Lapinou
se reposait dans son quartier général de Fond-de-Terrier. Il écoutait Bob
Marley and the Wailers en alternant carotte et pétard. C'est là qu'il reçut le
message d'alerte. Le docteur Méchant avait lancé ses troupes de robots-ninjas
sur la forêt magique. Le docteur Méchant n'était peut-être pas vraiment
docteur, mais il était vraiment méchant (la frustration de ne pas être un vrai
docteur). Et puisque Winnie était trop occupé à draguer en boîte en glissant de
la drogue dans les boissons des jeunes gazelles, c'était à Lapinou qu'incombait
la tâche de sauver le pays magique des animaux anthropomorphes. Fichtre-zut ! s'exclama-t-il. Qu'il devient ardu de procrastiner en paix ! Son
compère la tortue-ninja avait peut-être reçu l'appel de détresse, mais rien
n'était moins sûr.
Conscient
de sa responsabilité, il ne pouvait ignorer cet appel. S'il ne sauvait pas le
Pays Magique, c'était l'imaginaire de millions d'enfants du Pays des Vrais-Gens
qui était menacé. Une invasion sentaï en pays fontainien (ou même en région
carollienne), c'était inédit et inquiétant. Toute cette violence allaient
perturber les vibes de Jah, et ce n'était pas sympathique, Sacré-Caramel !
Armé
de son courage et de ses carottes magiques, il s'empressa d'enfiler son costume
marqué des lettres LLLF (pour « Lapinou Le Lapin Fou ») et de
s'extraire hors de son terrier secret, les oreilles dressées, en alerte. À
nous vingt-sept, vils sacripants ! (oui, le docteur Méchant était
accompagné de vingt-cinq robots-ninjas ; c'était indiqué dans le message
d'alerte).
Bondissant par delà brins
d'herbes et pâquerettes, Lapinou ne connaissait pas la fatigue – il avait dormi
presque vingt heures la nuit précédente et ses forces étaient à leur paroxysme.
Crénom de ballon, ils vont voir de quel chanvre je me chauffe !
Hé
Cousin ! Il s'arrêta net à cette
interjection. C'était le lièvre, son arrogant cousin. Il était appuyé à un
arbre et venait d'achever de rouler un joint. T'aurais pas du feu,
cousin ? Bien sûr Lapinou avait toujours du feu pour honorer Jah. En
lui tendant le foyer de la flamme, Lapinou interrogea son cousin sur les
baskets qu'il portait à ses pieds : Tu fais encore une course ?
Le lièvre lui expliqua que c'était effectivement le cas, mais qu'il s'octroyait
une pause bien méritée qui ne l'empêcherait pas d'arriver le premier, haut la
main, sur son adversaire. Lapinou laissa là son cousin, le temps pressait et
lui ne pouvait s'octroyer cette pause qu'il méritait au moins autant que ce
dernier.
Les
robots-ninjas étaient là, au fond de la clairière de Claire-Fontaine, occupés à
écraser les fleurs de leurs talons tandis que le docteur Méchant restait en
retrait pour agrémenter leur pillage de son rire sardonique et tonitruant d'une
voix de stentor. Mouhaha ! Lapinou s'efforçait de garder son calme,
le saccage des parterres était d'une cruauté sans nom qui ne pouvait rester
impunie. Mouhahara bien qui mouhahara le dernier !
Il
sortit une botte de carottes magiques de sa besace et attaqua les envahisseurs,
en commençant par les sbires mécaniques. Chacun d'entre eux touché par une
carotte magique se désintégrait par caroténase magique. Quand une demi-douzaine
des robots-ninjas eurent rejoint la dimension de l'oubli, le docteur Méchant le
remarqua ; mais il s'attendait à l'arrivée de Lapinou – d'ailleurs il le
précisa : Lapinou, je t'attendais ! Puis il se lança dans une
diatribe invitant Lapinou à une pratique incestueuse avec sa génitrice, qui
selon les dires du savant fou était une lapine particulièrement extravertie et
chaleureuse. Lapinou en fut chagriné, sa mère était une lapine qui avait
toujours respecté les convenances et pour laquelle il n'éprouvait qu'un logique
amour filiale ; de toute évidence le docteur Méchant, aveuglé par sa
haine, faisait preuve d'une erreur de jugement et de médisance.
Le
terrible ennemi mythomane lança son escadre de sbires mécaniques après lui.
Lapinou répliqua. Tenez ! Mangez ça, ça vous rendra aimables !
Alors qu'ils fonçaient sur lui, le super-lapin continuait à mitrailler les
karatékas positroniques de ses bombes végétales. Dans vos poires,
carabistouilles ! Et avant qu'il ne soit submergé, il en avait encore
envoyé une bonne dizaine par delà les dimensions magiques. Mais il en restait
une autre dizaine qui, le confondant avec un ballon de forme ovoïde,
entreprirent la constitution d'une mêlée fermée (selon les règles du rugby à
XV, pas de celui à VII).
La
situation était pénible : le poids de ses adversaires l'écrasait ;
tout comme le poids des responsabilités. Lapinou ne pouvait que le
constater : C'est vraiment lourd, flûtiau mal accordé ! Il lui
fallait sortir de cette mauvaise passe avec le sang froid et l'astuce qui le
caractérisaient. Puisque l'accès à l'air libre lui semblait interdit, il allait
faire la seconde chose qu'il faisait le mieux au monde : creuser un
terrier – oui, rouler un pétard n'aurait été d'aucune utilité dans cette
situation.
Sorti
à quelques mètres derrière le pack, Lapinou lança ses dernières munitions dans
la mêlée. Qu'ils soient tous ainsi agencés arrangeait ses affaires, il pouvait
ainsi se débarrasser de tous ses adversaires en même temps. Et hop !
D'une carotte deux coups !
Mais
il restait le docteur Méchant. Seul et visiblement désarmé, mais toujours aussi
déterminé. Sacrevindiou ! Lapinou n'avait plus de munitions à
portée de patte et un terrible face à face s'annonçait. C'est alors que le
savant fou sorti son arme secrète : Mouhaha Lapinou, admire la
puissance de mon rayon déflecteur à positrons quantiques ! Et un halo
entoura le docteur qui se mit à croître. Dépassant les cimes, jusqu'à avoir la
tête dans les nuages, il pouvait désormais écraser les arbres sous ses pieds,
plutôt que les fleurs. La tâche s'avérait ardue, Lapinou ne lui arrivait pas à
la cheville.
C'est
alors que son esprit se mit en branle afin d'accoucher de l'idée qui lui
permettrait d'avoir une chance de vaincre : Il lui faudrait mettre en jeu
ce qu'il faisait de mieux après les pétards et les terriers. Grandiloquente
idée ! Eurêka ! Dansons la carioca !
Le
docteur Méchant était immense. Mais sa carrure le rendait extrêmement lent, et
les nuages brouillaient sa vue. Et tandis qu'il levait le genou par delà les
cimes dans le but d'écraser le minuscule lapin, ce dernier eu tout le loisir de
vaquer à sa troisième grande spécialité : celle qui achève le cycle de
digestion. Puis il déguerpit au plus vite ; déguerpir était la quatrième
chose qu'il faisait le mieux après fumer, creuser et faire ses besoins (de peu
devant dormir et manger, domaines dans lesquels il excellait également).
L'immense
semelle s'écrasa là où Lapinou se tenait quelques instants auparavant. Mais, à
défaut d'un léporidé, cette dernière ne rencontra que
de petites billes dures. Le docteur Méchant sentant son pied entraîné par le
roulement ne put maintenir son équilibre et parti à la renverse. Sa tête, qui
tombait vraiment de très haut, heurta violemment le sol, lui faisant entrevoir
de nombreuses chandelles, accompagnées d'étoiles.
Victoire ! s'écria le lapin, le scélérat est au tapis !
Empressons nous de neutraliser le bougre ! Mais au moment où il
s'apprêtait à mettre ses paroles en actes, le docteur Méchant, jamais avare de
duperies magiques, s'évapora dans les airs. Probablement s'en était-il retourné
dans une dimension moins idyllique qui siérait mieux à son tempérament
ombrageux. Peu importait, au fond, ce qu'il était advenu de l’intrus ; le
principal était qu'il ne risquait pas de remettre les pieds au pays magique des animaux anthropomorphes
avant un bon bout de temps. Lapinou pouvait retourner à son terrier secret,
vaquer à ses occupations habituelles.
Alors
que Lapinou, de retour chez lui, vaquait à ce qu'il faisait le mieux au monde,
Tortue-ninja arriva dans la clairière : Kowabunga ! J'ai beau
devancer le lièvre, j'ai l'impression d'arriver un peu en retard !
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