samedi 6 août 2011

A genoux [Wolvie]

                  Je crois que lorsque cela m’arriva, seule l'impression constante d’avoir perdu pied résonna au fond de moi comme un pouls régulier. Vous savez, ce sentiment que votre monde s’écroule, celui-là même que l’on rabâche dans tous ces films dramatiques, mélodrames larmoyants censés vous montrer à quel point la vie est cruelle. Des films faits par des gens qui justement n’ont pas connu cette souffrance. Parce que quand on la ressent, aucun mot, aucune image, ne peuvent la faire comprendre et encore moins la soulager. C’est peine perdue. Soit l’on se noie dans l'alcool ou l’on se shoote à coups de cachetons, soit on pleure à n’en plus finir, et seuls vos cris déchirants témoignent alors de votre douleur et font office de pansement, mais à quel prix dans ce cas. Car, lorsque l’on perd un être cher, encore plus quand c’est celle avec qui vous partagiez votre vie, plus rien ne vous retient. Et pas uniquement à la vie. À tout.
Rien ne vous retient au monde. Vos bras auront beau se débattre et tenter de se raccrocher à la plus infime des branches susceptibles de s’en approcher, rien n’y fera. Oh, y’aura toujours des gens pour tenter de vous remonter le moral, voire pour tenter de vous changer les idées, mais cela ne fera qu’au mieux vous agacer car ils ne peuvent comprendre, et vous savez très bien à ce moment-là que ceux qui ont vécu la même perte et par conséquent vous comprennent ne seront pas là pour vous aider car eux savent bien que cela se révélera inutile.
            Quinze jours auparavant, sous les galeries d’arcs en ogive de la cathédrale, j’invoquais à genoux le Seigneur qu’il abrège mes souffrances, et réclamait qu’au moins je sache pourquoi il l’avait rappelée à Lui. En proie à une douleur insoutenable, je n’entendis ses pas qu’au dernier instant, alors que le bas de sa robe noire venait de cacher ma vision du chœur et celle du Christ. Il devait être arrivé par le déambulatoire de droite. Seul dans la cathédrale depuis dix bonnes minutes, j’avoue que n'importe qui aurait pu la traverser sans que je n’entende ni ne voie rien, tant mes sens ne se dirigeaient que sur mon moi intérieur.
            Je levai la tête, ne comprenant pas ce que l’on pouvait bien me vouloir mais mon mouvement s’arrêta net quand j’aperçus la main droite de l'inconnu. Elle semblait difforme sous l’éclairage des bougies qui flamboyaient en tout coin de la cathédrale. Il la cacha promptement derrière sa robe m’obligeant à m’interroger sur réalité de ce que je venais de voir, et ne me laissant pas d’autre choix que de me redresser afin de m’assurer que le reste du corps ne ressemblait en rien à la vision succincte qui affolait alors mes sens. Mais je n’eus même pas le loisir de poursuivre mon exploration car je fus soudain assailli de visions plus terrifiantes les unes que les autres. Tout d'abord, seul un maelström de couleurs se distingua au sein duquel le rouge et l’orange tenaient une place prépondérante. Puis au fur et à mesure que ma vision se faisait plus nette, je pus distinguer ce qui ressemblait à un gigantesque charnier, terrain d’un massacre inhumain, où les corps, entiers ou non, se mélangeaient en formant une créature difforme. Mais ce qui me frappa le plus fut qu’au sommet de cet amas de chairs meurtries, se tenaient un homme que je ne mis pas longtemps à identifier. Sa stature et sa manière de se tenir droit, fier comme jamais, m’était évidemment familière. L’homme n’était nul autre que moi, quelques années de plus au compteur. Tout d’abord, je ne compris pas quel rôle je pouvais tenir dans cette hallucination ou vision, appelez cela comme vous préférez.
            Mais plus les détails se faisaient nets – mon moi vieilli devait être à une vingtaine de mètres  plus je compris que je prenais part à toute cette souffrance devant mes yeux. A quelque distance derrière ce moi futur volaient de nombreuses créatures ailées croisement infâme de chauve-souris et d’être humain, dont la queue se terminait par un dard d’une longueur prodigieuse qu'elles faisaient aller et venir en direction des rares personnes vivantes qui couraient désespérément  pour tenter de sauver leur vie. Tandis que mon autre moi semblait les diriger, les guider en criant dans leur direction et en pointant du doigt vers les pauvres hères en fuite. Son visage affichait un sourire que je ne me connaissais pas. D’un coup, la vision stoppa, me laissant ébloui de tâches blanches comme lorsque l’on regarde trop longuement le soleil. Mon visiteur se tenait toujours devant moi.
Et il parla : « Ce que tu viens de voir va se produire, sois en sûr. » Et je l’étais, aucun doute là-dessus. « Ne te méprends pas sur mes intentions. Je connais ta souffrance et je connais le moyen de la soulager. L’homme qui t’a pris la personne que tu chéris le plus que tout va, par un heureux hasard traverser la rue face à la cathédrale dans quelques minutes. Ce que je t’offre, c'est un moyen de te venger, d’apaiser ce monstre qui dévore ton âme. En échange, car forcément on n’obtient rien sans rien, je te demande de satisfaire une de mes volontés dont je te parlerai une fois ta vengeance achevée. Pour cela, je vais t’octroyer un pouvoir à nul autre pareil. Libre à toi d'en faire ce que bon te semble. Sache juste que ce pouvoir possède lui aussi une volonté propre. »
D’un coup, sans attendre ma réponse – en avait- il besoin ? – il pointa un doigt vers ma poitrine et alors que je m’apprêtais à lui dire de me foutre la paix avec ma peine, une douleur terrible me transperça et mes hurlements déchirèrent le silence lugubre de la cathédrale. Je crus entendre au loin crier ce qui semblait être une vieille dame mais mon corps se trouvait alors soulevé du sol d’un bon mètre, aussi avais-je bien d’autres choses en tête que la santé mentale d’une mamie hurleuse. D’un coup, tout s’arrêta et je m’écroulai au sol. Tremblant, suffocant je me redressai péniblement sur un coude balayant la cathédrale de mon regard, à la recherche de cet étranger dont j’ignorais même le nom et qui venait de me faire subir ce qui ressemblait alors à une farce terrible.         
Mais, tandis que je me dressai sur mes jambes, je sentis une onde traverser mon corps de bas en haut et mon bras se dressa devant moi, contre ma volonté, et une décharge électrique en surgit pulvérisant un pilier. Abasourdi, surpris de ce bouleversement organique, je me souvins être sorti de la cathédrale avec difficultés, en proie à une panique grandissante. Face à moi surgit l'homme vers lequel mes pensées les plus sombres se dirigeaient. La haine m’envahit. Ce meurtrier devait payer. Et alors que je regrettais déjà mon geste, mon doigt le pointa et tandis que j’hurlais son nom, une onde, une décharge d’une puissance inouïe en jaillit et frappa le responsable de ma souffrance en plein torse, pulvérisant la moitié haute de son corps, dispersant des morceaux de chair à la ronde. J’ignorais tout des cris et des injonctions ici et là qui provenaient des badauds alentours. J’avais apaisé ma peine, du moins soulagé ma haine, et je m’écroulais sur les marches de la cathédrale, indifférent au monde. C’est alors que retentit une voix dans ma tête, celle de l'étranger de la cathédrale. Et je sus alors ce qui m’attendait. Je ne pus rien y faire.
           
Depuis, j’erre souvent dans cette cathédrale, si belle quand parfois le jour se lève, ce qui devient de plus en plus rare. Et alors que les cris de souffrance dehors se tarissent, je me surprends à penser de plus en plus à cet étranger et à ce que je lui ferais si jamais il osait revenir. Car, ma souffrance, au lieu de décroître, n’avait fait qu’amplifier et je réservais un chien de sa chienne au type responsable de celle-ci. Qu’il soit le Diable ou non.

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