lundi 17 août 2015

The Zero Game [Diane]

THE ZERO GAME

CIRCUS RAMPAGE

Sur la vidéo de surveillance, Numéro 1, dont le visage était impossible à reconnaître, affichait très clairement son intérêt pour les singes qu’il venait d’abattre froidement sous le chapiteau. Son silencieux à la main, il se penchait sur le premier corps, le dépouillait d’un objet particulier. Et recommençait avec le second. Un par un ils étaient tombés, tétanisés devant son entrée impromptue, théâtrale. Et de belles giclées de sang, jaillissant des corps comme des jets d’eau puissants, arrosèrent le sol où se produisaient les représentations. Ils se sont écroulés comme des marionnettes aux fils violemment sectionnés, avec de la terreur dans leurs grands yeux exorbités, et une brûlure à l’endroit où les balles les avaient traversés. Seulement après avoir regardé sur son portable, Numéro 1 a fait le tour des corps encore chaud, et leur a ôté à chacun leur masque de singe, pour trouver Numéro 16, qui était le troisième abattu, le troisième malchanceux à être tombé, la gorge et la carotide ouverte, laissant le sang se faufiler comme une rivière folle dans son œsophage et sa trachée, remplir ses poumons, ne permettant plus à son cerveau d’être suffisamment irrigué par la même occasion. Numéro 1 fût contraint de lui enlever tout son déguisement de macaque. A l’aide d’une lame qu’il gardait sur lui et qu’il replia rapidement pour la remettre dans la poche intérieure de sa veste. Il trouva un revolver d’un petit calibre dans les sous-vêtements de 16. A force de mener la belle vie, il s’était laissé aller pensa Numéro 1 en souriant. Il trouva le tatouage de sa victime à l’intérieur de sa cuisse droite. Un numéro 16 très petit mais néanmoins bien visible à l’œil nu.
- Et alors vous me dites que vous êtes ? Numéro combien ?
- Je vous l’ai déjà dit Inspecteur G, je suis 42. Regardez bien mon poignet.
            42 montra son poignet droit à l’Inspecteur G, et regarda encore une fois l’écran, le poignet levé, le poing fermé, le coude posé sur la table. Son tatouage, 42 l’avait choisi à cet endroit. Dans des sachets plastiques mis sous scellés, disposés sur la table, les masques de singe portaient encore leurs traces de sang. Mais il avait coagulé, noirci, il était marron foncé. Il n’était plus visuellement aussi choquant que du sang frais sortant d’une blessure. Parfois, le sang sortait très foncé alors que la victime – le numéro – était encore vivante. Cela dépendait des corps, de la biologie de l’individu, de sa santé générale, estimait 42, qui n’était pas médecin.
            - Je ne suis pas médecin, je ne peux pas vous dire. 42 apprécia son reflet dans le moniteur d’un certain âge, lorsque l’image disparut. Il ressemblait à un clochard, sans attaches sociales particulières visibles dans son apparence. Il frémit en pensant à Numéro 1 abattant ces quatre individus dans le cirque. Son intention pure, celle d’un prédateur sur sa proie. Un sang-froid authentiquement démoniaque.
            - Soit répondit Louis, le second Inspecteur, plus jeune, français, brun et élancé, avec cette fraîcheur et cette blancheur de peau un peu ridicules. Vous n’êtes pas grand-chose à part un vagabond, c’est exact ? Il feuilletait un dossier, debout, le dos contre le mur, les manches de sa chemise retroussées, d’un air semi-investi, semi-attentif aux paroles de 42. Son arme de service accrochée à sa ceinture, arme que convoitait énormément 42, sachant qu’il n’était pas simplement menotté, mais également rattaché à la table fixée au sol par une chaine comme cela se faisait dans cette juridiction. Et maintenant qu’il avait vu le massacre du cirque, cela le préoccupait beaucoup.


A PROPOS DE NUMERO 11

            Elle était tombée sur cette photo par hasard. Elle avait alors 21 ans, elle était blonde à cette époque, et n’avait pas encore son tatouage « 11 » gravé sur son cuir chevelu au sommet de son crâne. De temps  en temps, un léger psoriasis la démangeait à cet endroit. Il apparaissait au printemps, persistait malgré les traitements, et s’en disparaissait, de lui-même, au cours de l’été. Aujourd’hui il était là, caché par son épaisse chevelure devenue poivre et sel, et le numéro était désormais recouvert de tâches rougeâtres non purulentes. Elle avait beaucoup changé de couleur de cheveux par le passé. Ils lui avaient appris qu’elle avait plus de chances de survivre si elle parvenait à se métamorphoser régulièrement. Les hommes dans le jeu le faisaient également à leurs façons : style vestimentaire, coupe de cheveux, attitude, on leur avait conseillé à tous de prendre des cours de comédie, pourquoi pas de jouer quelques rôles au cinéma, de se lancer dans le théâtre ou d’apparaître à la télévision. Mais toujours opter pour des rôles secondaires, qui permettaient de ne pas trop s’afficher. De se cacher à la vue de tous en quelque sorte. Ne pas s’afficher exagérément était la clé de la plupart des numéros survivants, car ils se reconnaissaient d’un simple regard. Deux regards qui se croisaient, et toute une histoire commune, demandant aux deux parties de s’entretuer, s’enclenchait sans qu’ils ne puissent rien y faire. Il courait une rumeur selon laquelle il était possible pour un Numéro préprogrammé de résister à sa pulsion meurtrière dès lors que celle-ci était activée par la rencontre d’un autre numéro. Numéro 11 avait à son actif la mort de 14 autres numéros, dont 601 (son premier), 63, 370, 85, 1198… Les autres, elles ne se souvenaient même pas de leurs visages. Elle n’avait même pas eu le temps de les voir pour certains. Pour 601, c’était gravé dans sa mémoire. Elle avait pris le thé avec sa femme, prétextant être témoin de Jéhovah pour entrer dans leur agréable petite maison cossue. La femme de 601 s’était écroulée face la première dans un coussin de son canapé, la gorge ouverte très rapidement, d’un geste qui avait paru à Numéro 11 d’une affolante banalité. Comme si elle remettait une manche ou tirait un rideau. Son acte n’a pas accéléré sa pulsation cardiaque alors qu’elle voyait le sang imbiber le canapé et la moquette. 601 était rentré ce soir-là pour trouver la maison plongée dans le noir. C’est en cherchant les fusibles dans la cave qu’il sentit une douleur vive au bas du dos. Numéro 11 avait appris tout ce qu’il y avait à apprendre des lames et des armes tranchantes.
            Dans la buanderie, elle voyait par la fenêtre son fils de 16 ans qui nettoyait la piscine avec une épuisette à l’extérieur. Elle sourit car elle se voyait elle à son âge à travers lui, lorsqu’elle était adolescente. Sur la photo elle souriait comme elle était en train de le faire avec quelques rides et quelques meurtres en plus, et toute cette époque, toute cette innocence dans ce passé si lointain et si proche en même temps semblait s’être déroulée dans un autre univers. Elle avait régulièrement la sensation d’un dédoublement. Ce n’était pas agréable, mais c’était sa réalité.  
            Elle retourna dans la cuisine pour poursuivre son repassage en regardant les informations sur la télévision, un écran plat tactile installé par son mari dont le corps gisait dans sa voiture, à quelques kilomètres de là, dans le parking souterrain de son lieu de travail, une grande tour noire qui ressemblait à un mur de briques. Il gisait place conducteur, mort, une balle tirée dans son œil gauche, à bout portant.
INSPECTEUR G

            Il avait certes grossi depuis Noël dernier se dit-il en se tâtant vaguement le ventre, espérant que personne ne remarque qu’il était en train de penser à sa forme. Quelque chose ne collait pas dans cette affaire de cirque. Alors il s’arrêta, pour regarder à distance le chapiteau. Le tireur avait pris d’incroyables risques, calculés cependant. L’inspecteur G en était le premier étonné. Il savait que l’individu en question était d’une assurance et d’une arrogance folles. En pleine journée, en pleine répétition, abattre les faux macaques… Sans que personne ne le voit entrer ni sortir. Il savait cependant qu’il était filmé et il n’a pas détruit la vidéo. Ou alors c’était un idiot et il ne savait pas. Impossible qu’il soit un idiot, se reprit l’inspecteur, en toussotant. Il se répéta à lui-même comme une incantation : « d’une assurance et d’une arrogance folles ».
            - Les macaques répétaient tous les jours à cette heure précise ?
            - Les hommes déguisés en macaques vous voulez dire, le repris Louis, son jeune coéquipier avec cet air qui semblait vouloir être, quel qu’en soit le prix, au service de son mentor.
            - Oui. Les hommes déguisés en singe. Le vagabond a forcément vu quelque chose.
            - On ne dirait pas que c’est lui dans la vidéo… C’est difficile à dire, il va falloir travailler cela.
            Ils entrèrent sous le chapiteau, déjà encerclé de bandes jaunes, et de flics surveillants la scène comme les gardiens d’un temple mystique. Les corps étaient encore en l’état étendus par terre, chacun dans leur flaque de sang. 3 corps qui ressemblaient à de grands chimpanzés, le 4 entièrement déshabillés, le déguisement soigneusement découpé. Ils se faisaient mitrailler dans une seconde vague par des photographes concentrés. Cette fois les éclairs n’étaient pas mortels. Presque chauds, dit un policier qui semblait enthousiaste, vue la notoriété locale des victimes.
            Louis vit le regard de l’inspecteur G se durcir. Ou plus exactement s’assombrir, comme s’il se doutait que cela ne serait pas évident de retrouver l’auteur de ce massacre, et encore moins de comprendre son réel motif.        
            - Il a pris quelques objets, et un morceau de peau.
            Après quelques secondes, Inspecteur G demanda en regardant les corps étendus si le morceau de peau prélevé possédait une marque quelconque, comme un tatouage. Des agents s’apprêtaient déjà à enlever les masques et les mettre sous scellés dans des sachets plastiques correctement fermés.
            - Si oui, il faudra regarder les marques de ce vagabond interpellé, dit-il. Il y a peut-être corrélation. Peut-être pas, que quelqu’un s’y mette avant que je ne vérifie par moi-même.
            G considéra alors qu’il avait vraiment pris trop de poids ces derniers temps. Ce n’était pas bon pour sa santé, lui qui avait vaincu le cancer quelques années auparavant.

            Numéro 1 avait à son actif plusieurs centaines de morts, d’autres numéros qui avaient croisé sa route et s’étaient éteint à tout jamais. Dans sa chambre d’hôtel, tout était rouge, les draps, les moquettes, les tapisseries, c’était le thème de l’hôtel entier et il n’aimait pas ça. Il jeta sa cagoule noire carrée sur le lit. Il avait arrêté de compter à partir de 500 victimes. Depuis ses vingt et un ans qu’il avait commencé, et il n’avait fait que ça, courir après eux, pour ne pas qu’ils le trouvent en premier. Ils lui avaient dit : ce seront toi, ou eux. Ceux qui lui avaient fait ce tatouage. Numéro 1. Peut-être le tout premier. Numéro 2 avait été facile à abattre, Numéro 3 avait supplié à genoux, Numéro 4 s’était caché pendant quelques mois au Canada, à chasser le caribou. Numéro 1 se demandait parfois s’il existait un Numéro 0. Personne ne savait vraiment.
            Il possédait un corps musclé, il entretenait cette forme exemplaire autant pour son propre plaisir que pour mieux parer les mano a mano éventuels. Et ils furent nombreux, même s’il préférait de toute façon utiliser des armes à feu et tuer ses victimes à bonne distance. Mais rien ne disait à l’avance comment les affrontements tourneraient. Il y avait une constante dans son esprit : tous et toutes ils les voyaient comme des proies à broyer et à consommer. Ils n’étaient rien d’autre. Avant il tenait même des carnets très précis des meurtres qu’il commettait. Avec des pourcentages sur certains critères, comme le courage de sa victime face à son arme à feu, ou la lâcheté dont elle avait fait preuve, comme Numéro 4, 571, ou même 87. Numéro 1 se dévêtit dans sa salle de bains, en s’appuyant sur le rebord du lavabo il se regarda longuement, méticuleusement dans le miroir. Il trouva un point rouge sous son globe oculaire droit. Une goutte de sang s’était introduite par le trou pour son œil droit. Il sourit et gratta sa barbe qu’il eut envie de raser, alors que le jour précédent il la trouvait très confortable.
            G en s’asseyant dans sa voiture aux côtés de son jeune coéquipier considéra un instant ces enfants curieux depuis la route qui regardaient les policiers aller et venir dans la zone du cirque. Il remarqua ce petit garçon qui cachait à peine le fait qu’il lui manquait la main droite et qu’à la place se trouvait un moignon qu’il avait trempé dans ce qui ressemblait à de la peinture jaune.
           
DANS LA TETE

            Le fils de Numéro 11 retourna dans sa chambre et s’assit à son bureau face à son ordinateur portable. Il remit son casque rouge sur ses oreilles et recommença la partie de son jeu en réseau. Ce fût peut-être la plus grosse erreur de son existence car de son placard, juste derrière lui, sortit doucement et prudemment Numéro 1, entièrement en noir, avec une cagoule carrée sur la tête et une cible rouge dessinée sur son torse. Il tenait une kalachnikov contre sa cuisse. Doucement et prudemment, il avançait vers l’adolescent qui, par chance, pu apercevoir lors d’une image sombre fugace sur son écran l’ombre menaçante de Numéro 1 derrière lui, brandissant quelque chose de blanc et familier. Cette chance, ce fut celle de voir la mort arriver quelques secondes avant qu’elle ne frappe. Il se retourna, surpris et une seule rafale à travers un oreiller lui transperça et déchira la gorge ainsi que le haut de la poitrine, le sang éclaboussant son ordinateur, son bureau et le sol. Il s’écroula par terre tandis que les plumes de l’oreiller volaient dans tous les sens. Par jeu, Numéro 1 vida le reste de l’oreiller en le secouant dans tous les sens, comme un enfant en pleine crise d’hyperactivité. Sous sa cagoule, il passa sa langue sur lèvres, la serra entre ses dents, content de ce qu’il venait de réaliser.
            Numéro 11 rentrait de la buanderie. Elle retraversa le jardin, entra dans la maison, vide de toute pensée, de toute émotion. Elle se dirigea vers l’escalier et arrivée au sommet, la porte de la chambre de son fils unique qui lui faisait face s’ouvrit violemment. Elle eût le temps d’une seconde, qui sembla durer une véritable éternité, pour voir Numéro 1 tenir à deux mains le corps pantelant de l’adolescent, la gorge ouverte et le sang coulant par vague sur son torse sur lequel était collées des plumes. Elle se demanda d’où elles pouvaient bien venir. Derrière eux, dans la pièce, toutes ces plumes d’oreiller volaient dans tous les sens. Comme des cotillons dans une fête. Avec une grande brutalité, Numéro 1 jeta le corps sans vie sur Numéro 11 et elle ne put qu’aller dans le mouvement de la chute, avec le poids de son fils sur elle. L’arrivée en bas des escaliers lui brisa les reins et la douleur frappa fort, elle hurla tout en repoussant le corps ensanglanté de l’adolescent sur le côté.
            Numéro 1 descendit les marches des escaliers de manière théâtrale, en reprenant son arme à bout de bras.
            - C’est l’heure, dit-il. Enfin ton heure.
            Il sifflait l’air d’une marche funèbre, jubilait de voir 11 au sol à côté de son fils mort.
            Numéro 11 pensa à ses nombreuses lames disséminées partout dans la maison mais sa jambe gauche était manifestement cassée, et son dos la tiraillait tellement qu’elle avait la sensation d’aiguilles aiguisées entre les os et la chair. Elle ne pouvait que s’écarter du cadavre de son fils, encore chaud, qui reposait sur le dos, son regard mort semblant se poser dans un vide absolu. Recouvert de plumes collées à ses blessures et son sang.
            - Regarde, c’est un ange dit Numéro 1. Ton mari aussi dans sa voiture sur son lieu de travail. En réalité il est borgne à présent. J’ai tiré dans son œil. Si seulement tu avais pu voir le résultat. Il n’a pas compris ce qui lui arrivait. Tu me diras, quelle différence avec 99% du reste de sa misérable existence ?
            - Achève-donc ce que tu es venu faire, dit Numéro 11. Cesse-donc tes sarcasmes et enlève cette cagoule et ce déguisement. Ce n’est plus l’époque du Zodiaque.
            - Pourtant je pensais que c’était approprié de te rendre visite dans cette tenue. Etant donné que tu aurais beaucoup à dire sur lui, ses amis et sur nous tous. Mais le passé c’est le passé… Maintenant, ta marque, elle est toujours sur ton crâne ? Au fait, tu souhaites que je t’abatte comme ton fils, dans la gorge et le thorax ou préfèrerais-tu une rafale dans la tête ?
            - Dans la tête, ça m’ira très bien… L’attente était insupportable. Elle voulait en finir à présent qu’elle avait accepté sa défaite. Sa famille terminée, elle n’avait aucune raison de vouloir une quelconque revanche. Elle n’y aurait rien gagné.
            Elle avait abdiquée et attendait, sur le côté, ne regardant pas son fils mort allongé à côté d’elle. Il n’était pas devenu un ange. Il était mort, les anges ne sont pas morts.
             
            Sans rien ajouter de plus, il tira une rafale dans sa poitrine. Lui refusant ce qu’elle venait de lui demander. Une goutte de sang passa par le trou de l’œil droit de sa cagoule. Numéro 11 ne se rendit compte de rien, ne sentit rien d’autre qu’une brûlure intense à l’intérieur. Numéro 1 se baissa avec sa lame, pour faire son business. Sifflotant Billie Jean, parce que ça lui était venu comme ça, et qu’il en avait été amusé. Dans ses cheveux, alors qu’elle agonisait, il découpa le morceau de cuir chevelu tatoué, du sang coulait de sa bouche. Seul son numéro comptait, ce précieux.  

ENTRETIEN AVEC 42

            42 était dans sa cellule et une énième fois, ils l’emmenèrent en salle d’interrogation. L’inspecteur G et son coéquipier, Louis discutaient dans le couloir avec un homme en costume gris, fraîchement rasé, et compris qu’il s’agissait probablement d’un agent d’un service quelconque. Ce dernier entra seul dans la pièce et ferma la porte derrière lui. Il s’assit en face de 42 et lui demanda comment il allait.
            - J’ai connu mieux. On m’accuse d’avoir tué ces hommes depuis 24 heures, sans motif, et j’ai envie de sortir. Je dois sortir. Ma vie est en danger.
            - Ces singes ? Demanda l’agent. Et pourquoi votre vie est-elle en danger ? A cause de votre histoire grotesque de conspiration ? Vous ne pouvez même pas nous expliquer quelle est cette organisation qui fabrique ces tueurs à gages. C’est un drôle de jeu auquel vous jouez je ne sais pas si vous en avez conscience. Des illuminés de…
            - Je suis très sérieux… Mais vous ne pouvez pas comprendre… Vous vivez dans le monde qui vous renvoie à une case quand ce n’est pas une autre. Et je l’ai déjà dit aux inspecteurs, ils n’attraperont pas le tueur. Il est bien trop malin. Il peut être n’importe qui.
            - Oui c’est dans votre dossier. Donc ils s’entretuent pour quelle raison ?
            - Pour quelle raison êtes-vous en train de respirer là, maintenant, tout de suite, rétorqua 42, avec un regard halluciné et effrayé. Il n’y a pas de raison. La raison elle n’est pas dite au départ. On ne m’a jamais dit pourquoi. Ils m’ont dit de le faire. Je crois qu’ils s’amusent.  
            42 qui s’était penché en avant, attaché à la table fixée au sol par une chaîne se remit correctement sur sa chaise. Il fronça les sourcils et commença à se sentir mal à l’aise.
            L’agent sourit en regardant le dossier. Il  le referma, posément. Lorsqu’il releva la tête, son regard avait changé. Son visage s’était détendu. Comme un acteur changeant immédiatement de rôle. C’était désormais un chasseur que 42 avait en face de lui, plus du tout un homme d’administration sans autre relief autre que le pathétique de son savoir arbitraire.
            - C’est bien de te découvrir sans ton masque dit 42 essayant de contrôler sa peur. Mais le bruit de la chaîne avait trahi une crispation. Il pouvait tenter de l’étrangler avec, là, tout de suite.
            - Je ne peux rien faire pour le moment dit Numéro 1 en jubilant. Et m’étrangler avec cette chaîne me forcerait à vous tuer maintenant dit-il en murmurant, chose que je n’ai pas envie de faire. Je ne pense pas que je pourrais sortir d’ici moi-même si je tentais… de vous faire cracher la vérité.
            - Il me reste quoi comme option, demanda 42 d’une voix calme. Plaider coupable pour t’éviter comme la peste ? Te tenir le plus possible à distance ? Ne peut-on pas s’éviter pour ce qui nous reste à vivre ?
            Numéro 1 répondait sans utiliser sa voix. Il savait que 42 lirait sur ses lèvres : « Même en prison je saurais t’atteindre. J’ai dit bonjour à ton amie Numéro 11 aujourd’hui et elle a passé une sale journée. Donc je t’aurais une autre fois, en attendant, pense au sursis que je t’offre. C’est un cadeau. Profite-en. »
            - Ou moi je t’aurais…
            Numéro 1 s’éclaffa en se levant : « Toujours cet irrécupérable doux rêveur…».

            777 arriva devant le cimetière en moto. Elle portait une combinaison et un casque entièrement noirs, recouverts de larges bandes jaunes sur les côtés. Elle était arrivée en ville suite au massacre du cirque. Elle prit le bouquet de fleurs et se mit à la recherche d’une tombe. Tout en gardant son casque. Elle avançait dans les allées, regardait les noms sur les pierres, les dates inscrites. 777 semblait confuse.
            Au même instant, l’inspecteur G rentrait pour voir ses jumelles, adolescentes, faisant leur devoir à la table du salon, avec de grands verres de jus d’orange posés entre leurs ordinateurs. Elles ne firent même pas attention à lui tellement elles étaient absorbées par leur travail. Cette vision lui réchauffa le cœur.
            777 trouva la tombe sur laquelle deux initiales apparaissaient « R.J. 1996 1963 ». Elle sortit une petite pelle rétractable de son bouquet de fleurs, qu’elle jeta par terre, enleva son casque pour commencer à frapper la pierre tombale avec sur les côtés. Des vieilles femmes regardaient, ahuries, cette jeune femme blonde tenter de démonter une tombe à coup de casque de moto et utilisant sa pelle ensuite pour dégager des morceaux brisés et de la terre.
            Après le départ du mystérieux agent, 42 avait avoué être le meurtrier des 4 singes, ou plus exactement des 4 hommes déguisés en singe. Dans sa cellule, il pensait au visage de Numéro 1, focalisait sur ce dernier pour ne pas l’oublier. Il ne prêtait pas attention aux deux ivrognes qui cuvaient dans la cellule à côté. Contrairement aux autres, 42 ne jouait pas au caméléon. Il savait qu’il contrôlait ses émotions mais la peur était présente en toile de fond. Une antique et sourde frayeur, qu’il n’avait pas ressentie depuis la réapparition de Numéro 1, qui avait déjà manqué de l’avoir par deux fois, la seconde avait failli se terminer dans l’écroulement des tours de New York et il n’avait pas pu voir son visage dans toute cette poussière mais se souvenait encore de la brûlure lorsque la balle avait traversé son avant-bras gauche. 42 avait plusieurs fois envisagé le suicide, mais il n’avait jamais pu s’y résoudre, arrivé à cette limite, flottante, où la mort semble posséder plus de goût que la vie elle-même, semble être un terrain d’exploration plus dense que ce monde de matière brute. Oui, il avait refusé de jouer des personnalités, des rôles, pour éviter d’être repéré plus facilement. Il avait pris ce risque, ce parti-pris de ne pas être commandé par la peur, il avait pris le risque qu’un Numéro quelconque ne le trouve et ne l’abatte en pleine rue  d’une balle dans la tête ou ne le poignarde dans les toilettes infectes d’une gare.  42 avait toujours été lui-même, et cela n’avait pourtant jamais fait grand sens non plus. Ils avaient été très clairs dans leurs explications et leurs règles : changer d’apparence le plus souvent possible augmentait de manière significative ses chances de survie. Un océan de perspectives et de possibilités pour éviter de se faire tuer.


A suivre

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