samedi 8 octobre 2011

Une ficelle rose [Cixi]

Encore un matin…. Sans raison de se lever la vie paraît si fade. Le visage collé à la vitre, je suis assis là, dans ce bus qui me mène au travail. Sans aucune motivation, je m'apprête à effectuer des tâches répétitives et sans vraiment m'intéresser à la vie de l'entreprise, le seul objectif est d'avoir de quoi payer mon loyer.

Le brouillard se lève, et mes yeux encore fatigués de ma courte nuit s'entrouvrent à peine. Je suis las de cette routine, toujours le même trajet, toujours croiser les mêmes personnes, allant jusqu'à prendre instinctivement la même place assise tous les jours. Je regarde dehors, les mêmes vitrines, les mêmes habitués, tout est si semblable à la veille. Ce matin, le regard dans le vague se pose sur de longs cheveux blonds juste attachés avec une ficelle rose. Mon cœur se met à palpiter sans raison. Plus ce bus nous approche de cette femme qui marche dans la rue, plus mon cœur s'emballe. Je sais que c'est elle, ce ne peut être qu'elle. Attendre de passer à sa hauteur pour l'interpeller me paraît être le moment le plus long de ma vie. Mon cœur semble me lâcher quand je la vois prendre une ruelle. D'un bond, je saute de mon siège laissant mes affaires, et hurle au conducteur de stopper. Je descends sans prendre le temps de le remercier et cours dans cette rue bondée où elle vient de s'engouffrer. Mais elle a déjà disparu au milieu de la foule. Je scrute tous ces travailleurs qui vont au boulot la tête baissée, je l'aperçois à quelques pas devant moi. J'accélère et tente de me faufiler dans la masse, bousculant quelques personnes sur mon passage. J'arrive enfin à sa hauteur mais elle a disparu de nouveau, je m'appuie sur le réverbère, j'ai une douleur à la poitrine de savoir qu'elle est en ville.

            Essoufflé et à bout de force de la chercher ainsi dans la foule matinale, mon cœur peine à se calmer. Je m'allonge sur un banc, à l'ombre d'un arbre, et ferme les yeux pour écouter le chant des oiseaux et tenter de me raisonner. Il fait bon, un petit vent souffle légèrement, rafraîchissant l'air et portant une odeur de bon pain chaud. Je l'imagine au petit matin, j'aimais tant lui apporter les croissants. Elle avait la manie de pester contre les miettes dans le lit et mettait un petit torchon qu'elle secouait ensuite dehors. Mais elle adorait cela et son sourire illuminait ma journée, cela me rendait heureux. Allongé ici, je repense à ce détail insignifiant du passé, à ces moments exquis et à ces petites manies que moi seul connais. Ma journée de travail m'attend, mais la seule chose dont je me sente capable est de l'enlacer à nouveau. Cela fait si longtemps qu'elle a choisi de quitter ma vie pour rejoindre une guerre qui n'est pas la sienne. Il suffirait peut être qu'elle me voie pour me laisser une chance. La vie n'est pas faite de rêves, elle est partie et je suis maintenant seul. Je me relève doucement, sèche mes lames et prends le chemin qui me mène à mon bureau.

Je suis à mon bureau, j'entends les collègues qui parlent, mais je ne les écoute pas. Je lis des feuilles, mais n'en retiens pas le sens, rien ne semble attirer mon attention. Toute une journée à repenser à cet instant où j'aurais pu la toucher, à m'imaginer l'enlaçant, lui préparant un petit chocolat le soir avant de passer une folle nuit dans ses bras. Toute une journée à me replonger dans un passé qui me semblait perdu mais dont le souvenir revenant à la surface me fait encore souffrir. Le cœur déchiré je reprends ce bus pour rentrer chez moi. J'attends ardemment le moment où nous passerons devant cette boutique où je l'ai aperçue ce matin. Elle ne sera pas là, mais mon envie de la revoir est plus forte que ma raison, et je l'imagine à cet endroit et moi pouvant la rejoindre. Le trajet ne m'a jamais semblé si long et la déception prévisible m'a totalement bouleversé. Je n'ai finalement qu'une hâte, m'allonger sur mon canapé et regarder un vieux film de zombies pour la chasser de mes pensées.

Je descends à mon arrêt, et elle est là. Assise sur le banc du trottoir de l'autre côté de la rue, elle m'attend tranquillement. Je m'approche doucement, tremblant de peur et d'excitation. Elle regarde de l'autre côté, mais je n'ai pas besoin de voir son visage, elle porte cet imperméable rouge que nous avions acheté ensemble lors de notre voyage à Paris. L'orage nous avait surpris à la sortie de notre visite du grand palais. Elle m'avait conquis ce jour là, son habitude de regarder les reportages à la télé lui donnait un enthousiasme qu'elle n'arrivait pas à dissimuler pour voir l'escalier du bâtiment. Elle savait aussi que l'espace devait être immense pour y avoir abrité des expositions aussi incroyables que celle de l'aviation pendant laquelle un dirigeable avait été gonflé sous la verrière tout juste refaite, mais son regard pétillait à la vue de ce lieu magique et lumineux. Elle était si passionnée de tout, s'intéressait à tout, j'adorais me balader à son bras. Et aujourd'hui, je sais que c'est elle, je l'interpelle. Elle se retourne, balançant ses cheveux en arrière et me sourit. Je m'empresse de traverser pour la retrouver, la quittant des yeux quelques instants pour me faufiler derrière une voiture et arrive enfin sur son trottoir. Trop tard, elle a encore disparu, je la vois filer et m'échapper à nouveau dans les rues de la ville. Je ramasse son foulard tombé dans la précipitation. Pourquoi m'attendre ainsi pour se sauver avant que je ne la rejoigne ? Pourquoi me laisser tant d'espoir pour finalement ne pas prendre le temps de m'attendre ? Mes yeux mouillés se ferment une fraction de seconde, pour me ramener à ma vie pathétique et je fais demi-tour pour rentrer chez moi.

Alors que j'ouvre ma porte, son parfum m'enivre. Je sais que c'est impossible, mais cette odeur familière me semble si réelle que je n'ose relever la tête. Toutes les femmes aiment porter un parfum qui leur ressemble, une fragrance épicée pour les croqueuses d'homme ou une légère odeur florale pour les plus timides, mais elle, elle portait une odeur de chèvrefeuille qui lui rappelait son enfance, le parfum de sa grand-mère. Finalement, cette odeur d'un arbuste ayant plusieurs sortes de fleurs sur le même pied reflétait bien sa personnalité et qui me rappelait celui que nous avions devant notre entrée. Je finis par me retourner, mon cœur s'emballant dans l'espoir qu'elle soit juste là. C'est bien elle devant la porte du hall d'entrée. Elle monte les quelques marches pour rejoindre mon palier et mon regard plonge dans le sien. Notre désir semble aussi fort que la dernière fois où nous nous sommes vus. Sans un mot, elle entre dans mon appartement, la porte se ferme. Je passe ma main dans son cou et l'embrasse fougueusement. Nos langues dansent avec tant de passion, mes doigts glissent dans ses cheveux et la douceur de ses mains réchauffent mon corps. On sonne à la porte. Je ne saurais dire pourquoi je l'abandonne ces quelques instants pour ouvrir à cet homme qui me tend une lettre... Je la prends et je la lis. La gorge nouée par le désespoir, les yeux fermés pour me cacher la réalité, mon cœur s'arrête de battre et mes genoux ne me tiennent plus, je m'effondre et tombe sur le sol froid de mon entrée dans un long sanglot. Il s'agit d'une convocation chez un notaire. Dans l'appartement que je sais vide, j'ouvre la lettre : une invitation à l'ouverture d'un testament. Son testament.

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