on s'envole?»
«Tu préfères attendre sagement qu'ils viennent te trucider ici, peut-être?» lui renvoya la donzelle.
Le piston tressauta dans son cylindre, et avec lui tout le gars Bertrand. Voilà qu'il allait calé.
Il resta planté là, raide comme un piquet, comme surgelé, et bascula en avant, la tronche contre la grosse dynamo, puis roula sur le plancher en pure ronce d'aluminium strié massif.
Le voyant choir, Cindy, au désespoir, descendit de son perchoir.
«Bertrand!» gueula-t-elle afin de réveiller l'inerte. Voyant que les appels et les baffes ne marchaient guère, elle entreprit de le mettre sur le côté, et, en fait de massage cardiaque, embraya le pignon sur le moteur et fit tourner la roue. Au bout de quelques impulsions, les «plop-plop» secs du moteur se transformèrent en combustion, et après quelques coups de gaz, Le Bébert fut de nouveau frais et dispo. Ce fut le moment que choisirent les chasseurs pour cogner contre la tôle du sol, tel une meute de taupes enragés et armés de fusils, ivre de haine et de vinasse. Je n'ai jamais vu de taupes de ce type, mais j'imagine.
Bertrand avait encore un petit reste des vapes dans lesquels il était tombés, et l'assaut des trappeurs à la trappe le fit un poil paniquer. D'instinct, il chercha à démarrer sa tronçonneuse, près à leur mettre sur la gueule, mais son élan belliqueux dépassa son équilibre et l'Husqvarna vint planter sa chaîne entre deux gaines de câbles électriques. L'instant d'après giclèrent des copeaux de caoutchouc noirs, qui se transformèrent l'instant d'après-après en étincelles. Bébert jouait les Claude François, la douche en moins et le voltage en plus. Fumant, hérissé, encore vibrant d'électricité, Bertrand détacha le guide de sa tronçonneuse des câbles, bleui façon point de soudure, et se tourna vers Cindy. Le cuir de son blouson exhalait le cochon grillé, les agrafes sur ses blessures électrolysaient comme des cierges magiques, et sa pompe et son pneu se la jouait tablette de chocolat en plein cagnard. Il s'était roussi le poil, et des flammèches auréolait encore sa trogne.
«Ça va?» s'enquit, inquiète, Cindy.
«Tu rigoles, lui fit Bertrand. Je pète le feu, ouais!» Et, fiérot, d'appuyer sa déclaration en faisant vrombir son cœur mécanique et cracher son pot d'échappement.
Un jet de chevrotine traversa la trappe, interrompant l'entrefaite et ramenant l'attention sur la horde viandarde au dessous.
Alors, notre punk biomécanique fut pris d'une lubie dingue, et un éclair mauvais, témoignant de fils qui se touchaient quelque part, luit au fond de son globe rescapé.
Le tendon tendu sur la gâchette des gaz de la tronçonneuse s'étira, et le moteur monta au rupteur. (oui, j'aime alitérationner. Et néologismer aussi.)
le joujou à bûcheron hurla sa rage de faire du copeau, alors Bertrand l'abattit sur le gros bloc bleu de la dynamo. Gerbes d'étincelles façon 14 juillet, vacarme bruitiste.
«Tu sais quoi? En fait, c'est ça qu'on va faire! S'envoler!» gueula-t-il.
Sous l'épaisseur de fonte, les enroulements de cuivre rotationnaient, générant, de par leur relation d'amour vache avec les aimants, l'électricité qui faisait tout l'intérêt de ces élancées éoliennes blanches.
Bertrand planta ses paluches, l'originale et la mécanique, dans le conglomérat de bout de ferraille, et s'offrit une nouvelle session de coups de jus.
Et voilà que le feulement régulier du bobinage s'aiguisa, signifia une accélération, que les voyants et les autres trucs du tableau accroché au mur se mirent à clignoter et à bouger drôlement, qu'en fait, toute la nacelle se mit à clignoter, à vibrer, à trembler, à fumer et à fuliginer comme un sapin de noël épileptique et tabagique.
Au centre, Bertrand convulsait au point d'être flou comme une photo ratée, et il ne tarda pas à ressembler à une photo ratée qu'on crame. Il flambait de plus belle, au point qu'à côté, sa première électrocution de d't'l'heure ressembla à un pet de mouche anémique.
Autour aussi, tout ce qui était combustible se consumait. Le caoutchouc des gros câbles gainé de noir retrouvait son état liquide primordial, arrosant dans la colonne les chasseurs agglutinés le long de l'échelle. Et les câbles, une fois sortie de leur gangue, de se mettre à rayonner, chauffé au rouge, comme les résistances d'un grille-pain. Et c'était la meute de mecs fringués à la mode surplus militaire qui jouaient les tartines. La peinture de la colonne pelait sous le rayonnement, la peaux des mecs aussi, façon coup de soleil minute. Ils tombaient, comme des feuilles mortes, et à peu près aussi secs.
Ce qu'il se passait, en fait, c'était que Bertrand pompait à lui toute l'électricité. Les bleds au alentour renouaient avec les joies de l'éclairage à la bougie, et des brouettées de volts, d'ampère et de kilowatts grimpait jusqu'à la grosse dynamo et au truc calciné qui était autrefois Bertrand. En fait de dynamo, c'était maintenant un moteur, une turbine mastodontique, dont le rotor entraînait à l'en dévisser l'hélice de notre éolienne. Elle enquillait les tours-minutes à ne plus savoir où en mettre, et se sentit bientôt, retrouvant son instinct primaire d'hélice sauvage, l'envie de s'envoyer en l'air.
La nacelle suivait son envie de larguer les amarres, et à force de vibrations, les visseries, soudures, platines, gros systèmes vis-écrous et autres pièces de liaison qui maintenaient le tout au sommet du pylône déclarèrent forfait.
Dans un grincement de tôles mécontentes d'être froissées, L'éolienne s'arracha, scalpant le poteau.
Tel un avion sans ailes qui n'aurait pas déplu à Charlélie Couture, l'éolienne hélicoptérisa sa trajectoire dans l'azur nocturne ponctuée d'étoiles, vrombissant comme un essaim d'abeilles préhistoriques, laissant derrière elle une diagonale de fumée.

Cindy sortit de la carlingue avec un look à la Germinal: Boiteuse, la tronche noire de suie et les frusques en haillons. Pour ajouter au tragique du tableau, elle chialait. Elle n'avait pas fusé bien loin  au cul de son hélice. L'ensemble s'était gaufrée à une petite borne du pylône, en plein dans un champ en jachère. La nuit était noire et épaisse comme un café à la turc, dénuée de touté éclairage because les actions de Bébert, et si là-bas, la tour décapitée dégueulait maintenant de chasseurs cuits saignants, des gyrophares bleus clignotaient et pimpontaient de-ci de-là dans le lointain.
La punkette se retourna. «Bertrand?» pleurnicha-t-elle, tentant et tendant sa tête à l'intérieur de la coque de ferraille éventrée. Là, affalé contre le corps de la dynamo, qui avait au passage pris de chatoyants reflets d'arc-en-ciel sous l'effet de la chaleur, Bertrand n'est guère plus qu'un gros amas de carbone vitrifié, dégoulinant de goudron comme un poumon de fumeur.
«Bertrand?» Appela-t-elle encore, avec dans la voix de l'espoir et une pointe de trouille. Alors il y eut une vibration, un rythme sourd, étouffé, comme celui de la musique de merde qu'écoute votre voisin et qui résonne à travers la cloison en papier Rizla. Le tas de diamant non-comprimé fut pris d'un soubresaut et, là où se situait auparavant l'échappement du pot pour cyclomoteur, naquit un nuage noir plein de particules fines, empolluant l'air. Le moteur avait redémarré.
Des fissures naquirent  au pif sur le bloc, et celui-ci se décoinça de la génératrice. Les boules de coke se dessinèrent en semblants de membres, déployant une silhouette colossale de bonnement trois mètres.
Cindy eut un mouvement de recul. Le gros monticule de charbon qui fut autrefois Bertrand lui sauta dessus et, la prenant sous son bras, disparut dans le lointain.







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