dimanche 16 octobre 2011

Le baiser de la méduse [Roboris45]


            « Aïe ! »
Une perle de sang apparut sur l'index de sa main gauche.
« Tu savais qu'on pouvait se couper avec un épluche-légume ?
- Quelle idée aussi de vouloir peler des tomates !
- Tu as vu la taille des tomates ? Je ne crois pas que la peau fonde à la cuisson...
- C'est ton cerveau qui est fondu !  »
Paul prit le ton de Bourriquet l'âne dépressif et maugréa :
« Merci d'avoir remarqué ! »
Il contempla l’épluche-légume, d’une taille bien supérieure à la norme, la lame branlante mais redoutablement affutée. Un ustensile d’un cachet certain, tout comme cette cuisine, tout comme cette maison de vacances que des amis leur avaient confiée.
Des vacances salvatrices après une période difficile.
Après une série de projets personnels non concrétisés, Paul avait déniché un job d’intervalliste sur la série animée « Winnie l’ourson ». Au bout d’un mois, il se rongeait la peau jusqu’au sang entre le pouce et l’index, penché sur sa table lumineuse pivotante. Le troisième mois, il introduisait son petit doigt dans le taille-crayon électrique collectif. Une manière comme une autre de jeter l’éponge… et de gagner un billet d’entrée pour un séjour en hôpital psychiatrique.    
Le défilé permanent de zombis médicamentés dans les couloirs blafards, la chambre exiguë aux barreaux à la fenêtre dans laquelle le temps se dilatait… quant aux repas, un patient avait surpris le « cuisinier » en train d’uriner dans une boîte de conserve géante. Une certaine idée de l’Enfer. Ce qui ne l’avait pas empêché de rechuter quelques mois plus tard après sa sortie.
La voix de sa femme l’extirpa de ses pensées :
            « Alors, ces tomates ? »


Paul arracha son épouse à la contemplation des motifs de tissus provinciaux pour lui montrer les piqûres de moustiques qui parsemaient ses chevilles. Il en avait dénombré dix-huit.  
Assailli par les bestioles, il n’avait dormi que quatre heures.
            « Arrête de te gratter ! » rugit elle.
Il commença à se masser le cuir chevelu du bout des ongles, signe chez lui de nervosité.


La mer, enfin.
Le contact des peaux jointes du couple dans l’eau salée revigorante était plein de promesses.
Un peu au large, Paul plongea pour ramener à sa femme un trésor - une poignée de boue marine  - et, à une demie seconde du fond, s’empêtra le visage dans une méduse.


Ayant de surcroit négligé les propriétés miroitantes de l’eau, Paul passa le reste de la journée cloîtré dans l’obscurité de la maison aux volets clos, victime d’un coup de soleil aussi douloureux que les brûlures au visage causées par la méduse. Lorsqu’il s’approchait d’une source de lumière, cela attisait son feu intérieur. Il était incapable d’enfiler un simple tee-shirt. Ne supportant pas le moindre contact, il refusa la Biafine. Et impossible de voir un médecin avant le lendemain.
La nuit vint, pas le sommeil.
Gratter furieusement certaines zones de son corps ou en effleurer d’autres semblait soulager Paul. A de rares instants, la douleur et les démangeaisons semblaient s’éloigner, il lui semblait alors entendre plus distinctement le raclement de ses ongles sur sa peau. Il aurait voulu pouvoir léviter, pour ne plus sentir le contact du lit. Ou être projeté dans l’espace glacial tel un héros défunt de Science-Fiction. Il se leva discrètement vers deux heures du matin, étudia ses boîtes d’antidépresseurs, de stabilisateurs et de somnifères, perplexe… et repoussa le tout au fond du sac.
« Merde, quoi ! Je suis en vacances ! »
Il se recoucha. Un moment après, son visage exhala un fluide lumineux et diaphane qui s’éleva vers le plafond. La forme semblait se dessiner, puis s’effaçait, revenait... Plus il essayait de la fixer plus elle se dérobait. Après quelques tentatives infructueuses, il abandonna. La méduse irisée se matérialisa alors nettement.

Si la douleur diminua, les démangeaisons parurent s’amplifier. Une pulsion soudaine naquît au bas-ventre. Paul se retourna vers sa femme endormie. Il s’immiscea en elle, s’arc-bouta, il lui sembla que ses épaules se craquelaient pour vomir des flots de lave. Il jouit instantanément.
Quelques minutes écoulées, la flore vaginale astringente lui démangeait la seule zone épargnée jusqu’à présent. Telle une photo démultipliée sur un fond d’écran, le plafond grouillait de méduses.


Paul s’approcha de la fenêtre entre-ouverte. L’air était frais. Un son d’écume grondait dans ses oreilles. Il se dirigea vers la cuisine.
Deux heures et quarante huit minutes plus tard, il regagna la chambre. L’aube pointait. Au loin, une tempête crevait le ciel. Il étendit silencieusement la nappe en plastique de plage de son côté du lit, complétée par trois sacs poubelles. Il s’agissait de ne pas tacher le lit.

Plus de peau, plus de démangeaison.
Il s’endormit paisiblement.

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