vendredi 10 avril 2015

Glory Hole, deuxième partie [Herr Mad Doktor]


4 - Fleshback


Elle crie. Elle pleure.
Elle crie encore. Très fort.
Elle me gueule que merde, je peux pas partir comme ça.
Elle me crache que putain, je lui dois une explication.
Elle me hurle qu'elle m'aime, qu'elle sait que je l'aime aussi, qu'on est heureux, que bordel, qu'est-ce que je vais aller foutre tout seul en Australie ?
Je hausse les épaules.
Elle me demande si je déconne.
Je déconne pas.
Alors elle déclare avoir compris. Sûr. Évident. Comment n'y a-t-elle pas pensé plus tôt ? J'ai quelqu'un d'autre !
"T’es bête”, je lui dis.
Elle fulmine, mais alors il est le problème ?
Entre mes jambes, je voudrais répondre. Mais les mots ne sortent pas...
Elle me traite de lâche. D’égoïste. D’enfoiré.
Je pleure.
Elle me tape un peu, elle m'embrasse.
Elle me dit qu'on devait faire un bébé. Au moins.
On pleure tous les deux.
Je lui baise le front, je lui sanglote que je suis désolé, que c'est pas sa faute, que je l'aimerai pour toujours.
Elle dit qu’elle ne comprend pas.
Je la repousse tendrement.
Je pars.


*

Elle me rattrape dans les escaliers.
Elle me murmure d'une voix suave : "Pas question que tu t'en ailles sans un souvenir."
Elle me tire par la main jusque dans notre chambre.
Elle me pousse sur le lit.
Je me laisse faire.
Elle se déculotte, s'assied face à moi, écarte les cuisses.
Le fil d'un tampon hygiénique sort de sa fente.
Elle me sourit, tire dessus, balance l’obus de coton souillé par-dessus son épaule. Puis elle écarquille ses grandes lèvres, révélant le papillon écarlate des petites, dont les ailes se déploient avec grâce. Une liqueur poisseuse, couleur brique, s’en échappe.
"Ça va tâcher la couette, je la préviens.
- On s'en tape", elle me rétorque.
Sans ménagement elle me débraguette et me soupèse le paquet.
"Il est temps de libérer la bête, elle me dit.
- Tu risques d'être surprise..." je la préviens.
Quand elle tire sur l'élastique de mon caleçon, mon sexe de lépreux jaillit comme un diable de sa boîte. Pour une fois, je bande sans souffrir le martyre.
L'aspect et l'odeur de mon figatellu n'incommodent pas ma partenaire. Au contraire : elle le prend tout entier en bouche. Sa salive ramollit les peaux mortes, que ses dents pèlent sans mal. Les croûtes croustillent sous ses molaires ; les squames les plus dures se fichent entre ses incisives ; des grumeaux de poils pubiens et de déjections séchées lui noircissent la langue. Elle avale tout, sans un haut le cœur. À la fin du festin, de longs fils de chair nécrosée, pareils à du chewing-gum, pendent de ses lèvres à ce qui reste de mon prépuce. Au milieu du charnier, mon gland ravagé se dresse comme un moignon sur le champ de bataille.
Elle empoigne mon dard sanguinolent, le trempe dans l'encre de ses ragnagnas. Nos humeurs se mêlent. Je ne sais plus où s'arrête ma chair et où commence la sienne.
"Tu es assez lubrifié", elle décrète.
Elle se retourne, lève la croupe, écarte ses fesses.
Son anus épilé me darde un regard cyclopéen.
"Je vais te faire passer l’envie de t’éloigner de moi", elle me promet.
Son sphincter se dilate tout seul, comme un obturateur.
"Viens et ne me quitte plus, mon amour..."
Appâté, mon moignon s'aventure au bord du précipice rectal, badigeonne de sang la peau plissée de la muqueuse anale, puis la pénètre.
Mais au-delà de l'anneau de chair, il n'y a rien.
Ni chaleur.
Ni plaisir.
Ni intimité.
Rien qu'un Trou de néant et de désespoir, qui m’engloutit corps et âme.


5 - Le sourire de l'ange


Une voix ampoulée m'extirpe des limbes opiacées : "... du champagne ?"
Quand j’ouvre les yeux, Claude François est penché sur moi, un sourire ultra bright aux lèvres et une coupe à la main. J’imaginais le Paradis autrement, putain.
"Monsieur, du champagne ? À moins que votre médecin ait une objection...
- Aucune, répond Zoubir, assis à ma droite. Un petit apéritif l'aidera à se détendre. Monsieur n'est pas très à l'aise en avion."
Toujours aussi souriant, Cloclo dépose la coupe sur ma tablette et continue son service, d'une démarche chaloupée.
"Santé !" me dit mon voisin, trinquant avec moi, avant de se siffler son verre d'une traite.
Groggy, je ne trouve rien de mieux à faire que de l'imiter. L’acidité glacée du champagne me rafraîchit les idées. Évaluation rapide de la situation : je porte un smoking à la James Bond, j’ai le cul bien calé dans un siège en cuir tout confort, et Cloclo s’appelle en réalité “Jean-Philippe” (c’est écrit sur son badge) et porte l'uniforme de Egypt Flight.
Je suis donc en train de m’envoyer en l’air en première classe, direction Le Caire.
Direction le Trou.
Je roule un oeil noir en direction de mon "médecin personnel".
"Docteur Zoubir ? j'ironise.
- Tout doux, mon ami. Le prétexte d'un transport sanitaire était le seul moyen d'obtenir des billets dans un délai aussi court. Mon père et moi-même te présentons d'ailleurs nos plus plates excuses pour la façon un peu... expéditive dont nous t'avons traité. Cependant nous avions nos raisons : s'il avait fallu te convaincre de monter dans cet avion, nous en serions encore à parlementer dans l'arrière-salle des Mille-et-une Nuits. Or au vu de ton état de santé, le temps nous est compté...
- Droguer et enlever un cancéreux, t'as raison : c'est exactement la définition du mot "expéditif". J’ai hâte de demander à ces analphabètes de flics leur avis sur cette question de rhétorique...
- Moins fort, je t'en prie. Il ne serait pas plus dans ton intérêt que dans le mien d'attirer l'attention durant le vol. Nous t’avons administré un sédatif léger pour ton propre bien. Et encore, parler de sédation est exagéré, puisque ton état de conscience n'a été que discrètement altéré. Si tu en doutes, demande aux autres passagers ou au personnel de bord : tu es rentré de ton plein gré dans cet avion, en marchant sur tes deux jambes. Tu as d'ailleurs acheté toi-même ton billet à l'aéroport, les vidéos de surveillance pourront en témoigner...
- Un gentil zombie à sa mémère, quoi, obéissant au doigt et à l'oeil... Vous en avez profité pour me ramoner le fion en famille ?"
Cloclo me ressert du champagne pile au moment où je prononce ces mots. D'une main tremblante il en fout la moitié à côté, bredouille une excuse et déguerpit. Je descends ma coupe illico, cul sec. En espérant que le mien le soit aussi...
"Au contraire, se défend Zoubir. Nous t'avons porté, baigné, langé, habillé, parfumé, comme si tu étais notre propre enfant.
- Lavé ? je grimace. Pourquoi diable vous m'auriez frotté le c..."
Les poulpes albinos dans leur jus dégueulasse !
En panique, je me palpe l'entrejambe : rien d'alarmant en dehors du rembourrage habituel ; je ne sens rien grouiller entre mes cuisses... L'opium m'a-t-il fait halluciner ces engeances tentaculaires ?
"Nos petits amis ne t'importuneront plus, m'assure Zoubir. De sa voix ensorceleuse, mon père les a replongés dans leur léthargie millénaire. À ce propos, il m'a chargé de te transmettre ses félicitations : tu as passé l’examen d’entrée avec brio. Des poulpes blancs, c'est un excellent présage.
- J'allais te le dire... Un vrai lâcher de colombes depuis mon cul ! Le message d'espoir que le monde attendait...
- Ironise tant que tu voudras ; le Trou et ses émissaires ne parlent que le langage de la vérité. Des cafards ou des mouches à merde auraient été synonymes de cataclysme. Cette conversation n’aurait alors pas lieu ; mon père t'aurait instantanément arraché le phallus de ses dents, puis ouvert avec son cimeterre de là (il pose son doigt sur ma glotte) à là (il pose son doigt sur ma braguette), avant de jeter tes entrailles aux chiens de l'Enfer - ceux-là même qui t'attendaient la bave aux lèvres derrière la vitrine. Aussi crois-moi sur parole, mon ami : les poulpes albinos sont un très bon présage.
- Vu comme ça..."
Zoubir sourit. Derrière le masque de la jeunesse, je croirais voir et entendre son paternel. Putain de tribu de fanatiques. Tous les mêmes.
"Tu deviens raisonnable, se félicite-t-il, c'est bien…
- Genre j’ai le choix ?
- Bien sûr. Je ne t'obliges à rien. Tu demeures libre de crier au kidnapping et d'expliquer aux autorités qu’un misérable employé de kebab veut tremper ta verge dans un trou magique… Libre de t'en remettre à ton chirurgien et de laisser ta virilité sur sa table d'opération… Libre de sauter de cet avion en plein vol… Libre de me trancher la gorge à la première occasion et de crever seul en prison comme un chien...
- Tu parles d'une liberté !
- Ou bien tu peux me suivre jusqu'au Trou et exposer ton organe bien-aimé à sa glorieuse lumière. (Son regard se fait compatissant) La route que je te propose est incertaine, inquiétante je le conçois, mais peut-elle seulement être pire que les autres ?"
Je repense à la vision de ma queue dans un bocal de formol.
"Tu marques un point", j’admets.
Je me renfonce dans mon siège, méditant sur mon sort pendant que Zoubir lance un vieil épisode de Friends sur son écran individuel. Les al-Hazred me mènent-ils en bateau ? (Bien sûr que non Ducon, jette un oeil par le hublot...) Leur foi aveugle en ce Trou-Dieu ne fait aucun doute ; d'ailleurs si ce n'était par mysticisme, quel intérêt auraient-ils à traîner un cancéreux sans le sou au pays des pharaons ? Billie la Djinn ensorceleuse, l'Égypte ancienne et ses mystères, une divinité oubliée aux émissaires tentaculaires... Bon sang, aussi tarés soient mes kidnappeurs, je ne peux leur enlever un sens certain du spectaculaire ; leurs petits tours me convaincraient presque de l'existence de forces occultes ! Ah, l´opium et ses illusions... À moins que ce ne soit le contraire : les camés ne clament-ils pas que la drogue ouvre les portes de la perception ? Un monde caché au regard commun serait-il alors en train de m'être révélé ? Devant une telle hypothèse, ma cartésienne Coralie se foutrait ouvertement de ma gueule ! Tu crois aux lutins et aux farfadets, petit garçon ? Dire qu'elle et mes proches me pensent en Australie, courant après les kangourous ! Ils sont à mille lieux d'imaginer que ma vie est faite de...
“... poulpes et kebab ?”
Cloclo et son sourire plus éblouissant que des phares dans la nuit sont de retour.
“Comme mise en bouche, il précise, le chef a le plaisir de vous proposer du caviar sauvage d'Iran, ainsi qu'un assortiment de mezze orientaux : poulpes nains de Méditerranée à l'huile vierge, kebab d'agneau revisité façon feuilleté...
- J’ai pas tellement faim, je vous avoue.
- Ces amuse-gueule conviendront très bien, intervient Zoubir. Monsieur a besoin de prendre des forces."
L'assiette de porcelaine tintinnabule quand Cloclo soulève la cloche en argent, dans une mise en scène qui donnerait de la grandeur aux sandwiches au pâté de sanglier de mon regretté papy.
"Je vous souhaite une bonne dégustation, gentlemen."
Je réprime un haut-le-coeur : du fond de leur bain d'huile, des poulpes (noirs et cuits, cette fois) me lorgnent de leurs yeux vitreux. Avant qu'il ne leur vienne l’envie d'aller rendre visite à leurs cousins albinos entre mes couilles, je les taille en pièces. Morts ou pas, on n'est jamais trop prudent...
Loin de mes réserves, Zoubir a plongé tête la première dans sa gamelle et s'empiffre à grands bruits. Je ne me souviens pas avoir déjà vu quelqu'un manger aussi salement, pas même mon vieux Saint-Bernard aveugle, et Dieu sait s'il en foutait partout. Le repas de mon voisin n'est qu'un concert de succions sifflantes, mastications sonores et déglutitions glougloutantes, qu'accompagne une pluie drue de postillons, en plein sur Joey, Chandler et leurs amis. Une hyène, je me dis, je suis assis à côté d'une hyène fouissant un cadavre encore chaud, la gueule trempée de bave et de sang. Pas de quoi arranger ma gerbe...
Plus j'observe le fils de M. Mokhtar et plus je suis frappé par sa ressemblance, non, sa similitude parfaite avec son père, dans les moindres détails... Le même regard illuminé, les mêmes mimiques, la même implantation dentaire, avec les incisives en touches de piano... C'est possible ? Une intuition épouvantable éclot dans ma cervelle et se fraie un chemin dans les boyaux de mes méninges, comme un ver solitaire dans un gros côlon.
Le même homme, les rides en moins !
L'éponge gorgée de bile qu'est mon estomac se contracte. Un reflux acide me crame l'œsophage. Tout à trac, j'éructe à mon voisin : "Le menu te plaît, Mokhtar al-Hazred ?"
Les bruits de ripaille s'interrompent. Le menton luisant d'huile, la créature à forme humaine lève le museau de sa pitance et tourne la tête vers moi, un sourire en coin.
"Tu te fais appeler Zoubir, je poursuis, tu es dans la force de ta jeunesse, mais tu es Mokhtar lui-même. Tes 256 fils... Conneries ! Ce sont des copies de toi-même ! Des poupées de chair, habitées par un seul et unique esprit..."
Zoubir/Mokhtar ne me répond pas ; dans ses pupilles, je crois déceler une satisfaction malsaine à l'idée d'avoir été démasqué.
"Comment t'as fait ? T'as offert ta queue au Trou en échange d'une forme d'immortalité ? Tu es son rabatteur de viande fraîche ? Son âme damnée ? Sa pute ?"
À ce mot me revient la scène de mon cauchemar opiacé, où Coralie me dévorait le prépuce avec appétit... Un appétit semblable, dans sa gloutonnerie ogresque, à celui de mon voisin de vol... L'épouvantable vérité me saute soudain à la gueule, dans toute son horreur.
"Les démons femelles n'ont jamais existé, pas vrai ? Le putain de djinn responsable de mon état, c'est toi ! Je peux t'appeler Billie, connard ?
- Nomme-moi comme il te plaira, répond très calmement l'abomination, cela ne change rien à la situation présente, ni aux options qui s'offrent à toi. Le Trou a hâte de faire ta connaissance." Et avec un rictus mesquin, l'arabe fou s'en retourne à son bruyant festin, devant les rires enregistrés de sa sitcom.
J'en reste bouche bée. Mes doigts se crispent autour du manche de mon couteau (l'un de ces couteaux en métal véritable qu'on vous donne en première classe, pas un misérable couvert en plastoc). Je crève d'envie de le lui planter dans l'œil pour en éteindre à jamais les reflets trompeurs. Ce serait si facile, un simple mouvement du poignet, et tchac ! Mais la violence ne m'est pas coutumière ; trouer la peau d'un homme de chair et de sang (l'est-il vraiment ?) ne s'avère pas aussi aisé que dans un film hollywoodien. Et puis quoi ? Comme me l'a dit Billie (autant appeler l'ordure par son petit nom), je croupirais en taule jusqu'à ce que mort s'en suive... Il m'en coûte de le reconnaître, mais ce bâtard de djinn me tient par la bite. Échec et mat, pauvre tarte.
"Les mets ne vous conviennent pas, Monsieur ?" s'enquiert Cloclo, alarmé par mon assiette désespérément intacte.
En guise d'appréciation, je lui vomis à la gueule. Allez savoir pourquoi, son sourire perd soudain tout éclat...


6 - Huit-clos


Moins de dix secondes plus tard rapplique un bataillon d'hôtesses de l'air armées jusqu'aux dents de produits d'hygiène et de pschit désodorisants. Profitant de la confusion, je me lève et attrape un Cloclo tout décati par le veston. "Je suis confus, je fais de ma voix la plus mielleuse, laissez-moi vous aider à vous débarbouiller..." Et avant qu'il n'ait le temps de résister, je le tire en direction des WC. Comme prévu, Billie se précipite aussitôt à ma suite, mais la présence des hôtesses le ralentit, ce qui me laisse le temps de m'enfermer dans les chiottes avec le stewart.
"Cette salle d'eau est réservée aux passagers, m'indique Cloclo dont le brushing est aplati par ma gerbe, je n'ai pas le droit de...
- Rien à branler", je lui dis.
De l'extérieur, Billie tente d'actionner la poignée, puis frappe à la porte.
"Tout va bien, mon ami ? Laissez-moi entrer, que je puisse vous aider...
- Inutile, je lui réponds, tout est nickel."
De la manche de mon costume, je sors alors ma botte secrète.
"Oh mon Dieu, couine Cloclo, il a un couteau !
- Et un beau, en plus, designé par la maison Christofle. Mazette !"
Billie tambourine de plus belle : "Mon cher, reprenez vos esprits ! Lâchez votre arme et ouvrez cette porte, que l'on parle calmement...
- Je vous en prie, hurle le stewart, ne me faites pas de mal !"
Indifférent au brouhaha, je déboutonne mon pantalon. Pour le coup, Billie ne mentait pas en me parlant de langes ! Mon petit Jésus est empaqueté dans je ne sais combien de bandes de coton parfumées au citron, une vraie momie. En les défaisant, je retrouve l'excitation des Noël de mon enfance... Même si je crains que ce joli paquet ne contienne un cadeau périmé.
Tandis que je me désape, j'entends Billie s'adresser au personnel de bord : "Mon patient n'a pas toute sa tête, il est capable du pire. Dépêchez-vous de trouver le double de la clé !"
Blême de trouille, Cloclo s'est ratatiné dans un coin de la cabine - incroyablement spacieuse, traitement VIP oblige ; ma chambre de bonne était moitié moins grande...
"Que comptez-vous faire de moi ? il me demande.
- T'aimes le figatellu ?
- Pardon ?
- Tu connais pas ? C'est un saucisson corse. Attends, je vais te montrer."
Lorsque tombe le dernier lange, Cloclo hurle comme un castrat.
Les coups à la porte redoublent d'intensité.
"Ne faites pas de bêtise ! me supplie Billie.
- T'as fait du bon boulot, je lui rétorque. Ma bite sent presque le Chanel. Faudra que tu me donnes les références de ton parfum..."
Sous les yeux terrifiés de mon otage, je me tripatouille le paquet. Les langes devaient être gorgés d'anesthésiants, car je ne ressens aucune douleur. Ma verge semble plus grosse, mais c'est parce qu'elle commence à nécroser ; les chairs s'étirent, pendouillent, s'allongent, lui donnant un aspect de gousse de vanille lentement mûrie par le soleil ; à côté du mien, l'outil de travail de de Rocco passerait pour un sexe d'enfant. Merde, il faut bien que le cancer ait quelques avantages... La peau de mes testicules a pris quant à elle une consistance de papier crépon ; j'en aurais presque envie de me la poncer pour lui redonner sa douceur naturelle. Enfin, ce tour du propriétaire s'achève par une palpation minutieuse de mon scrotum, dont je constate, non sans soulagement, qu'il ne conserve aucune séquelle apparente de l'évasion impromptue des poulpes albinos ; je craignais vraiment d'avoir hérité d'un deuxième trou du cul.
"Rassure-moi, tu vois rien non plus, hein ?" je fais à Cloclo, penché en avant, les fesses bien écarquillées devant sa figure. Mais le stewart ne risque pas de me répondre : il gît évanoui dans son vomi.
Attendant l'arrivée de la cavalerie, je m'accroupis à ses côtés. Je ne résiste pas à la tentation de passer une main dans ses cheveux. Une moumoute ! J'en étais sûr.
Des cliquetis nerveux dans la serrure, et la porte s'ouvre à la volée.
C'est pas trop tôt !
Billie entre le premier, du style "laissez passer je suis médecin", et dans son dos j'aperçois une armada de gros bras, dont le commandant de bord si j'en crois sa mâchoire carrée et sa casquette garnie d'étoiles.
Je me lève, le pantalon sur les chevilles, et brandis le couteau dans leur direction. Je présume que c'est ce que l'on attend d'un forcené en pareille situation... Quand leurs pupilles glissent vers mon chibre, leurs sourcils se lèvent d'effroi. J'entends un ou deux "Seigneur !" et beaucoup de "bleuuuurgllll".
Ma Némésis garde son sang froid ; je crois même que la vision de mon escargot attise son appétit : "Tout doux, réglons cela en douceur... Nous ne voulons pas vous faire de mal...
- Tu m'as ensemencé, je lui crache. Avec un de tes putains de kebab à l'Égyptienne.
- Vous l'entendez ? Ce pauvre monsieur délire...
- Ta viande pourrie contenait quelque chose qui est venu se loger dans mon corps, dans ma queue, déclenchant le cancer... Puis tu as patiemment attendu que je me repointe à ton resto... Comme ces moustiques qui pondent dans le sang d'un hôte avant de revenir chercher leurs larves une fois arrivées à maturité... Et maintenant, tu veux, ou plutôt le Trou veut récupérer ce qu'il a semé en moi... Et pour ça, vous avez besoin de ma bite ! Intacte.
- Passez-moi la seringue, murmure Billie. Vous ne me laissez pas le choix, mon ami."
Tandis qu'il s'approche, me menaçant de l'aiguille, j'abaisse la lame du couteau contre la base de ma verge.
Pour la première fois, le visage du djinn exprime de la peur.
"Un pas de plus, je lui dis, et je te jure que je me la tranche et que je la fous aux chiottes !"


7 - Le parfum


Au cours d'un duel psychologique il est capital, sous peine de perdre toute crédibilité, de toujours mettre ses menaces à exécution. Cependant, quand il est question de se scier la bûche, cela s'avère plus facile à dire qu'à faire.
Dans la cabine de chiottes, nul n'ose piper mot ; seul gronde le bourdonnement des moteurs. Billie et moi ne nous quittons pas des yeux. Si la scène se déroulait dans un western, quelqu'un jouerait de l'harmonica et un fourré d'herbes sèches traverserait la rue en tournoyant. Chacun attend le bon moment pour passer à l'action.
Un mouvement, presque imperceptible. Une chaussure glissant sur la moquette. Billie s'approche de moi, l'air de rien, millimètre par millimètre. Traître.
"Tu pourras pas dire que je t'avais pas prévenu !" je lui dis, mon regard toujours harponné au sien.
Ma main tremble. La lame dentelée entame la chair cartonnée de mon pénis. Grâce à la nécrose, c'est moins douloureux que ce à quoi je m'attendais ; c'est comme couper une escalope panée : il faut traverser l'enrobage avant d'arriver à la viande.
Durant un instant, le djinn hésite. Son œil bleu s'affole dans tous les sens, évaluant le risque qu'il y aurait à se jeter sur moi pour me désarmer. Trop grand, manifestement. Il renonce.
"Arrête, mon ami ! il me supplie.
- Vire cette seringue d'abord !"
Malgré mes menaces, Billie campe sur sa position. Alors je continue de tailler. Le couteau entre dans le vif du sujet. Maintenant, ça fait vraiment mal ! Pire que de se coincer le prépuce dans la braguette ; plus insupportable encore qu'un coup de pied dans les joyeuses ; incommensurablement plus douloureux qu'une pipe de Dracula ; enfin je suppose. Quand la lame tranche une petite artère de mon corps caverneux, le sang gicle à la perpendiculaire, comme la fois où mon idiot de père a filé un coup de pioche dans la canalisation des voisins. Ma vue se trouble. Je pousse des cris de gorets qu'on égorge. La perte de connaissance n'est pas loin.
"Tu vois ce que tu m'obliges à faire ?" je gémis.
Mes cris font leur effet : mon "médecin personnel" cède juste à temps. Il jette la seringue anesthésiante dans le lavabo et montre ses paumes en signe d'apaisement. J'écarte la lame. Ouf. Mais le sang pisse toujours.
"Okay, okay, tu vois ? me dit le djinn. Pose ce couteau et montre-moi ta plaie.
- T'inquiète, je me débrouillerai ! Maintenant barrez-vous tous et refermez la porte derrière vous. On peut pas avoir un peu d'intimité dans ce putain d'avion ? La première classe n'est plus ce qu'elle était ! Le service consommateur va m'entendre."
Mon adversaire s'apprête à faire un pas en arrière, mais quelque chose le retient. Une odeur. Ses narines se dilatent, il hume ce parfum puissant. Il s'en délecte.
Cette odeur, je la sens moi aussi, ainsi que tous les passagers ; cependant à l'inverse de Billie ils ne semblent pas l'apprécier. Je les comprends : à côté d'elle, une charogne sent la rose ! J'identifie sans mal la source de ce fumée méphitique : ma verge ; plus précisément : la viande avariée cachée sous la panure. Un enfer olfactif libéré dans l'avion ! Cloclo ne réalise pas la chance qu'il a de piquer un roupillon...
Dans le dos du djinn, c'est la panique générale. Les membres de l'équipage amassés contre la porte sont les premiers à tomber comme des mouches. Certains rendent leur quatre heures, d'autres tournent directement de l'œil et quelques-uns, plus résistants, tentent de lancer l'alerte. Le commandant de bord, couvert du dégueulis de ses collègues, rampe jusqu'à un téléphone mural, sans doute pour prévenir son binôme resté dans la cabine de pilotage ; après avoir bredouillé quelques mots dans le combiné, il s'écroule à son tour.
Les haut-parleurs crachent une annonce : "Ici le copilote. Notre avion fait face à un péril sanitaire, aussi je me vois dans l'obligation de déclencher une procédure d'urgence. Je vous prie de ne pas quitter votre siège et d'enfiler vos masques à oxygène."
Trop tard. L'odeur fatale s'est déjà propagée à tout l'habitacle. Des cris d'agonie et de vomissements nous parviennent ; des plateaux qu'on renverse ; des corps qui s'effondrent. Puis le silence.
Je lâche mon couteau.
Bordel. Je suis une bombe chimique à moi tout seul.
Pas rancunier, Billie s'empresse de comprimer la plaie de mon pénis au moyen des langes restés au sol. L'apaisement est immédiat. Incapable du moindre mouvement, je me laisse faire pendant qu'il me refroque.
"Cela devrait tenir jusqu'à l'atterrissage, il estime. Les bandes absorberont l'odeur..."
Mon ennemi juré me prend par la main comme un gamin et me sort des chiottes. Avec prudence, nous enjambons les corps des intoxiqués et regagnons la cabine, où les rangées de sièges offrent un spectacle de désolation. Plus personne à bord n'est conscient. Les passagers ont semble-t-il été fauchés par surprise, qui encore assis sur son siège, qui avachi sur un accoudoir, bras tordus et jambes en l'air ; les corps emmêlés forment des pelotes de membres, où l'on ne distingue plus qui est qui. Les masques à oxygène, que certains évanouis portent toujours, n'ont manifestement pas stoppé l'agresseur olfactif. Conséquence directe, tout l'habitacle a été crépi au vomi. Mon parfum intime : encore plus efficace qu'un pistolet à peinture ! Egypt Flight a l'honneur de vous présenter la nouvelle déco d'intérieur de ses vols longs courriers, en produits 100% biologiques. Ça pique les yeux, et pas que pour des raisons esthétiques. La future équipe de nettoyage va s'amuser...
"Comment ça se fait que je sois pas allongé parmi eux ? je m'interroge.
- On est toujours le dernier incommodé par sa propre puanteur, me dit Billie.
- Et toi la puanteur tu kiffes à mort hein ?"
Nous remontons le couloir en direction de l'avant de l'appareil, jusqu'à la porte close du cockpit ; à en juger par le silence des haut-parleurs, le copilote a dû succomber au même sort que les autres.
"Ça sait voler, un djinn ?" je fais.
L'intéressé me lorgne avec un air de "t'inquiète coco, j'en ai vu d'autres" et actionne la poignée... en vain.
"Pas quand la cabine est verrouillée de l'intérieur", il me rétorque.
Sans déconner. Je tente à mon tour d'ouvrir la porte, puis toque frénétiquement ("Ouvrez-nous, bordel ! On a chassé les mauvaises odeurs !"), avant de donner des coups d'épaules désespérés...
"Tu te fatigues pour rien, me raisonne Billie, elle est blindée."
Nous nous regardons, atterrés par notre impuissance.
"Y'a-t-il un pilote dans l'avion ?" je gueule.
Et de concert, le djinn et moi éclatons d'un rire de damnés.

[A SUIVRE !]

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