mardi 24 septembre 2013

Buffalo Magnus [Gallinacé Ardent]

I
Un méat qui n’en peut mais

« Chériiie, me voiciii »
Et je bondis sur le lit.
Je suis tout nu. J’ai une grande cape noire. Mais mon zizi est flapi. Comme d’habitude. Il a subi des années de sexe mal fait ou bâclé, de pénétrations faiblardes, avortées, de recroquevillement instantané dans la coquille. Mon pénis avait connu d’interminables et humiliantes séances d’humidification du gland, de caressage des bourses, d’asticotage à blanc, de secouage frénétique, d’étirements, de chiquenaudes, d’enserrements, de massage aux huiles ayurvédiques, de cataplasmes chauds, de grattouillage au crin, de trempage dans de la cire molle de l’Himalaya, d’incantations flûtées des Druides de Brocéliande, de pompage à vélo, de thérapie vibrogalvanique, de psalmodies envoûtantes des Andes, de piqûres intradermiques à la cocaïne pure, de tirelipimpon sur le chihuahua, d’acupuncture néo-taoïste, puis finalement d’imprécations, de jurons, de supplications. Lève-toi. Lève-toi, flemmard.
Mon grand défaut. J’aime ma femme de tout mon coeur... mais pas de mon sexe. On a dû me greffer la main d’un mort dans l’aine, au lieu de l’ensemble trois-pièces commun aux autres mâles (tige souple et revêche, deux bulbes soyeux, chevelus). Je bandais mal, ou pas. J’avais épuisé l’éventail des différents traitements possibles et imaginaires. S’il existait un tourisme sexuel, narcotique, dentaire, ... il y en avait un qui manquait encore, que je me vantait d’ailleurs d’avoir inventé à moi tout seul : le tourisme priapique. Rites shamans de Sibérie, initiations tantriques sur les pentes du Ladakh, approches de la fornication olmèque, exercices de makoumba clastique en Tanzanie, découverte des vertus aphrodisiaques de la graisse de phoque infusée dans l’urine de chien-loup inuit, ingestion de poudre de tigre chez un apothicaire de Chengdu... Tout cela, nous l’avions tenté. Je dis « nous », car ma femme, Régine, me suivait partout dans mes pérégrinations. Et, pendant que je macérais tout seul dans des bains d’herbes odorantes ou que je me suspendais par les pieds, tête à l’envers, aux branches des palétuviers de la savane, ma femme restait au campement, à tricoter des pulls. Mon traitement terminé, et la verge peu ou prou dressée, je me précipitais sur elle, en gloussant d’anticipation. Hélas ! L’afflux sanguin dans le corps caverneux n’avait qu’un temps, et le zoziau retombait bien vite, navré. Échec, encore. Encore et toujours. Ivre de vengeance, je quittais le camp et repartais dans l’autre sens pour botter le cul des shamans / initiateurs / sensei / dadouque d’Éleusis  auprès desquels j’avais subi mon entraînement d’acquisition de vigueur sexuelle... Pour rien. Je peux dire que j’ai eu largement plus de tatanage de fessier d’anarqueur mystique que de copulations réussies. En fin de compte, toute ma fortune a été sucée dans des papouillages et trucages sexuels et exotiques. Je n’ai jamais renoncé, toutefois.
Mais Régine, lassée, a cessé de me regarder.
Aujourd’hui,  j’ai mis comme d’habitude ma cape noire, celle qui sur la peau m’a porté bonheur la demie-douzaine de fois où j’ai pu faire l’amour normalement, sans défaillance. Pour m’encourager, je m’en drape, par pure superstition. Ma femme s’est désintéressée de tout mes stratagèmes. Allongée nue sur le lit, elle me tourne le dos. Elle tricote. Elle tricote son millième pull. Pour fêter mon (futur) millième echec.
Alors, acculé dans le dernier recoin de plinthe du désespoir, j’empoigne la fiole pleine d’un liquide couleur céladon. L’ultime remède. Celui qui tord l’espace et le temps. Le médicament secret.
Buffalo Magnus.

II
Le docteur aux gencives de gingembre
La rencontre avait eu lieu trois jours auparavant. Mon pourvoyeur avait été ce docteur, radié de l’ordre des médecins. Les yeux torves et affairés, la gueule de travers, les cheveux crayeux, le teint blafard, cafardeux, la bouche ouverte sur un énorme rictus de convoitise libidineuse (?) : c’était lui. Dans les ruelles reculées du « Dirty District » de Bordeaux, on l’appelait Herr Mad Doctor. Était-il Allemand ? Était-il fou ? Nul ne le savait. Il errait, en blouse sale, cisaillant l’air de ses grandes enjambées, lâchant des ricanements destinés à lui seul, se frottant les mains osseuses, dardant des yeux jaunes sur les croupes des lycéennes, puis soudain battant des bras en imitant le cri des poules. Assis sur un banc, distribuant de grandes pincées de verre pilé aux pigeons, il se renversait parfois en arrière, et se mettait à lécher les nuages avec sa langue râpeuse.
Il avait une réputation de thaumaturge vicieux. Ses traitements guérissaient, mais ils avaient un effet secondaire très gênant, on murmurait. D’où : thaumaturge, et vicieux.
Il m’avait empoigné le bras, une nuit de mon désespoir. Une de ces nuits de vadrouille, narines reniflant le monde, une de ces nuits où la nouille fuyante qui me servait d’appendice sexuel me révulsait, une nuit où les sourires contrits de l’ouverture méatique de mon gland violet me donnaient envie de prendre un marteau et de taper dessus de toutes mes forces...
« Monsieur Klein... »
Je me retourne, je fixe cet homme, avec des yeux couleur de calot (oui, oui, ce calot, c’etait le même calot, que j’avais perdu à 8 ans, le plus beau de ma collection de billes, il s’était réincarné dans les pupilles du praticien...).
« Monsieur Klein, vous êtes à la recherche d’un sérum capable de vous rendre la verge aussi énorme qu’un bungalow, voire plus ? Vous voulez véritablement envoyer votre femme au 7ème ciel ? »
Interdit, je hochais la tête. « C-c-comment le savez... »
« Bien ! » m’interrompit-il de sa voix de fausset, digne d’un déplumé sociétaire de la Comédie Française. « Je vous propose donc mon précipité expérimental, le Buffalo Magnus. Je ne l’ai néanmoins jamais testé sur des êtres humains. Vous savez, je suis ingénieur moléculaire. J’ai travaillé sur la texture même de la matière. Et sauf votre respect, monsieur Klein, dans la plus petite particule de votre bite se tient toute l’histoire de l’univers depuis le Big Bang. Les atomes de votre dard pourront se réorganiser dans un agglomérat d’une dureté supérieure au diamant. Tout cela est né dans le creuset des étoiles, vous savez.
-         Waow ! », que je fais.
-         Promettez-moi une chose cependant, mon bon monsieur Klein...
Subjugué par l’écarquillement scrutateur de son oeil-de-bille, je jurai.
« Promettez-moi d’utiliser ma trouvaille pour le bien de l’Humanité. Vous voyez, j’ai trop peur que l’homme à qui je donnerai le pouvoir de rendre ses propres parties intimes plus compactes que le plomb n’aille enfoncer son zob dans les blindages des coffres-forts, ne se mette à défoncer les serrures... et ne dérobe de l’argent malhonnêtement. Poursuivi par la maréchaussée, il se masturberait avec frénésie, et relâcherait un flot spermatique de bille de tungstène pur capables de fracasser la boîte crânienne des forces de l’ordre... C’est une hypothèse, bien sûr. Mais avec mon sérum, il ne faut rien exclure. Quoi qu’il en soit, ce serait TERRIBLE. J’aimerais éviter cela. Je cherche donc un honnête homme.
-         Vous l’avez docteur ! Je suis l’honnêteté transparente et lippue du bon droit ! » Je m’exclame, extasié. « Je n’aspire qu’à baiser ma femme correctement, qu’à lui offrir ce coït parfait dont elle rêve en tricotant ses pulls ! C’est tout ! Ceci est ma vie, ma mission, ma marotte, mon joujou de Noël ! Je vous en prie, docteur, même si vous m’avez tout l’air d’être un gnome doctoresque aux relents faustiens, donnez-moi donc votre Buffalo Magnus ! Si jamais vous pouvez me rendre ma fierté et mon intégrité d’homme, je... Je ferai tout pour vous ! »
Ses yeux se firent serpentins. « Ne promettez pas plus que vous ne pouviez tenir, Monsieur Klein. Buvez mon sérum, enclenchez le processus, subissez les éventuels effets secondaires. On en reparlera après... si vous voyez les étoiles ou pas. »
Il me tendit la flasque, d’un sourire plein de gingembre. Je l’empochai prestement, déjà coupable. L’autre partit en trottinant d’un gai pas, corbeau blanc, coassant, coassant les premières mesures de La Marche impériale. Pas d’argent réclamé. Pas de trace. Des mises en gardes vagues mais pourtant réelles. Le pacte parfait.    
Jamais plus je ne revis ce Herr Mad Doctor - lui qui aura été l’artisan de ma perte.      

III
Zoom
D’un coup, j’avale tout le contenu du flacon de Buffalo Magnus.
Régine continue à tricoter. Je suis nu comme un vermisseau, avec ma simple peau comme paletot. Ma cape me gratte. Le zizi reste toujours la même virgule déprimée. J’attends.
L’élixir du Mad Doctor devrait prendre effet. Je ne comprends pas. C’est ma dernière, toute dernière chance. Rien ne se passe. Régine : une maille à l’endroit, une maille à l’envers. Elle continue. Dresse-toi, fauve ! Je me commande, mentalement. Comme à chaque fois, ma volonté se heurte à la matière. Je ne suis pas fait d’étoiles, moi. Je n’ai pas le Big Bang en moi. Je suis limité.
Mais ça commence à chatouiller. Une sorte de cri de mouette à l’extrêmité du gland, qui s’irradie dans sa tête de serpent mauve. Ca vibrionne, c’est agréable, le sexe commence à gonfler... Le processus est enclenché, je pense. Ca palpite, ça s’éveille, ça grouillâtre, ca lumine, ca se dandine, ca prend plaisir à s’étirer... Mon sexe est en érection.
Régine ! je gueule. Surprise, ma femme se retourne. Elle n’en croit pas ses yeux : elle a devant elle un boudin énervé, vindicatif, qui rêve d’en découdre, un organe nerveux, veineux, obscène qui la désire follement, jusqu’à en laisser échapper à son embouchure des fibres toutes collantes de joie. Oui,  je dis. Oui : maintenant.
Regine reste bouche bée. Bonne pioche : j’en profite pour lui enfourner mon biscuit de chair. Elle l’accepte. Ma bite est multipliée par quatre. Quel bonheur. Elle suçote tendrement, on dirait un lapin sur une carotte, absorbé, rituel, méticuleux. CLIC. Niveau supérieur. Les veinules sont débordées, elles se dilatent, ça emplit la bouche de Régine. Un peu trop, ma femme se contracte, a du mal à faire face à l’afflux. Ca tape sur les gencives, ça grandit, quel beau poids lourd, gonfle, gonfle, l’enrobage scintille, le bout s’ouvre sur un grelot violet, congestionné, interrogatif. Régine continue de besogner le tuyau, puis s’arrête, et repousse l’appendice.  
« Mais suce donc ! Grosse bête ! » que je m’exclame, irrité.
Mais d’un seul coup, mon sexe devenu énorme et fou percute violemment ma femme, qui va rouler contre le mur. Elle crie : « Mais qu’est-ce qui se passe ? » Mais je n’écoute plus : j’ai un baobab en-dessous du nombril, caoutchouteux, boursouflé comme un cou de tricératops, qui respire, siffle et enfle. Mon zob, youhou. Et d’un seul coup, belliqueusement il fonce sur sa proie! Ma femme se retrouve écrasée contre la paroi. Son hurlement devient suraigu. Et moi je pousse, je pousse malgré moi. Je veux forcer la porte du monde avec mon bélier. Je perds la tête. Avancer, pénétrer, s’insérer. D’un seul coup le mur cède dans un nuage de poussière, la lumière du jour fait irruption. J’ai défoncé l’hymen de ma propre baraque, mon zguègue se balade à l’extérieur comme une enseigne obscène, avec à son extrêmité Régine haut perchée qui risque de tomber. Heureusement, elle s’est cramponnée à mon frein. J’espère qu’elle n’a rien de cassé. Mais je ne peux plus penser : mon dard n’arrête plus de grandir. La maison est éventrée, béante, sous césarienne. Mes couilles commencent aussi à grandir, elles s’affalent sur la moquette comme deux gros hippopotames liquéfiés. Je me retrouve allongé sur elles. Mais les outres se gondolent, se remplissent, elles me portent à présent, je m’approche du plafond, je suis plaqué contre lui, ça craque, je traverse le toit, la demeure est pulverisée, il n’y a rien qui compte que les milliards de hourrahs, de cris de libération extatiques, des vivats et des hurlements qui partent simultanément de chaque atome de ma bite, de plus en plus fort, de plus en plus lumineux. Expansion. Régine perchée sur le gland s’éloigne rapidement de moi, je ne vois que la lueur noisette de ses yeux paniqués qui me regardent, humides, éperdus. Je tends les bras vers elle, je sais que je ne peux plus l’atteindre, elle est partie pour un long voyage, un très long voyage, sur le bout de ma bite. Un voyage sans retour.

IV
La galaxie souriante

Le soleil vient me chatouiller les paupières. J’ouvre les yeux. Je suis dans le ciel. En bas, la circulation de la ville, le brouhaha qui monte comme une fumée.
Mes testicules forment à présent un socle sur lequel je suis sultanesquement allongé. Un pouf de chair, de dimensions cyclopéennes (les ingénieurs ont calculé) : 4 kilomètres sur 4 kilomètres. En hauteur, 700 metres. Le weekend les employés du zoo viennent me nettoyer le scrotum à coups de kärscher à éléphant. J’ai noyé sous mon poids testiculaire plusieurs quartiers. Les indemnisations ont toute été prises en compte par l’Agence Spatiale. Merci à eux. De toute façon, il y a bien là une différence d’échelle : mes couilles ne se sont contentées  que d’une modeste augmentation, tandis que mon pénis est toujours en expansion. Il ne s’est jamais arrêté. Sa vitesse avoisine celle de la lumière. Comme si les dizaines de traitements infructueux contre l’impuissance avaient décidés de s’activer, d’un seul coup, d’un seul grand coup. Elan vital et vigoureux, qui tord la matière même. Il y a à présent, partant de mon aine, un arbre gigantesque de chair qui relie la Terre aux étoiles. Edifice titanesque, aux dimensions de l’infini, aux veinules pourpres charriant des fleuves entiers, à l’épiderme poilu et valloné. Toute une nouvelle cartographie en action. L’Agence Spatiale me chapeaute à présent : ils ont placé des capteurs, des drônes, des enregistreurs, des cellules sensibles sur la peau pénienne. Ils espèrent ainsi faire l’économie du lancement d’une fusée d’exploration. Ils me disent que mon penis est déjà arrive dans la banlieue de Neptune. Ils ont effectué nombre d’échantillons  très intéressants.
Ils me disent aussi : « Monsieur Klein, vous êtes en train d’éjaculer. Vos spermatozoïdes, tous de la taille d’une baleine bleue, remontent le long du canal déférent. Ils ont un long, très long chemin à faire. Mais au final, votre semence va se repandre dans le cosmos.Vous allez peut-être féconder des galaxies, faire un bébé à l’univers.  Vous mêlerez votre sperme à celui de notre grand ancêtre, Ouranos. Nous assisterons à une renaissance cosmique. Ca a déjà commencé.» ... Baleines bleues de sperme voguant sur les vents du cosmos, créatures filandreuses, fantasmagoriques, aux effluves télépathiques, dans la lactosité intime de l’univers...  
Et moi je m’en fous. Je suis totalement immobilisé (pendant que l’autre extrêmité de mon être s’enfonce dans la nuit radieuse de l’espace). Je pense à Régine. De tout mon coeur.
Je la sens, blottie dans la caverne de l’urêtre. Petit être terrorisé, embarqué par la folie de son mari dans un trajet singulier, tragique, sans moyen de retour. En contact l’un avec l’autre et pourtant éternellement éloignés. C’est drôle, je croyais toujours que je devais mettre mon sexe dans ma femme, mais pas qu’au final, ce serait ma femme qui se serait mise dans mon sexe. Je sais qu’elle va bien. Elle se nourrit de mes bacilles et bactéries vénériennes, devenus larges comme des pizzas. Débrouillarde comme je la connais, elle a très certainement recyclé de vieilles lianes spermatiques pour en tricoter un pull - un pull capable de recouvrir mon gland exposé aux radiations cosmiques. Elle sort de temps en temps au-dehors contempler l’obscurite trouée de lumières somptueuses. Elle se tient debout, face aux soleils. Unique présence humaine au-delà des dimensions, empêtrée dans une solitude écrasante. Séparée de moi, comme d’habitude, par l’étendue de chair que l’on appelle organe sexuel masculin, mesure de ma puissance, mesure de mon impuissance. Alors, elle attend. Elle attend que mon sexe dégonfle, elle qui a passe sa vie à attendre que celui-ci se gonfle. Elle attend que ce pont des étoiles sur lequel elle se trouve s’aplatisse et revienne à la maison, sur la Planete Terre, dans la bienveillante torpeur de la couche conjugale. Le grand sourire de l’intimité enfin retrouvé, à des années-lumières.
Pourvu  qu’elle ne puisse s’écarter quand mes spermatozoïdes devenus géants sortiront enfin de leur base de lancement et se répandront dans l’univers. J’espère qu’elle ne sera pas écrasée. Ou alors, non, elle chevauchera les baleines spermatiques dans les flots infinis, sirène splendide, extraplanétaire.
M’en veut-elle ? Non, je ne crois pas. Je ne le sens pas. Elle m’aime encore. Elle en expansion sans fin vers des territoires infinis, moi solidement ancré sur le plancher des vaches, cloué par ma bite devenue chose d’un autre monde, accomplissant incessament son propre Big Bang vibratoire, baisant des myriades de galaxies en chaleur...
Non, elle ne m’en veut pas. Les soirées de printemps, lorsque la rosee humecte la surface du monde, je l’entends qui me tape en langage morse contre la paroi de mon canal déférent, ces trois mots d’amour qui font fondre les pire trous noirs :

Je t’aime.

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