vendredi 19 juillet 2013

Un cliquetis dans la nuit [Gallinacé Ardent]

Il galopait à toute vitesse. Les branches lui fouettaient le visage. Mais il continuait, riant presque. Piotr Alexandrov Kamtchinski était fou de joie. Pour la première fois depuis des mois, il retournait chez lui, dans sa propriété de Novaïa Mangazeïa, où sa femme et son jeune fils l’attendaient. Le domaine n’était pas d’accès facile, on ne pouvait y accéder que par cheval, après un long périple sur des chemins de crête. Enfin, au fond d’une vallée fluviale, apparut le château, morceau de mécanique crénelée hérisée de tours, escargot architectural insensé. Le cœur de Piotr Alexandrov Kamtchinski vibrait comme un frelon du mois d’août, ivre de sirop. Sa famille l’attendait : sa femme Tatiana et ses yeux de velours vert, opales ovales, écrins de flammes froides, et Stefan, son fils, aux cheveux blonds comme des rayons de soleil solidifiés.
Le jour mourrait. Les insectes sortaient. La terre crachait sa senteur de crépuscule. Le sol respirait doucement, dans une vague lueur d’ozone. Derrière la tranquillité, l’orage était proche. L’air se densifiait. Déjà, les premiers éclairs striaient le ciel. Encore quelques centaines de mètres, et Piotr Alexandrov Kamtchinski pourrait serrer sa chère Tatiana et son trésor Stefan contre sa poitrine.
Il y avait cette plaine devant le château. La mère serrait l’épaule du fils. Elle souriait, quoique inquiète des conditions météorologiques. Son mari, à cheval, fonçait, caracolant, la moustache bougeant comme une limace épileptique, les yeux écarquillés comme des noisettes impatientes. La tempête serait là d’une seconde à l’autre, le ciel s’était fait gris, électrique. On entendait l’air gronder, feuler, chuinter. Les nuages semblaient vouloir se mouvoir en accéléré. Le petit Stefan sentait son cœur se tendre vers son père trop longtemps absent, adoré comme un soleil.
Il ne comprit jamais vraiment le dernier geste du cavalier.
D’un seul coup, Piotr se dressa, vainqueur, les bras ouverts, comme par anticipation, pour embrasser les êtres qui lui étaient chers. Et avec une déflagration effroyable, le ciel se fendit, et éjacula une zébrure d’acier en plein sur la silhouette triomphale. La déflagration fut épouvantable. Dans un univers de blanc douloureux, ne subsista aux yeux de Stefan et de sa mère qu’un contour, homme et cheval mêlé, noir et pulsatile, craquelant d’énergie sombre.
En une microseconde, cavalier, monture, et éclair, disparurent.

***

J’ai 15 ans. Mon père est mort il y a 5 ans. Il a été foudroyé net. Il n’en est rien resté. Ni moustache, ni éperon, ni sabot de cheval. Volatilisé.
Ma mère a vieilli. Comme si mon père avait été un rempart contre le temps, comme s’il avait empêché la durée de s’inscrire sur le visage de Tatiana Fedorova Kamtchinski. Maintenant qu’il était parti, les rides s’étaient creusées. La bouche, auparavant toujours tendue vers le haut, avait découvert la gravité. Elle était à présent barrée d’un pli amer. Piotr avait été ce fil qui tenait la commissure des lèvres en apesanteur. Il avait été rompu.
Moi, je grandis sans mon père. Sans lui, sans sa protection, nous avons des soucis. Nous sommes harcelés par ELEKTROPROM, la principale compagnie d’électricité russe. Ils veulent à tout prix nous voir partir. Ils ont un projet de barrage gargantuesque dans le défilé de Touroukhansk, qu’ils veulent noyer dans un lac de rétention. Nous refusons. Nous organisons la résistance. Jamais le château de Novaïa Mangazeïa ne sera englouti par les eaux. Nous mobilisons les paysans, les ouvriers de la région. Nous faisons des pétitions. Nous dressons des barricades. Nous brûlons des pneus. Nous précipitons des voitures-bélier contre les baraquements du chantier. Petit à petit, nous sommes devenus enragés. Nous ne lâcherons rien. Nous ne nous laisserons pas asphyxier. Nous sommes la Russie, pas comme les misérables technocrates de Moscou aux ordres du Président et de sa clique d’oligarques.
L’électricité m’a déjà pris mon père, elle ne prendra pas ma terre.

***

Et un soir, un soir d’orage couvant, ils nous attaquent. Des sales petits prédateurs aux yeux de vice, aux mains sales, salissantes, empoignant des battes, des tuyaux, des barres à mine. Ils font irruption dans notre maison, défonçant la porte, hurlant. Ils démontent la gueule de Tanya, notre vieille domestique. Elle tombe, le crâne fracassé. Je crie de rage. Ils viennent nous détruire, de toute l’étendue de leur violence. Ils viennent violer ma mère, la défigurer, lui casser la mâchoire, la souiller, détruire son âme.
Je m’interpose. Un coup de villebrequin me frappe la tempe. Je m’effondre. Le sang me grignote la vue. Je rampe. Je les vois se jeter sur ma mère, lui arracher ses vêtements. Ils luisent. Ils ont un regard tordu de drogués, alors qu’ils découvrent sa poitrine. Ils la frappent. Les volets déchaînés sous l’orage semblent applaudir.    
Ma vue se brouille. Et pourtant, il subsiste cette netteté, ces images sauvages, ces cris, ces déchirements, ces coups répétés. Dehors, la pluie tombe comme de l’urine. Le temps se cabre, l’air infecte la terre de son hostilité, les éclairs s’abattent, griffes de l’azur, ils cognent, encore, et encore, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une mare de sang. Déchirures, déchirures, dans la trame de l’atmosphère, dans la trame de mon esprit, chaque éclair me fait reculer plus avant dans le bourbier. Je ne peux pas bouger, aucun son ne sort de ma bouche, je suis tuméfié, rabaissé, cuisant, la bouche ouverte sur un cri imprononçable.
Je suis seul. Ils sont partis. Je suis laissé face au cadavre de Tatiana. La bouche de ma mère égorgée a retrouvé un sourire hurlard, tendu vers je ne sais quel angle, où mon père aurait pu apparaître.
Et dans un craquement sinistre, la foudre frappe le château de Novaïa Mangazeïa. Je suis secoué jusque dans mes cellules. Je tente de regarder vers le plafond. Il est entièrement parcouru de frissons bleutés. Une boule de flammes électriques vient se concentrer sur notre lustre, énorme et pesant. Celui-ci cède ; et les dents retroussées sur un hurlement masqué par le tonnerre, je vois le gigantesque appareillage de cristal et de breloques se disloquer et s’abattre sur moi.
Tous mes os sont écrasés, un chandelier me traverse le crâne de part en part. Mes doigts se referment sur mes paumes pour ne plus s’ouvrir. Mon œil comme une huître morte s’éteint.

***

Combien.
Combien de.
Combien de temps.
Combien de temps passé depuis.
J’ai mal. Mais j’entends nettement : Tagadap. Tagadap. Tagadap-tagadap.
Il y a un cheval dans la nuit. Il y a un cheval qui avance dans le hall d’entrée. Il marche sur les dalles constellées de sang et de verre brisé. Il fend son chemin dans l’air vicieux et enfumé. Il passe devant les fenêtres éventrées, le cadavre recroquevillé de Tanya.
Sur le destrier, il y a un homme. Mon père. Papa. Piotr Alexandrov Kamtchinski. Je frissonne d’épouvante. Il s’est fondu dans sa monture. Il n’ y a plus de séparation nette entre la selle et le fessier. Tout est soudé, uni. Et je sens à présent, comme en écho, le lustre qui hurle en moi. Je veux bouger : je cliquette. Quelle espèce de structure suis-je donc devenu ? L’apparition vrille son regard dans le mien et se met à parler :
-         Stefan... Mon cœur se déchire à te trouver ainsi...
-         Papa !
-         Ne parle pas. Il ne reste plus beaucoup de temps. Toi aussi, tu deviens semblable à moi. Unis par le même destin électrique, soudés par l’éclair. Agglomérés. Moi à mon cheval, toi à notre lustre ancestral. La foudre m’a rappelé à toi. Vengeons-nous. ELEKTROPROM ne l’emportera pas. Ils ne nous noieront pas. Ils veulent de l’électricité ? Soit ! Soyons nous-mêmes électriques. Foudroyons-les, faisons-les griller. Nous sommes devenu le courant, le flot même. Le grand tonnerre nous a ravis au monde, nous ravirons au monde le tonnerre. »
Le spectre cesse de parler. Il s’avance lentement vers ce qui fut ma mère. Le cheval s’agenouille, mon père se plie en deux. Il dépose un baiser sur les lèvres mortes. Les deux corps en contact sont lardés d’éclairs vénéneux qui les enrobent avec un craquement de branche morte. La sphère détonne, l’onde de choc vient jusqu’à moi. Je hurle. Je pénètre dans la terre. Je me dissous.

***

Nijni-Novgorod.
La centrale électrique d’ELEKTROPROM se dresse dans la nuit agitée. « On dirait un dinosaure de béton » pense le vieux Vassili, le gardien de nuit. Il connaît bien cette pensée : chaque soir, elle surgit, métronomique. C’est devenu un réflexe pavlovien, à force : la vue de la silhouette massive du bâtiment à la nuit tombée suscite toujours la même réaction. Vassili ne s’en lasse pas, lui dont la vie n’est qu’une longue lassitude.
Soudain, un frémissement bleuâtre parcourt les lignes à haute tension. « Fichu orage en préparation » songe le vieux. Mais il se trompe.
Tous les sons s’effacent. La lumière bleue devient intense. La centrale se mue en un entrelacs extraordinaires de zébrures electriques. La barbe du vieux Vassili se dresse fièrement en l’air, mieux que l’a jamais fait son misérable pénis assommé à la vodka et aux slips-kangourous trop serrés. Simultanément, l’intégralité des poils du vieillard se tendent comme des piquants de hérisson.    
« Par Saint Nikolai, mais que se passe-t-il donc ? » balbutie-t-il. Dans un chleubleublblf grandiose, un homme s’est matérialisé derrière les barbelés. C’est un adolescent aux cheveux de tentacules, les pupilles pulsées d’un déchaînement de stries bleutées, le corps vrombissant comme un bourdon géant. Il est enroulé dans une longue chaîne pendue de breloques de cristal. Il a un chandelier qui lui traverse le crâne de part en part.
-         ELEKTROPROM ! »
Sa voix a le claquement de fouet d’un arc électrique.
-         ELEKTROPROM ! Tu voulais de l’électricité ? Hé bien, régale-toi ! »
Et d’un geste auguste, il darde de ses paumes ouvertes un raz-de-marée d’éclairs en direction du bâtiment principal.
-         Allez-y mollo, oh ! Mais c’est que je vais perdre mon boulot, moi ! » glapit le gardien. Il a tellement peur qu’il a l’impression que son pénis vient se réfugier sous la peau, juste derrière le nombril. Et pourtant, ses lèvres, comme tirées par l’électricité statique, se fendent vers le haut.
Indifférente au cri du factotum, la centrale s’ouvre en multiples fissures. Ses flancs vomissent des centaines de composants, pièces mécaniques, câbles, containers, le sol tremble, les nuages s’organisent en spirale dont le centre est une bouche d’azur goulue, le béton, ayant volé en éclats, est aspiré par les lèvres du ciel, les décharges se tordent d’extase, le dinosaure de ciment hurle en agonie, en un flash aveuglant, la centrale de Nijni-Novgorod se désagrège en criant. Le ciel nocturne est totalement dégagé à présent, y flotte maintenant un vague sourire.

***

L’homme est seul dans son bureau. Il a encore tant de papiers à valider. Il se pince l’arête du nez, espérant gagner en lucidité. La fatigue le travaille. Il est épuisé.
Aujourd’hui, il a posé en habits militaires, en train de trancher avec les dents la carotide d’un tigre sauvage. Du moins, c’est ce que le montage photoshop est censé faire croire. Demain, il doit effectuer un récital de saxophone en playback (concert jazz, la barbe), sauter dans un  avion pour faire une démonstration de judo à Omsk, puis aller sur le terrain apparaître en général conquérant pour diriger les derniers bombardements sur Grözny.
Un emploi du temps chargé de chef d’état.
Mais soudain la lampe au-dessus se met à cliqueter. S’il avait eu des cheveux, ils se seraient dressés sur sa tête, mais Vladimir Poutine est quasiment chauve. La pièce se charge d’électricité statique. Les commissures des lèvres du Président de la Fédération de Russie se crispent, comme tendues par un carreau d’arbalète invisible. Et lentement, insensiblement, elles remontent vers le ciel, jusqu’à former un véritable sourire. Diablerie. Vladimir Poutine ne sourit jamais.
Chleubleublblf. IL EST LÀ. Chandelier au front comme une corne de licorne, pendants de lustres l’enrobant comme une pièce montée électrique.
- Sais-tu qui je suis ? » qu’il lui lance à la figure. « Je suis Stefan Alexandrov Kamtchatski, fils de Piotr Alexandrov Kamthchatski et de Tatiana Federova Kamtchatski, née Mnouchkine.Pour servir les intérêts d’ELEKTROPROM, tu as fais violer et assassiner ma mère, dévaster et noyer mon domaine, m’a réduit à cette caricature d’être humain qui se tient devant toi. L’HOMME-ÉLECTRIQUE... LE SEIGNEUR DU RÉSEAU. Voici ton châtiment. »
Et avant que Vladimir Poutine ait le temps de faire le moindre geste, l’apparition lui fait griller les chairs avec un éclair de 300.000 volts. Le pauvre petit poulet présidentiel électrocuté se dandine comme un danseur de jerk, bavant bleu par tous les pores de la peau, fumant comme un canon de kalachnikov après massacre. Ses yeux fondent, sa mâchoire se disloque, gneugneugneu, les muscles botoxés éclatent plic-plof-plef, le zizi présidentiel gonflé aux hormones explose dans un jet de pastèque verdâtre, les os de Poutine sortent comme mille milliards de knouts, électricité, électricité, fais-le danser, lèche-lui l’âme de tes milliards d’ampères, consume la tyrannie, déchiquette, overdose-le, ouvre-lui le bide au bistouri de tes éclairs, venge, venge, tords, et disperse...
Ce qui fut jadis le plus puissant homme de Russie n’est plus qu’un squelette de ragondin enflammé et fumeux, couinant et craquant. La structure s’affaisse en un petit tas d’osselets.
JUSTICE ÉLECTROCUTOIRE.

***

Gaspilleurs du monde entier, faites attention.
Courant le long des réseaux comme une panthère électrique, l’homme-lustre se déploie. Il repère et foudroie les lampes halogènes, les appareils en veille, les enseignes de néon. Il fait disjoncter les centrales électriques, fait ravaler leur purée d’électrons aux grands opérateurs nucléaires. Il rétablit la justice pour les victimes, les déplacés, les réfugiés des grands projets de barrages.
Par temps clair, certains l’ont vu galoper sur la crête des nuages, juché sur une sorte de centaure moustachu, que d’aucuns disent être son père. Le seigneur électrique chevauche l’éclair, se diffuse dans le sol, voyage sur les lignes à très haute tension, se loge dans les piles, les disjoncteurs, les réacteurs. Il est partout à la fois. Il a fait le serment de tout éteindre. Pour le salut de la planète. Pour se venger.
Alors, mon cher petit ami, propagateur inconscient du réchauffement planétaire, pauvre petit consommateur urbain de pays développé qui suce compulsivement son électricité à la sueur des convecteurs, sache que si un jour tu entends un léger cliquetis, en tous points semblables à un lustre, tu sauras qu’IL EST LÀ. STEFAN ALEXANDOV KAMTCHATSKI, l’Homme Bleu, la Décharge Vivante, Monsieur Volt... Plongé dans le noir, tu n’auras d’autre choix que de sourire du même sourire que Tatiana, sa malheureuse mère violée : un rictus de démence aux lèvres, poussant un hurlement silencieux dans l’obscurité...
Il sera trop tard pour te repentir. LUSTRE-MAN viendra te châtier.
JUSTICE ÉLECTROCUTOIRE.


mardi 16 juillet 2013

La vengeance du XIXe siècle [Maniak]

C'est la guerre. Je suis au milieu de l'immense champ de bataille hérissé de métal sanglant. Sur l'océan de décombres, des scènes de violence pure éclatent. Les soldats tuent et meurent, leurs visages crispés dans une expression de rage et de terreur. Les armes rudimentaires des ennemis pointent vers moi, mais il suffit que j'appuie sur un petit bouton de mon engin perfectionné et plusieurs éclairs de lumière colorée balayent tous les ennemis. J'avance lentement au milieu du chaos en projetant mes flashs mortels. Ça marche bien. Les types crèvent par centaines, projetant des gerbes de sang partout. Et moi j'avance toujours. C'est facile la guerre quand on a un engin perfectionné qui lance des éclairs. La preuve : même une fille peut le faire. Et je suis douée à ce jeu ! Mais évidemment ça ne pouvait pas durer. Un rebelle tenace me repère. Il a fabriqué une bombe spéciale exprès pour les engins comme le mien. Un truc vicieux et artisanal, avec de la colle, de l'acide, de l'essence et de la ferraille. Le type surgit comme ça de derrière les ruines et il lance sa bombe vers moi. Je riposte immédiatement en balançant mes rayons. Pleine puissance. Du bleu, du vert et du jaune atteignent le rebelle en plein dans la tête. Le type se décompose en un éclair. Il devient entièrement sanglant, et l'instant d'après, plein de petits morceaux de rebelle dégoulinent partout sur les gravats. Mais pendant ce temps sa bombe continue à tournoyer dans l'air. Elle décrit une courbe parfaite. Guidée par la haine et le désespoir. Une bombe comme celle-là ne peut pas rater sa cible.
Quand ça explose, je sens l'acide bouffer mon engin. Les flammes carbonisent ma peau et des clous rouillées et des petits éclats de fer creusent leur chemin de douleur dans ma chair. Je gueule. Ça fait un mal de chien. Je veux fuir la douleur et la guerre, mais je suis coincé dans la carcasse perfectionnée qui me broie. Et quand je décide de faire un pas en avant pour quitter mon linceul technologique, un bout entier de ma jambe reste derrière moi. Je tombe en avant, en plein sur la pointe d'os qui dépasse de ma chair déchiquetée. La douleur est tellement incroyable que des rayons mauves éclatent dans ma tête.
Je reprends connaissance sur les dalles en porcelaine, dans l'arrière boutique de la boucherie-hôpital. J'ai envie de me rebeller contre ma jambe, contre le boucher, contre la guerre. Mais les employés me tiennent bien et mettent leur main sur ma bouche. Le chirurgien-boucher m'examine. Il a une drôle de tête avec ses engrenages et ses courroies qui dépassent partout. Un couteau suisse médical dernier-cri est fixé au bout de chacun de ses bras mécaniques. Il suffit de dire « pince, scalpel, compresse » comme dans les films et le couteau sort automatiquement le bon outil : ciseaux, lime à ongle, scie ; le couteau me charcute tout le corps, plongeant dans ma féminité pour en extraire tous les shrapnels et les éclats de métal ; petite lame, loupe, tire bouchon ; il rabote le bout d'os qui dépasse de ma jambe, pour faire un moignon bien net et bien joli ; décapsuleur, grande lame, ouvre-boîte ; un petit jet d'eau vient à chaque fois nettoyer la douleur qui perle des plaies. Tout est très bien calculé et je n'ai qu'à rester couchée sur le carrelage. Au bout d'un moment l'opération se termine et le couteau suisse me tend deux béquilles.

Deus Ex Machina [Yoann]

         An 2268, Bulle Locale, à quelques centaines d’années-lumière de la Terre.

« Centre de Contrôle de Beta Primaris, ici le vaisseau d’exploration Majestic. Avons atteint le système P3X-999 et commençons l’analyse des planètes. Le rapport préliminaire suivra dans deux heures. Majestic, terminé. »
Le Premier Pilote Jourah cligna des yeux et le message fut envoyé. D’un regard, il appela à lui les relevés des détecteurs et, deux millisecondes plus tard, toutes les données étaient chargées dans son cerveau, via l’Implant Cybernétique classe Navigateur Or, du Syndicat Moïese, situé à la base de son crâne. Cette interface humain/machine permettait une connexion directe aux ordinateurs du vaisseau : le pilote pouvait ainsi savoir en temps réel l’état du navire, sa position dans l’espace et tout ce qui se passait à l’intérieur et à l’extérieur. Aucune lecture ou interprétation des données n’étaient nécessaire, le pilote savait tout, tout de suite. Un gain de temps considérable.
« Je la trouve un peu grognon depuis l’avant-dernier saut. T’as eu cette impression toi aussi ou c’est un fantôme ?
-Ouaip, répondit le Second Pilote Wilhem, la Grande Dame a un peu de mal à avancer aujourd’hui. Probablement une saleté dans le système anti-gravifique. Je demanderai aux ingénieurs de faire un check-up complet une fois qu’on sera posé.
-En espérant que ça ne nous lâche pas en plein atterrissage… (D’une pensée, Jourah ouvrit l’intercom). Le Capitaine est attendu sur la passerelle.
-Capitaine à l’inter. J’arrive. »

lundi 15 juillet 2013

Prix Barjavel

Chères lectrices,
Chers lecteurs,

le thème de cette session ayant été "emprunté" au Prix Barjavel (appel à texte clôturé hier), de nombreuses nouvelles ne peuvent, pour l'instant, être mises sur ce blog, pour une question d'exclusivité.

Elles concernent les auteurs : Gallinacé Ardent, Southeast Jones et Herr Mad Doktor.

Néanmoins, dans leur immense mansuétude, ces auteurs veulent bien vous faire lire leurs oeuvres en privé. Pour cela, il suffit d'envoyer une demande par mail à cette adresse : president@lesartistesfous.com

Merci de votre compréhension !
Nous avons bon espoir qu'un fou décroche le prix des Barges de la Javel !

samedi 18 mai 2013

Le Secret Du Pêcheur [Monty]


Chez les Rockfeller, chaque dimanche depuis des années ils organisent le repas de famille. Dans un grand pavillon, avec perron, une pelouse verte bien tondue, plus propre qu'un terrain de football. Puis sur le côté une allée en béton pour laisser place aux véhicules. Au fond se termine un atelier dont l'accès est réservé au grand-père, Richard. A l'intérieur, le luxe est dans toutes les pièces. Chêne, marbre, cuir, cristal, la qualité se déchaîne à n'en plus finir.
L'argenterie porte même les initiales du patriarche "RRK", Rickard Rockefeller King. Malgré l'atmosphère d'empire, l'attitude de chaque membre de la famille semble commun. Pendant que la maîtresse de maison annonce l'arrivée de la mise en bouche. Le petit Joey qui jouait dans le jardin a disparu. Introuvable dans la maison, le jeune farceur âge de 9 ans défie les règles en s'introduisant dans l'atelier privé de son grand-père. Sachant la nouvelle, Richard s'empresse de le rejoindre. L'enfant est immobile devant un objet étrange, le plus étrange même de tout l'atelier. 
- Comment es-tu rentré ici Joey ? demande Richard.
- Papy, c'est quoi ça ?
- Je t'ai posé une question.
- Je te répondrai quand tu répondras à la mienne, déclare Joey.
- T'es dur en affaire, comme ton père. Après tout le repas attendra 5 minutes.
Richard saisit 2 chaises et commence son récit.
"Petit, je ne savais pas quoi faire comme métier. N'étant pas très bon à l'école ni ailleurs, ça inquiétait mes parents. Mais je m'en moquais. Par contre j'avais une passion, tous les week-end avec mon grand-père on allait à la pêche, j'aimais bien. Je n'attrapais jamais rien et le problème c'est que je faisais trop de bruit, ça effrayait les poissons. Mais un jour, après m'être disputé avec mon frère pour je ne sais plus quoi, j'ai décidé de lui piquer cet instrument. Je l'ai modifié pendant longtemps dans le but de me venger. Mon frère pratiquait la musique, il avait plusieurs instruments et en double. Il n'a jamais fait attention qu'il lui en manquait un. Il l'a su après coup. Un beau jour, à la pêche, je casse une corde, mon grand-père était furieux. En rentrant chez moi, j'ai eu l'idée d'en prendre une de cet instrument là que tu vois. Evidemment, ce n'était pas compatible. J'ai donc décidé de l'utiliser pour pêcher." 
L'enfant écoute son grand-père avec stupéfaction. Il ne peut s'empêcher de le bombarder de questions. Mais Richard s'empresse de le réduire au silence, car il sait que la colère de sa femme pour un retard au repas fera l'effet d'une bombe atomique. 
"Tu veux donc savoir comment, hein Joey ? C'est très simple. J'ai détaché la corde la plus grave, je lui ai ajouté une longueur puis je l'ai enroulée autour du vibrato, c'est pour faire les vibrations avant que tu me demandes. Comme ça je pouvais remonter facilement la ligne. Bien sûr j'étais le seul à penser pouvoir pêcher avec ça, mais pendant mon bricolage je ne dérangeais pas mon grand-père et ses amis. Le seul bémol c'est que je ne pouvais mettre de crochet, impossible d'y mettre un appât sans, car les vers sont trop fins. J'ai donc pioché dans les rations de mon grand-père, j'avais rien d'autre, j'ai attaché des bouts de saucisse en guise d'appât. Quand j'ai testé ma nouvelle canne, tout le monde rigolait. Mais il s'est passé quelques chose d'étonnant. J'ai polarisé tous les poissons et les pêcheurs à la fois. Les vibrations que je produisais en jouant des notes, se ressentaient jusqu'au fond de l'eau. Au lieu de les effrayer au contraire les poissons se battaient, se laissaient attraper, ils étaient comme possédés, sous mon emprise. Les pêcheurs eux étaient juste curieux, car il n'avaient, du coup, plus rien à pêcher. Avec mon grand-père nous avons déposé plusieurs brevets. L'astuce était tellement efficace qu'à chaque fois on avait peur de manquer de bouts de saucisses. C'est grâce à ça que notre famille modeste de base jouit aujourd'hui d'une grande notoriété. Maintenant que tu connais tout, Joey tu dois me dire comment tu es rentré ?
- Papy, tu avais laissé la porte ouverte. "

dimanche 12 mai 2013

Elvis et la quête de la Liporne [Vinze]


Elvis et la quête de la Liporne

Dédié aux artistes fous de Zone Franche 2013

1 – From Elvis in Memphis

Il était une fois, dans le lointain royaume de Memphis, un chevalier-ménestrel du nom d’Elvis. Désireux de devenir le plus grand chevalier-ménestrel de toute l’histoire des royaumes-unis, il s’en alla chercher conseil auprès du maître des chevaliers-ménestrels de l’école du Roc, maître Chuck :
« Maître, comment devenir le plus grand chevalier-ménestrel de l’histoire ?
— Tu désires donc me dépasser ?
— Oui, maître !
— Alors va donc te faire enculer ! »

Et c’est donc sur ce conseil éclairé de son maître que le jeune Elvis se mit en quête de la Liporne, cet être mythique capable de lui permettre d’accomplir cette mission initiatique. Il enfourcha sa fidèle monture Beebop A’loula et partit au plus fort de l’été, équipé de son épée et de son luth.


14 – Elvis is Back!

C’est rempli d’une grande fierté et d’une profonde douleur qu’Elvis accomplit le trajet du retour jusqu’en son royaume natal.
Et ce n’est pas sans étonnement qu’il ravala sa fierté face à la fraîcheur de l’accueil. Il n’y eut pas de haie d’honneur ni de pucelle ivre de désir pour lui, juste une complète indifférence.
Quand il rapporta son exploit à son maître, ce dernier ne trouva rien d’autre à dire que « Bah dis donc, t’as dû bouffer un sacré de paquet de saucisses pour prendre un aussi gros cul ! Et qu’est-ce que t’as foutu avec tes cheveux ? »

samedi 11 mai 2013

Love Me Sweet [Diane]


LOVE ME SWEET
Love me tender,
Love me dear,
Tell me you are mine.
Ill be yours through all the years,
Till the end of time.
Ken Darby /Elvis Prestley, Love Me Tender

Lewis mon amour,
Je t’écris cette lettre car il est temps de mettre les choses à plat. Il est temps de mettre à bouillir le cochon comme tu disais avant de partir travailler. Tu te souviens, tu m’embrassais sur le front, tu croyais que je dormais, je ne dormais jamais. Je ne voulais rater ton baiser matinal pour rien au monde, et ton odeur de petit Babe tout propre au sortir de la douche, juste rasé m’excitait comme tu n’avais pas idée, elle me fait encore mouiller quand je l’imagine un peu trop fort, au point qu’il me faut respirer un mouchoir imbibé de ton après-rasage pour me calmer, après-rasage dont j’ai acheté plusieurs flacons, comme si tu n’étais jamais parti. Cela ne fait que renforcer ton absence un peu plus.
Depuis plusieurs jours j’ai l’angoisse de faire les courses. Cuisiner des ratons-laveurs écrabouillés, des restes de biche volés dans la forêt, je n’ai jamais vraiment rien eu à redire à propos de ça. Désemparée par le vide que tu as laissé auprès de moi. Dans un état second jeudi dernier j’ai ramassé le cadavre d’un chat sur la route, bouffé par les corbeaux et les fourmis. Bien lavé, correctement mis à mariner selon tes méthodes, il a fait un bon repas quelques jours plus tard et j’ai fait un adorable petit coussin Hello Kitty avec sa fourrure. Je ne sais pas si tu as entendu dans ta cellule mais : ils mettent du cheval et Dieu sait quoi d’autre encore, dans les plats surgelés européens. Je comprends pourquoi tu voulais que je mange de la viande de qualité, et fraîche. J’imagine que des êtres humains ont dû finir un jour dans les usines Findus et pas seulement par accident. C’est tout à fait possible que cela soit déjà arrivé, mon oncle quand j’étais petite avait découvert un jour un index dans une boîte de saucisses cocktails. Un jus marron crémeux avait remonté du fond de la boîte quand il avait sorti le doigt coupé pour le mettre à sa bouche, croyant prendre une petite saucisse. Cette vision d’horreur est encore très vive dans mon esprit.