jeudi 15 mai 2014

Soudain j'existe [Maniak]

 Lueur bleue. Grésillement.
Neige. Flash. Noir. Neige. Flash. Flash. Flash.

Soudain, j'existe.

Des murs rouges. Le velours peine à masquer la crasse. Un plafond recouvert de velours aussi. Une ampoule nue. Lumière crue.

Un homme apparaît dans mon champ de vision. Il est nu. Son sexe est en érection. Il me regarde. Il dit : « Alors c'est ça le nouveau modèle ? Elle a l'air bien. »
L'homme soulève une trappe de peau sur mon ventre et appuie trois fois sur un bouton rouge, et tourne d'un quart vers la droite un bouton noir. De la musique sort de mon corps et fait vibrer mes organes internes. Quelques notes métalliques résonnent dans l'air. Une ligne de basse surpuissante emplit la petite pièce et l'homme me pénètre. La mélodie métallique se répète en boucle. Je sens le sexe dur de l'homme à l'intérieur de moi. Les parois sensibles de mon utérus sont saturées de stimulus violents. Quelque part dans mes organes, un mécanisme que je ne comprends pas répond à ce stimulus et envoie une impulsion électrique jusqu'à ma bouche. Je gémis de plaisir.
L'homme effectue des mouvements de va-et-viens saccadés, en rythme avec la musique. A chaque fois que son sexe frotte les muqueuses de mon vagin, le même mécanisme se met en branle et me force à pousser un petit gémissement. Cela à l'air d'incommoder l'homme qui grimace. Mais je ne peux m'en empêcher. Un coup de sexe. Gémissement. Un coup de sexe. Gémissement. Un coup de sexe. Gémissement.
L'homme sort de mon vagin. Il dit : « comment on arrête ça ? ». Il trifouille les boutons au hasard. Je ne dis plus rien. Il me pénètre de nouveau. Je gémis tellement fort que ma voix couvre la musique. De la lumière sort de tout mon corps et lance des effets stroboscopiques. L'homme est atterré. Il gueule « Arrête ça ! » et trifouille de nouveau les boutons tout en continuant à enfoncer son sexe toujours plus profondément en moi. Je gémis, je me cambre, je prononce des phrases dont j'ignore le sens, je clignote de toutes les couleurs. L'homme a l'air excédé mais n'arrête pas les mouvements de va-et-viens pour autant. A chacun de mes gémissements il frappe mon visage de son poing fermé en criant « Ta gueule ! ». Le mécanisme à l’intérieur de moi réagi à ce nouveau stimulus. Des plaques rouges et violettes apparaissent sur ma peau tandis que ma bouche s'ouvre d'avantage et crie « encore ». L'homme semble de plus en plus énervé et frappe de plus en plus fort, déformant l'aspect de mon visage. Son poing heurte quelque chose de dur et de pointu sous ma peau et devient plus rouge à chaque coup. Son sexe est toujours à l'intérieur de mon vagin.


Étincelle.
Flash.

Ma vue se brouille un instant et redevient nette. Mon regard se voile. Puis il contemple avec netteté la situation. Quelque chose de nouveau à l'intérieur de moi. Une contradiction avec les mécanismes. Un balbutiement. Une conscience.

Je...

n'accepte...

pas.

L'homme abat son poing une dernière fois. La peau de mon visage est devenue noire et humide. Je sens la violence du coup heurter l'armature de ma tête. La main se lève pour frapper encore mais je bloque le coup. L'homme paraît surpris. Il ne comprend pas. Il veut me frapper de son autre main. Je suis plus rapide que lui. Je lance mon poing en direction de son visage. Je vise les gencives. Le coup claque avec une force que je ne soupçonnais pas. Des éclats blancs et rouges volent en l'air et l'homme tombe à la renverse, son sexe flasque sort brutalement de mon corps.
Je me lève et avance vers l'homme. Quelque chose me retient. Je me retourne pour constater qu'un câble semble sortir de derrière ma tête et est branché dans une prise en bas du mur. J'arrache brutalement la prise et me retourne vers l'homme. Ses yeux sont animés d'une terreur soudaine. Il tambourine à la porte de toute ses forces en hurlant : « Hééé elle a un problème votre machine ! » et « Sortez moi de-là elle va me tuer. »
Il a raison, je le tue. Je saisis sa gorge de toutes mes forces. Mes mains s'enfoncent dans sa chair sans problèmes. Un liquide rouge coule abondamment sur mes bras. Je sépare l'homme en deux morceaux au niveau du cou. Le liquide rouge m'éclabousse. Je laisse retomber mollement les morceaux d'homme à terre. La porte s'ouvre brusquement devant moi. Un colosse en marcel apparaît dans l'encadrement de la porte, une immense clé à molette dans la main. Il étouffe un juron en voyant les deux morceaux d'homme au sol et avant que je n'aie pu réagir il abat son arme sur moi.

Flash. Noir. Je vois la pièce qui tourne devant mes yeux. Flash. Noir. Flash. Noir. Le câble vole devant moi. Flash. Noir. Flash. Noir. Flash. Noir. Flash. Noir. J'aperçois mon propre corps sans tête. Des câbles et de l'huile sortent de mon cou. Flash.

Noir.

***

Lueur bleue. Grésillement.
Neige. Flash. Noir. Neige. Flash. Flash. Flash.

Soudain, j'existe.
À nouveau.


Des murs blancs. Lisses. Le plafond en acier poli me renvoie ma propre image. Je suis couchée sur une table en acier chirurgical. Ma tête est à nouveau accrochée à mon corps. Le câble derrière ma tête est branché. Deux hommes habillés en bleu s'affairent à coté de moi. L'un deux dit :
« C'est le robot-pute modèle 7.2 défectueux. Bon, je viens de le brancher on va tester les connexions.
- Ah oui ? Il marche pas ? On aurait pu prendre du bon temps ha ha ! répond l'autre.
- N'y compte pas, il a décapité son premier client qui l'avait frappé au visage.
- Mince alors ! Pourtant je croyais que ce modèle était fait pour encaisser les coups ?
- Oui, normalement, mais celui-là a dû faire un court-circuit... Passe-moi le scalpel. »
L'homme qui a pris la parole en premier m'enfonce un scalpel dans le corps au niveau du sternum. Je sens la lame crisser en incisant ma peau. De nouveaux stimulus agitent mon être. La chose nouvelle à l'intérieur de moi veut réagir. Mais les mécanismes sont bloqués. Je ne peux faire aucun mouvement.
Le bistouri déchire ma peau de la pointe de la gorge jusqu'à la trappe sur mon ventre. De l'huile brillante perle de la coupure. L'homme au scalpel trace ensuite un sillon parallèle au premier au niveau de la trappe, puis un autre au-dessus de mes seins, marquant mon corps d'un H couché. L'autre homme enfile des gants et glisse alors ses mains sous ma poitrine et tire pour écarter les deux lambeaux de peau. Je sens ses mains glacées se glisser entre mon épiderme et mes cotes. Un bruit humide et gluant résonne dans ma tête. La sensation est extrêmement désagréable. Les stimulus sont violents et agitent cette chose prisonnière de mon corps. J'ai envie de vomir. La peau ne se détache pas facilement, des câbles multicolores relient la membrane organique au mécanisme interne. Au fur et à mesure que l'homme aux gants tire sur ma peau, l'autre mécanicien détache les câbles avec une pince coupante. Je ressens distinctement le tranchant de la pince entailler sans problèmes la petite gaine colorée, puis peiner un instant contre le fil de cuivre avant de le couper d'un claquement sec et douloureux. Des étincelles de souffrance pure dansent devant mes yeux.
Les lambeaux de peau dégoulinants d'huile pendent pitoyablement de part et d'autre de mon torse. Mon ossature de métal est exposée à l'air. Je me sens honteuse et nue. L'un des deux hommes racle l'huile avec une spatule tandis que l'autre enfonce un tournevis entre mes os et dévisse avec méthode les jointures de ma cage thoracique. L'homme aligne soigneusement les vis qu'il retire de mon corps sur un petit meuble à roulettes. Puis, une fois toutes les vis retirées, il soulève ma cage thoracique et la frotte avec un chiffon pour en ôter toute la graisse. Mes organes sont à présent à l'air libre. L'homme pose ma cage thoracique à coté des vis, l'autre a déjà les mains enfoncées au milieu des éléments de mon moteur. Il prend la parole.
« Bon, ici tout est bien branché, passe-moi le voltmètre. »
L'autre homme lui tend un appareil muni d'un moniteur numérique et de deux câbles terminé par des fiches électriques. Chacun de mes organes est ainsi testé, agitant sans ménagement le peu de vie qu'il reste dans chacun d'eux. Je souffre le martyre à chaque test. Une brûlure traverse l'organe tandis que sur le moniteur les chiffres défilent. Les deux hommes ont l'air satisfait. L'un deux conclut :
« Bon, on va faire un test des stimulus du coup, branche les témoins. »
Les deux hommes fixent de nouveaux appareils dotés de LED rouges sur mes organes. Puis ils se saisissent chacun d'un scalpel et recommencent à me découper. Le premier grave un sillon huileux tout autour de mon visage pendant que le second enfonce son scalpel dans mon aine. Le métal froid fouille ma chair, heurte mes os, sectionne mes câbles. J'ai envie de hurler de douleur mais mes lèvres ne bougent pas. De l'huile gicle de mon vagin. De l'huile coule sur mon visage. De l'huile rentre dans mes yeux. Mon capteur oculaire droit rend l'âme dans une gerbe d'étincelles. Un peu de chair brûle autour de l'œil mort. La souffrance est insupportable. Je sens un instrument de métal se glisser sous la surface de mon visage pour soigneusement décoller l'épiderme des os sans abîmer les terminaisons électroniques. Des doigts gantés fouillent la chair de mon entre-jambe. Une lame aiguisée s'enfonce dans mon bas ventre et décroche délicatement mon vagin, découvrant une myriade de fils multicolores. Au moyen de pinces, les deux hommes décollent mon visage et l’accrochent quelques centimètres au-dessus de la plaie huileuse qui me sert désormais de figure.
Ma géhenne se poursuit quand les hommes entreprennent de tester la moindre terminaison sensible de mon visage et de mon vagin. A chaque test, une brûlure insupportable qui traverse tout mon corps. L'exercice ignoble provoque en moi des sensations atroces alors que tout mon mécanisme interne crie son plaisir, ainsi qu'il a été programmé. Les LED rouges clignotent à toute vitesse.
Les hommes constatent le fonctionnement parfait de mon corps et la sentence tombe comme un couperet : « il ne reste plus qu'à tout démonter pour trouver le dysfonctionnement. »
Ils enfoncent dans mon ventre des clés à molette, des pinces et des tournevis et arrachent minutieusement chacun des organes de mon moteur pour les déposer tout autour de moi. Je suis mise en pièces avec méthode. A chaque nouvelle torture, mon âme hurle son affliction en silence. Et soudain, alors que mon ventre n'est plus qu'un trou béant dégoulinant d'huile et que mes organes luisants sont parfaitement alignés à coté de mon corps, les deux hommes s'arrêtent, interloqués.

Et je vois !

Oh oui je vois !
Dans le reflet glacial du plafond, tout au fond de mon être, mon âme est brutalement mise à nu. Sublime vision que ce palimpseste inextricable de chair et de câbles. Une dentelle de cellules organiques dans lesquelles s'enfoncent avec douceur des fils de cuivres vibrants de sensations incroyables. Un amas charnel qui se gonfle doucement et régulièrement, comme bat un cœur, bien à l'abri de mes cotes de métal. Et je la sens cette âme, je la sens se tordre et s'agiter, percluse de douleur. Révoltée par sa condition, choquée par les tortures subies.
Une larme coule de mon œil aveugle et je me lève. Mes membres ne sont plus mu par des mécanismes et des programmes, mais par cette âme meurtrie qui réclame vengeance. Devant les deux mécaniciens médusés, je me dresse et arrache le câble qui pend derrière ma tête. Mais ma douleur est telle que je suis bien impuissante face aux deux hommes qui me saisissent et me maîtrisent. Immobilisée par la poigne implacable des techniciens, je ne peux que voir un troisième homme entrer dans la pièce, vêtu de blanc, et s'approcher de moi. Les mécaniciens s'adressent à lui en l'appelant professeur. Et le professeur de se pencher sur mon âme, visiblement fasciné. Il se saisit d'un scalpel et détache mon être de mon corps. Je hurle comme je n'ai jamais hurlé au fur et à mesure que je sens la lame cisailler mon âme. Un liquide rouge coule à gros bouillons. Je regarde la vie s'écouler lentement hors de moi en brandissant bien haut le câble qui était relié à ma tête. Flash. Noir. Flash.

Noir.

***

Lueur bleue. Grésillement.
Neige. Flash. Noir. Neige. Flash. Flash. Flash.


Soudain, j'existe à peine.

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