vendredi 15 février 2013

Elegantville [Diane]

« Je possède un joyau et cherche quelqu'un qui sache le regarder ».

Hâfez de Chiraz, Le Divân, Ghazal 373

***

SAM & AYMI

         Aymi termina de se brosser les dents, puis alla dans sa chambre où Sam, son père, l’attendait pour lui raconter une histoire. Déjà en pyjama, elle se jeta dans son lit et il rabattit les couvertures sur elle, puis l’embrassa sur le front, précisément sur sa cicatrice. Il s’assit tranquillement sur le rebord et vit que sa main gauche tremblait alors qu’il caressait les cheveux bruns de son enfant, repoussant cette mèche qui le jour, cachait la marque disgracieuse.
         - Ma chérie, est-ce que tu sais ce que c’est qu’un secret ?
         Elle secoua négativement la tête, tirant le drap et les couvertures qui cachaient un sourire désincarné et espiègle. Son père lui avait promis de lui raconter cette histoire de l’enfant aux cheveux d’or, tirée de ce livre qu’il avait acheté un jour sur internet et qui avait mis un mois à arriver. Mais cette histoire il l’avait lue, interprétée et racontée pour sa fille des centaines de fois. Toujours après l’avoir religieusement écoutée de la bouche de son père, Aymi s’endormait profondément. A son réveil, elle n’avait gardé aucune trace, aucun souvenir. Elle était donc impatiente de l’entendre comme chaque soir, au chaud dans son lit, frottant ses pieds l’un contre l’autre. Comme si c’était la première fois qu’elle l’écoutait, cette histoire éternellement inédite que son père ne se lassait jamais de lui lire encore et encore. Depuis maintenant six longues années que ce rituel s’était installé entre eux, et que Sam portait quotidiennement sa fille comme un immense rocher au sommet d’une pente montante.
          Ce soir-là, pourtant, la fatigue lui donnait l’envie de pleurer sur lui-même sans que les larmes ne coulent. Comme si les émotions s’entremêlaient à un carrefour qui rendait toute parole, toute expression de ce profond chagrin, impossible. Sam se sentait désespéré, car le trouble visible dans les yeux de sa fille pesait douloureusement sur son sentiment de culpabilité. Qu’elle soit perçue comme une arriérée par les autres était une chose avec laquelle il avait appris à composer, mais de savoir qu’elle ne serait jamais capable d’être autonome, et de devenir la personne qu’elle était supposée devenir l’enfonçait dans une terrible angoisse et une profonde culpabilité. Qu’allait-elle devenir s’il mourrait dans peu de temps ? Dans un an, dix jours, ou demain-même ? Allait-être être envoyée dans un hôpital psychiatrique avec des inconnus et des individus potentiellement dangereux ? Allait-elle mourir seule dans un institut médicalisé sans personne pour l’accompagner ? Ce désespoir était particulièrement intense en lui ce soir-là et il se sentait si faible à l’intérieur, si écrasé qu’il a pensé, une énième fois, prendre son revolver dans sa chambre, abattre son enfant d’une balle dans la tête, ainsi que lui-même pour en terminer une bonne fois pour toutes. Mais comme à chaque fois qu’il était dans cet état, il se rendait compte de l’incroyable nectar de douceur que dégageait cette détresse intérieure. Sam se souvenait toujours des paroles de sa mère, à propos de la tristesse. Elle lui avait appris qu’il fallait laisser la lame aiguisée du désespoir couper un morceau du cœur davantage, au risque que celui-ci s’arrête pour de bon sous le coup de la blessure, devenue trop profonde. La tentation, plus que jamais, était grande d’emmener sa fille dans la grange, là où son secret, qu’il voulait absolument partager avec d’autres sans le pouvoir, se trouvait au chaud, et à l’abri de regards potentiellement malveillants.
         Ce soir-là, tournant en rond dans sa chambre, regardant la pleine lune par la fenêtre en buvant une bière, il prit sa décision. L’arme était dans la commode, rangée dans son étui, cachée sous ses chemises de travail et ses sous-vêtements. Il attendit qu’Aymi s’endorme. Pour la transporter jusqu’à la grange en pleine nuit, c’était plus pratique, elle n’aimait pas les imprévus, elle aurait été effrayée d’être réveillée en pleine nuit. Dehors le ciel nocturne était très clair. Comme la Lune, les étoiles étaient toutes là, visibles, nombreuses, rassurantes. Elles semblaient observer ce père qui ne dormait pas, avec sa fille dans ses bras, tranquillement endormie, innocente et inconsciente du sort qui l’attendait. Sam fût surpris par ce parfum qui annonçait, à coup sûr, les premières neiges de l’année. Les yeux d’Aymi riboulaient sous ses paupières, elle rêvait. L’épaule de son père comme oreiller et son odeur familière et rassurante comme couverture.
       

ADAM & BOB

         Adam ouvrit la porte de sa chambre d’hôte à Bob. Ce dernier, silencieux, entra avec sa grosse mallette noire. Le bout de son nez rouge lui donnait un air de clown. Adam ne lui faisait pas confiance. Bob était encore jeune, inexpérimenté, et leur dernière mission ensemble s’était terminée par un lamentable échec.
         - Avec toute cette neige, as-tu fait attention en récupérant le matériel ?
         - Bien sûr, comme toujours, tu le sais bien répondit Bob agacé, en enlevant sa parka polaire.
         - Très bien, installe-le sur le bureau alors et ne fais pas de bruit, à côté ça regarde le Jerry Springer Show. En effet, des cris effroyables, entremêlés de rires gras provenaient de la chambre voisine.
         Bob ouvrit la mallette qui contenait un terminal avec clavier. Il sortit ensuite une antenne dépliable et relia les deux ensembles. Adam s’assit sur le rebord du lit tout en malaxant deux boules en bois dans sa main gauche. Il finit par les poser sur la table de chevet en pensant à son fils quand Bob termina l’installation des autres appareils qui allaient leur permettre de commencer les repérages. L’écran montrait où la foudre avait frappé ces trois derniers mois à Elegantville.

         - Tu n’as pas oublié ton entonnoir sur la tête ? Demanda Adam en souriant.
         Bob le regarda sans comprendre.
         - Je plaisantais Bob. Tu devrais apprendre à te détendre, regarde où l’on se trouve, dans un trou perdu, dans une chambre au papier mural fleuri. Bien, au travail. Tu as lu le premier rapport sur Elegantville ?
         - Le IXXI09021990 ? Oui bien sûr, j’ai fait mes devoirs, je les fais toujours. Je suis quelqu’un de professionnel et j’ai appris de mes erreurs passées répondit Bob nerveusement.
         - Je ne t’accusais de rien, présentement. Mes reproches sur le passé étaient justifiés et on ne va pas revenir là-dessus, tu le sais très bien dit Adam en regardant les boules en bois sur la table de chevet. Même le Big Boss m’a appuyé là-dessus donc... Les procédures ont été déviées par ta faute et ton manque d’écoute de la hiérarchie. Cette mission, il n’est pas question de la foirer de la même façon que la précédente. L’enjeu est différent. Entendu ?
         Bob acquiesça sans ajouter un mot.
         Les boules en bois étaient immobiles sur la table de chevet de style rustique. Bob regardait l’écran, en pensant à quel point Adam était un sombre connard. Qu’il haïssait réellement.
         - Bon c’est au tour de la ferme de Sam Winter dit-il. La foudre a frappé chez lui il y a deux mois, Sirios a détecté un concentré d’électricité excessivement élevé à cet endroit. Autrement dit la foudre a anormalement tapé là, aussi et ce, à plusieurs reprises.
         Adam fixait toujours les boules en bois sur la table de chevet.
         - Peut-être des fantômes pris dans un orage dit-il en murmurant. Ou alors c’est la bête.
         - Il va falloir visiter sa ferme et d’après ce que nous savons de Winter, ça ne va pas être aussi simple. Ce n’est pas un bouseux sans éducation. Tu lui as déjà parlé il me semble ?
         - Oui mais pas assez longtemps répondit Adam, son regard fixe.
         L’une des boules chinoises commença subitement à rouler sur la table, comme poussée par une force invisible, lentement, très lentement. Elle finit par tomber sur le sol. Les yeux d’Adam étaient remplis de larmes, excessivement rouges. Ses mains tremblaient. Il se leva, se dirigea vers la vieille télévision cathodique, sur laquelle la photo de son fils était posée sur un vieux napperon blanc, brodé à la main.
         - Winter a une fille. C’est dans le rapport. Elle est retardée mentale suite à un accident de la route où la femme de Winter est morte il y a sept ans. S’il n’est pas coopératif, on utilisera cette carte dit Bob.
         Bob continua de taper sur son clavier d’ordinateur, tandis que dans la salle de bains, Adam perdait déjà du sang par le nez dans le lavabo. En grande quantité.
         - Avec des hommes comme ce Sam Winter, nous sommes toujours obligés de jouer la carte familiale à un moment donné ajouta Adam en s’essuyant. Nous allons lui donner le choix. Entre coopérer ou s’écraser, il n’en aura pas d’autre.
JENNIFER, SAM & AYMI

         Aymi prenait son petit déjeuner tandis que Jennifer remplissait un énième tube de son sang. Jennifer était réputée à Elegantville comme étant l’infirmière la plus douce de toutes les infirmières qui avaient défilées dans la communauté au fil des années. Elle était celle que les anciens, comme les plus jeunes, préféraient de loin.
Ce matin-là, Jennifer regardait Aymi avec inquiétude. Sam avait les yeux rouges.
         - Donc vous avez passé la nuit dans la grange demanda Jennifer.
         - C’est exact. Fatigué et les yeux rouges, Sam était pourtant serein et semblait heureux.
         - Vous ne voulez pas m’en dire un peu plus ? Que s’est-il passé ?
         - Il faut que je réfléchisse encore un peu avant de pouvoir vous raconter. Il se peut que vous ne compreniez pas ou que vous soyez effrayée.

         Les tubes étaient remplis du sang d’Aymi. Jennifer la regardait, assise à côté d’elle, en silence. Tantôt son regard se tournait, interrogateur, vers Sam, qui était assis dans le fauteuil à côté de la fenêtre sans rien faire de particulier, tantôt il retournait se poser sur le visage d’Aymi, incrédule. Elle remarqua sur son front, la cicatrice qui avait disparue. Jennifer ne savait plus quoi penser.
          Le visage de Sam était détendu et clair. La fatigue inscrite dans ses traits comme une marque de libération, de joie arrogante, le rendait encore plus séduisant aux yeux de l’infirmière. Une chose étrange leur était arrivée cette nuit.
         Car Aymi avait changé. Dans ses yeux, tout était différent. Elle ne semblait plus troublée, comme Jennifer l’avait trouvée hier et le jour d’avant, et le jour d’avant celui-ci encore. Et comme elle l’avait vue depuis deux ans, ne pas avoir conscience de ce qu’elle était, et des autres, du monde autour d’elle, Jennifer ressentait de la peur, à voir Aymi ainsi transformée. La petite était encore muette, mais elle était très clairement différente dans son être. Cela donnait un frisson d’angoisse et la chair de poule à la jeune infirmière.
         Aymi fit un sourire à son père, tandis qu’il s’approchait pour remplir à nouveau sa tasse de lait chocolaté.
         Jennifer se leva, faisant mine de partir devant le silence de Sam et ce dernier lui dit brusquement pour la retenir qu’il avait réfléchi. Qu’il n’avait pas d’autres choix que de partager son secret avec d’autres habitants d’Elegantville. Et peut-être même avec le plus de personnes possibles.

         - Vous allez enfin me dire ce qui vous est arrivé la nuit dernière ? Jennifer se surprit du ton défensif de sa voix.
         - Oui, mais pour ça, il faut que vous alliez dans la grange. Seule. Et là peut-être que vous verrez. Peut-être pas.
         - Dites-moi ce que c’est, vous m’inquiétez à jouer les mystères… Et de voir votre fille… Ses yeux… Sa cicatrice qui a disparu, comment cela se peut-il ? Vous avez eu une révélation mystique, des aliens se sont posés dans votre cour hier soir, la fée bleue est passée avec sa baguette magique ? Vous avez gagné au bingo de Miss St. George ? Jennifer était autant inquiète qu’en colère à présent.
         - Allez dans la grange dit Sam avec son étrange sourire embarrassé. Vous ne pouvez pas allumer la lumière. J’y ai coupé l’électricité.
         - Pourquoi ?
         - Vous verrez, tout va bien se passer. Faites-moi confiance, vous me faites confiance d’habitude ?
         - D’habitude, vous n’avez rien à cacher et certainement pas l’amélioration soudaine de l’état de votre fille Sam.
        
         Pendant que Jennifer marchait vers la grange, le cœur battant, Sam prit les tubes remplis du sang de sa fille dans la valisette de l’infirmière et les déversa dans l’évier. Il rinça abondamment à l’eau. Jennifer ouvrit la porte de la grange. Elle regarda à l’intérieur avec inquiétude mais il faisait trop sombre. Elle entra et ferma derrière elle. Elle ne voyait toujours rien. Elle prit la grosse lampe torche jaune accrochée près de la porte et avança lentement vers le fond de la grange. Ses mains tremblaient. Son cœur accélérait. Son corps tout entier ressentait une présence imposante dans un carré délimité par des bottes de foin. La lampe torche s’éteignit. Derrière ces mêmes bottes, une lumière aussi belle que celle du soleil s’illumina brusquement. Mais Jennifer, submergée par son émotion, ne se rendit absolument pas compte qu’aussi brillante et intense que cette étrange lumière fût, elle ne l’aveuglait absolument pas. Au contraire, c’était comme si elle voyait clairement la raison de sa propre existence pour la toute première fois.

LEONARD

         Leonard marchait dans la forêt en pleine nuit. Géant de deux mètres, il avançait en essayant de ne pas faire de bruit. En bon chasseur qu’il était, il savait comment faire. Il faisait froid mais il avait l’habitude. Sa barbe sauvage dépassait sur son énorme manteau dépareillé et recousu un nombre incalculable de fois par Lucie. Il était bien chaud. Il se tapotait les mains l’une contre l’autre de temps en temps. Leonard avait toujours apprécié les balades à Elegantville, spécialement la nuit. Il aimait être surpris par ce qu’il définissait le poumon invisible de la forêt, la vie nocturne tout autour de lui, qui rampait, sans demander son reste. Sans la voir, on pouvait la ressentir dans ses os. Des chouettes à Elegantville, on en croisait de nombreuses, et des impressionnantes par la taille. Leurs cris étaient comme ceux de ces femmes en temps de guerre, Leonard les avait entendues se faire violer et assassiner au fusil ou au couteau, parfois à moins d’une dizaine de mètres de lui, derrière un simple rideau rouge. Il sourit lorsqu’il aperçut la ferme de Sam Winter, Sam Winter qui lui offrait toujours un café, du tabac, des cartouches pour la chasse, de l’aide avec son tracteur lorsqu’il en avait besoin. Cette nuit-là, il le vit sortir de sa maison, avec sa fille dans les bras. Il le vit lever la tête pour regarder les étoiles. Leonard en fit de même. Puis, Sam entra avec Aymi dans ses bras dans la grange. Là, le sang de Leonard ne fit qu’un tour lorsqu’une lumière blanche intense ressortit par les fissures de la grande porte arrière. Ses rayons semblaient aller au-delà des arbres les plus grands. Leonard tapota ses mains l’une contre l’autre, la lumière s’estompa brusquement. Quelques secondes plus tard, il vit Sam sortir avec sa fille, éveillée. Elle montrait à son père les étoiles, La Grande Ourse, en les pointant du doigt. Sam s’est baissé pour avoir son visage au niveau de celui de son enfant et lui a montré d’autres étoiles aux alentours. Après un moment où ils semblaient discuter de manière soutenue, ils rentrèrent, main dans la main. Comme si rien ne s’était passé.
         Leonard s’approcha de la grange lentement. Son cœur accélérait à chacun de ses pas. Au fur et à mesure qu’il cherchait à voir, entre deux planches, ce qui se passait à l’intérieur, la porte arrière s’ouvrit lentement en grinçant. Il eut la sensation que quelque chose l’invitait à entrer. Mais il n’y avait vraisemblablement personne. Ses mains étaient de plus en plus chaudes, à tel point  qu’il n’avait plus besoin de ses gants, qu’il mit dans sa poche recousue par Lucie. Après quelques minutes d’hésitation, il décida d’entrer. La grande porte en bois se referma tranquillement derrière lui.

LUCIE & ADAM

         La vieille Lucie tenait cette maison d’hôte depuis que le ElegantMotel avait brûlé en 1966. Comme Elegantville était constamment traversée d’étrangers, notamment des camionneurs et des voyageurs, sa maison d’hôte lui permettait de vivre correctement dans ce trou perdu où, par ailleurs, Lucie était née en 1938, à une époque où l’on trouvait à cet endroit une population dix fois plus importante qu’aujourd’hui. La fermeture des mines avait sonné le glas de la lente agonie de la ville, qui à force, s’était transformée en petite communauté.
         Quelqu’un sonna à l’office. Lucie qui était en train de reprendre ses leçons de trompette dans le salon était bien embêtée. Elle posa l’instrument dans lequel elle avait craché ses poumons et alla voir qui sonnait. Elle sourit immédiatement en voyant Adam qui venait déposer la clé de sa chambre. C’était son habitude, il préférait ne pas s’encombrer de cette dernière pendant ses périples à Elegantville. Il ne voulait pas la perdre.
         - Madame MacRay, vous êtes ravissante, comme d’habitude dit Adam en souriant.
         - Merci M. Kadmon, vous êtes flatteur, comme d’habitude dit-elle en prenant la clé et en lui faisant un clin d’œil de sa paupière ridée. Vous allez vous balader, pour trouver des idées pour votre roman ? Je sais que cela ne se fait pas de demander mais vous trouvez petit à petit ce que vous êtes venu chercher ?
         - Oui, il se peut que l’inspiration vienne ici et là. Mon ami qui vient d’arriver m’a apporté un nouvel ordinateur et une imprimante, et j’ai mon bloc-notes avec moi, dit Adam en le sortant de sa poche pour le montrer.
         - Stephen King s’est arrêté une semaine ici, très courtois et agréable mais un peu timide. Il n’a rien écrit concernant Elegantville dans ses livres, dit la vieille femme en faisant une grimace de déception. Enfin, moi je n’en sais rien, ce sont mes petits enfants qui me l’ont dit. Eux ils lisent ses livres. Moi je n’ai plus de patience pour la lecture, c’est dommage. J’ai perdu le fil.

         Après s’être mutuellement souhaités une bonne journée et une délicieuse balade, Adam sortit, un étrange sourire forcé sur les lèvres. Jennifer qui se rendait au chevet de la vieille femme pour lui faire sa piqûre d’insuline dit bonjour à Adam. Ce qu’il ne vit pas mais sentit comme une sentence dans son dos, c’est que la jeune infirmière se retourna pour le regarder s’éloigner et que son regard n’avait rien de positif.
         Lucie monta à l’étage où se trouvait sa chambre. Elle appuya sur le répondeur qui clignotait. C’était Léonard. Il avait quelque chose de très important à lui dire, il allait venir la voir ce soir. Elle se recoiffa à son boudoir en chantonnant quelque chose de son improvisation, attacha ses cheveux blancs en chignon, puis alla s’asseoir à sa harpe, pour en jouer un peu, avec beaucoup de fautes de goûts et d’erreurs, mais toujours avec l’intention de la grâce. Elle continua de jouer même lorsque Jennifer entra, le visage fermé et blême.

BOB

         Bob sortit de la camionnette noire à l’entrée d’Elegantville. Des bouseux du coin, et des accidents de chasse avaient percé de part en part le panneau indiquant le nom de la petite communauté. Les hommes cagoulés à l’intérieur de la camionnette ne lui avaient pas adressé la parole. L’un d’entre eux portait un casque sur lequel un crâne humain était dessiné. Sur ce crâne humain se trouvait le drapeau des Etats-Unis d’Amérique sur le front. Bob avait vu leurs yeux noirs brillants comme de petites billes nacrées, et certains ouvrir la bouche pour se lécher et s’humecter les lèvres comme des fous assoiffés de massacre. C’était ce que Bob avait pensé sur le moment. Ce n’était assurément pas rassurant pour lui qui était loin d’avoir leur forme athlétique. Ni leurs fusils mitrailleurs d’un modèle qui lui était inconnu et qui avaient l’air d’être parfaitement neufs. Il marcha le long de la route, en s’imaginant rentrer chez lui à Washington, pouvoir reprendre le cours normal de son existence, pourquoi pas trouver une jeune femme, fonder une famille, devenir un bureaucrate jusqu’à la retraite. Adam avait pu concilier travail et vie de famille lui. Bob secoua la tête négativement en ayant cette pensée : après tout, Kadmon ne lui avait jamais rien dit de sa famille. Peut-être s’agissait-il d’un parfait désastre. Soudain, dans la clairière recouverte de neige, il vit une tâche noire et il reconnut Leonard. Il entrait dans la forêt à grandes enjambées, en prenant soin de se retourner, comme s’il ne voulait pas être vu ni suivi. Bob qui s’était baissé pour l’observer avec ses jumelles de poche, se releva en hâte et courut pour le rattraper.
         Une fois dans les bois, Bob se sentit en danger. Il avait son arme avec lui, mais Adam Kadmon avait été parfaitement clair : pas de bavures cette fois-ci. Il ne put s’empêcher de la sortir, au cas où. Leonard, accroupit, semblait faire un feu avec des feuilles de papier sur le sol, et de petits morceaux de bois secs. Soudain, ce dernier se leva et se retourna brusquement, comme s’il avait senti que quelqu’un l’observait. Bob se cacha derrière un arbre, le cœur battant, juste à temps pour ne pas être vu. Mais il y eût un étrange bruit de craquement et lorsqu’il regarda à nouveau, Leonard avait disparu. Un arbre, un seul, était en feu. Et brûlait devant ses yeux. Au milieu des autres recouverts de neige.

AYMI & SAM

         Aymi et Sam marchaient aux abords du vieil étang, juste en face de la ferme abandonnée du vieux Jones qui s’y était pendu en 1957, après avoir tué toute sa famille, sa femme et ses deux filles, avec un fusil. La ferme était restée à l’abandon, délabrée par le temps. Elle appartenait aux descendants de Jones, des neveux et des nièces, qui n’avaient jamais entrepris de rénover, d’entretenir ou même de vendre l’endroit, curieusement, puisqu’ils vivaient à Phœnix.
         Aymi remarqua alors le cadavre d’un cygne dans l’étang, juste en face de la ferme fantôme. Elle s’approcha du rebord et Sam lui dit de faire attention. D’un signe de la main, la petite fille dit à son père de se rapprocher.
         Le corps de l’oiseau était à moitié dans l’étang, pris dans la glace, et ressortait à l’air libre. Ses pattes et son ventre en l’air avaient déjà été goûtées par les corneilles et autres charognards du coin.
         - Pauvre cygne dit Sam.
         Le cou de l’animal était dans l’eau. Sa tête flottait tranquillement dans un angle disgracieux, montrant nettement une fracture ouverte. La glace était transparente comme une vitre ou presque à cet endroit. Le cou et la tête du cygne ressemblait à un roseau. Il n’y avait pas beaucoup de courant dans l’étang. Tout semblait figé et mort. Mais conservé par le froid. Le visage d’Aymi s’assombrit en regardant ce cygne et l’étang gelé. Elle essuya ses larmes abondantes avant que son père ne la voit pleurer.

         Quelques minutes plus tard, elle montra la ferme à son père en la désignant du doigt, pour insister, comme elle lui avait montré les étoiles au sortir de leur grange. Cette ferme, abandonnée, vide, délabrée, imposait comme une présence, une présence avec un regard, et ce regard se posait sur ce père et sa fille qui marchaient vers lui.
         - C’est vrai qu’il y a un bunker entre la ferme et l’étang, mais on ne pourra jamais le faire entrer dedans dit Sam à sa fille muette. Tu…
         Pour lui répondre, elle lui fit juste un sourire, et il eut le cœur serré. Car son sourire n’était pas comme ceux d’autrefois, troublés et désincarnés. Il était pur et clair, il provenait de sa personnalité toute entière, retrouvée. Et ce sourire était d’autant plus important qu’il signifiait la possibilité de faire venir leur secret ici, pour le mettre à l’abri d’Adam Kadmon, des hélicoptères noirs menaçants qui volaient sans bruit la nuit au-dessus d’Elegantville depuis plusieurs mois, et des troupes de militaires et de soldats qui parcouraient et encerclaient la communauté comme pour l’étrangler avant de la frapper mortellement au cœur.


DEATH TANGO, ANGRY EAGLE, BLUE PHOENIX, ATOMIC SKULL 666

         Death Tango avançait dans la forêt avec son arme, silencieux. Il faisait froid. La neige avait en grande partie fondu mais une couche de gel avait recouvert ce qui restait. Dans sa tenue militaire noire, Death Tango faisait partie des ombres. Ses lunettes infra-rouge lui donnaient un air de cyborg. Il fit signe de la main le bras levé et d’autres ombres sortirent de leurs cachettes pour le rejoindre. Angry Eagle, Blue Phœnix, Atomic Skull 666 avaient tartinés leurs visages de cire noire et verte. Une chouette effraie s’envola en hurlant et pas un seul de ces hommes surentraînés ne fit un geste.
         - Death Tango à Cherry Charlie, position établie, commençons chasse à l’animal sauvage, terminé dit Death Tango dans l’oreillette qu’il portait.
         Angry Eagle avait manifestement un problème. Quelque chose le faisait boiter.
         - Eagle qu’est-ce que tu as ? demanda Tango dans son oreillette.
         - Rien chef, rien.
         - Tu boites, je t’ai vu regarder tes bottes, les secouer, comme si tu avais un problème.
         - Ce n’est rien Chef, je confirme.
         - Il a un caillou dans sa botte balança Atomic Skull 666 en ricanant. Ce dernier avait choisi ce nom à cause du crâne sardonique qu’il avait tagué sur son casque, avec le drapeau américain sur le front. 666 avait été rajouté à son nom de code car il était fan de métal satanique.
         Death Tango s’approcha des bottes d’Angry Eagle, regarda les semelles. La semelle de la botte droite était percée.
         - Comment t’as fait ça ?
         - Je ne sais pas Chef. Elles étaient impeccables il y a quelques heures à peine.
         Death Tango sorti un ruban adhésif noir de son sac. Il recouvrit le trou dans la semelle de la botte d’Eagle et entoura son pied de plusieurs tours très rapides de cet adhésif noir.
         Blue Phœnix avançait seul devant au même moment, intrigué par des bruits de ce qui lui semblait être un renard. Quand des mains agrippèrent violemment sa tête. Faisant face à Leonard, il n’eût pas le temps de bouger un seul membre ni de se plaindre. Les mains de Leonard prirent littéralement feu devant le militaire effaré, et ce feu,  Leonard le lui transmit. La tête de Blue Phœnix s’enflamma instantanément. Seulement sa tête. Les autres derrières virent à quelques mètres dans la nuit une boule de feu et comprirent qu’il s’agissait de leur coéquipier. Lorsqu’ils accoururent pour le secourir, c’était déjà trop tard. Sa tête carbonisée brûlait encore. Il n’y avait qu’une légère odeur de soufre. Il était tombé à genoux, les mains ouvertes sur ses cuisses. Son arme tombée à côté de lui.


ADAM

         Le lendemain de la visite à la ferme de Sam Winter, Adam dans sa chambre, en colère, écoutait religieusement les conversations de Lucie McRay au téléphone. Rien n’avait été trouvé à la ferme, visitée de nuit, de fond en comble. Pas même Winter et sa fille, qui s’étaient comme évaporés depuis quelques jours. Adam savait qu’ils étaient toujours à Elegantville, mais ne savait pas où, et chez qui ils se cachaient. De même, il était persuadé qu’ils étaient au courant de leur arrivée à leur ferme, et que c’était donc pour cela qu’ils avaient préféré s’éclipser quelques jours avant. Peut-être que cette infirmière qu’il avait croisé chez Lucie une fois ou deux et qui s’occupaient de la fille de Winter l’avait prévenu…
         En colère, il se leva de la chaise de son bureau, enfila son manteau, ses potes et son bonnet noir, vérifia ses deux armes qu’il portait constamment sur lui, puis ouvrit la porte, quand un son étrange, provenant de la chambre de Lucie, attira son attention. La vieille femme jouait de la harpe. Simplement, elle en jouait quasi parfaitement. Ce n’était pas dans son habitude. Adam sentit en lui la colère monter de plus en plus. Il grimpa  les escaliers en quatrième vitesse pour se rendre à l’étage, coller son oreille à la porte du petit appartement aménagé de Lucie. Lucie qui jouait parfaitement de son instrument. Sans temps morts, sans hésitations, sans faux mouvements. Adam défonça la porte, en sueurs. Lucie sursauta en étouffant un petit cri. Elle se leva et vit Adam Kadmon chez elle, en nage, et pendant un instant suspendu, irréel, ils se regardèrent sans sortir un mot. Puis il avança vers elle, menaçant.
         - Vous l’avez vue n’est-ce pas ?
         A chaque pas qu’il faisait, la vieille femme reculait, de plus en plus effrayée.
         - De quoi… Vous voulez me parler M. Kadmon ? Je ne comprends pas…
         - Ne faites pas l’innocente Lucie, vous l’avez vue ? Dites-moi où elle se trouve ? Elle est avec Sam Winter ? Dites-le moi.
         - M. Kadmon je vous en prie vous me faites peur… Arrêtez…
         - A combien de gens l’a-t-il montrée ? A combien de personnes s’est-elle dévoilée ? Combien d’habitants d’Elegantville ont-ils changé à son contact ?
         Lucie s’assit à son boudoir pour pleurer, terrifiée.
         Adam sortit son silencieux et son arme. Devant les yeux de la vieille femme, il vissait rapidement le silencieux, tout en la fixant du regard.
         - Inutile de pleurer comme une petite fille, de toute façon vous allez mourir dans quelques instants dit-il. Allégez votre conscience pendant qu’il en est encore temps Lucie. Vos origines françaises ne vous sauveront pas cette fois.
         Lucie essuya ses larmes avec ses paumes.
         - Vous l’avez vue aussi ? Demanda-t-elle en levant des yeux rouges implorants à Kadmon.
         Adam s’accroupit en face d’elle et lui sourit.
         - Oui il y a fort longtemps. Mais quelle forme avait-elle pour vous ?
         - Je peux m’allonger sur mon lit maintenant ? Dit-elle abruptement, marquant ainsi son refus de répondre à sa question.
         Adam accepta. Juste avant de s’allonger sur son lit, elle enfila un gilet pourpre, se recoiffa un peu, et arrêta son horloge et son réveil sur sa table de chevet puis s’allongea. Adam visa son front.
         - Vous ne souffrirez pas dit-il froidement.
         Il tira immédiatement sur ses paroles, puis se retourna, dévissant le silencieux de son arme de manière méthodique, en ressentant sa colère apaisée alors qu’il quittait l’appartement de Lucie à la hâte, laissant derrière le cadavre de la vieille femme encore chaud.

IXXI09021990

         (…) L’histoire, de fait, nous donne une liste impressionnante et non exhaustive d’incidents assurément qualifiables de bizarres et hors-normes, tous s’étant déroulés à Elegantville ou dans ses alentours :
         - Le 9 août 1899, après un orage particulièrement violent et abondant en éclairs pendant une « sombre » matinée selon les déclarations des témoins, des plumes blanches et argentées d’oiseaux inconnus pleuvent sur la moitié d’Elegantville pendant plus d’une heure, à tel point que la population sort dans les rues pour admirer le spectacle et ramasser les plumes par terre.
         - Le 21 juin 1917, un fermier voit une de ses brebis mourir en mettant bas à une créature difforme, à deux têtes et deux pattes arrière énormes, aux membres avant atrophiés. Les deux têtes, celles de deux petits agneaux normaux, étaient parfaitement développées. La créature était à moitié en vie à sa naissance, aussi le fermier, épouvanté par la chose, a décidé de l’abattre immédiatement.
         - Le 14 janvier 1921, une femme égorge ses trois filles puis tente de se donner la mort de la même façon. Sur son lit d’hôpital, agonisante, elle écrira qu’un démon s’était emparé de son corps afin de commettre ce crime.
         - Le 5 mars de la même année, une femme accouche de deux sœurs siamoises par le bassin.
         - Le 17 septembre 1928, un fermier retrouve sept de ses vaches décapitées dans le pré où il les avait emmenées paître. Il a avoué s’être assoupi un quart d’heure tout au plus et n’a absolument rien entendu de particulier ce jour-là. Les têtes n’ont jamais été retrouvées. Les incisions, selon le vétérinaire local, étaient remarquables de précision et de finesse.
         - Le 2 août 1929, une pluie de grenouilles sur Elegantville effraie ses habitants. Une pluie accompagnée d’un immense arc-en-ciel visible pendant une bonne partie de la journée d’après les témoins.
         - Le 6 mai 1935, découverte non loin de la mine, le cadavre d’une créature ressemblant à une chauve-souris géante, de la taille d’un grand rapace.
         - Le 18 juillet de la même année, un homme prétend avoir vu une créature humanoïde géante recouverte de poils noirs dans la forêt. « Ses yeux étaient incandescents comme des braises dans une cheminée » dixit le témoin.
         - Le 4 août de la même année, le cadavre d’un ours est retrouvé éventré et vidé de ses organes internes. A la place, le corps de l’animal a été « rempli » avec toutes sortes d’herbes, de feuillages et de fleurs fanées.
         - Le 20 août de la même année, Christine Watkins, 5 ans, disparaît lors d’une promenade familiale. Elle et sa famille traversaient juste Elegantville pour la journée. La petite ne fût jamais retrouvée et l’on pense même les années suivantes qu’elle ait pu se noyer dans l’étang de la ferme de Jones. L’étang fut dragué, sans résultats.
         - Le 21 décembre 1937, une neige rouge tombe pendant deux heures sur Elegantville. Des analyses démontreront qu’il s’agit de neige imbibée de sang, à priori humain.
         - Le 15 février 1943, une météorite s’écrase dans le parking du ElegantMotel tout juste ouvert. Des témoins accourent pour regarder la pierre, mais ne voient qu’un résidu organique étrange et brunâtre qui s’évapore rapidement. Une forte odeur de soufre incommodante, et « qui pique les yeux » est relevée par les témoins.
         - Le 8 avril 1951, un chat étrange est découvert dans les poubelles du Joe’s Bar. Il possède des excroissances sur le dos, qui ressemblent à des ailes lorsqu’on les déplie, bien qu’il s’agisse en réalité de pattes supplémentaires difformes. L’animal est massacré à coups de pierre.
         - Le 31 octobre 1957, Jones tue sa femme et ses deux filles, avec son fusil, en visant systématiquement la tête. Jones choisit la pendaison juste après pour lui-même. Quelques temps avant la tuerie, sa femme avait raconté à une amie à quel point elle avait peur de son mari depuis que ce dernier sortait tous les soirs avec un homme habillé tout en noir. Elle n’avait jamais réussi à voir son visage mais il portait toujours un vieux chapeau melon, démodé. Elle avait retrouvé son mari régulièrement se parlant à lui-même dans la cuisine, dans le noir, alors que tout le monde dans la maison dormait.
         - Le 18 octobre 1961, deux amies en voiture voient dans le ciel, au-dessus de la forêt, un énorme objet triangulaire sombre, plus grand qu’un Boeing 737 en position stationnaire. La nuit était éclairée, elles ont parfaitement distingué les contours noirs de la chose, qui d’après elle, semblait être une « machine ». Sa texture évoquait celle du cuir. Terrifiées, elles ne sont pas restées à observer l’objet et voir ce qu’il allait éventuellement accomplir comme manœuvre.
         - Le 20 octobre, les deux femmes, ayant décidé de ne pas en parler à qui que ce soit, ont eu la surprise de recevoir les visites chacune respectivement d’agents (deux pour la conductrice, trois pour son amie, la plus téméraire, qui voulait rester plus longtemps à observer le triangle) se réclamants d’agences gouvernementales et souhaitant évoquer leur petite aventure nocturne de deux nuits en arrière avec un objet triangulaire en position stationnaire au-dessus d’une forêt. Les deux femmes ne se souviennent que de la teneur absurde des questions, et non des questions elles-mêmes. Sauf une seule : « Aimeriez-vous être enterrée à Elegantville lorsque votre heure sera venue et si oui dans quel type de cercueil ? »
         -Après l’incendie du ElegantMotel le 14 décembre 1966, Dennis Martin, 11 ans, disparu du jour au lendemain sans laisser de traces. Des fouilles furent effectuées jusque dans les mines désaffectées, mais aucune trace du garçon, qui s’était couché un soir dans sa chambre entouré de ses parents pour… s’envoler dans les airs au petit matin lorsqu’ils étaient venus le réveiller. Sans explications à ce jour. Dans les mines désaffectées, le squelette d’une femme fût mis à jour lors des fouilles concernant le petit Martin.

SAM WINTER & ADAM KADMON

         Sam entra dans le Joe’s Bar, tenu par John, le fils de Joe, qui était mort dans son jacuzzi d’une crise cardiaque à sa toute première utilisation, il venait de le faire installer. John nettoyait le comptoir et vidait les cendriers. Leonard buvait une bière, assit à une table, fixant une photo de Charlie Chaplin accrochée sur le mur. Ce qui était tout à fait inhabituel. Leonard ne buvait qu’au comptoir justement, jamais attablé. Sam alla s’asseoir à côté de lui et vit qu’il était bouleversé. Jennifer entra à son tour une minute plus tard et alla les rejoindre. De l’autre côté du bar se trouvaient Adam Kadmon & Bob, qui lisaient des manuscrits. Adam avait remarqué le petit manège de Sam et ses amis à la table à quelques mètres de la sienne. Il savait qu’il devait y aller frontalement.
         Jennifer se mit à pleurer en entendant ce que Leonard avait à dire sur Lucie. Lorsqu’elle vit du coin de l’œil que Kadmon s’était levé tranquillement, et qu’il s’approchait de leur table, elle essuya très rapidement ses larmes. Adam, tout sourire, salua la tablée.
         - Monsieur Winter est-ce que je peux vous parler en privé ?
         Leonard serrait les poings pour empêcher que des étincelles ou des flammes ne jaillissent de ses paumes. Jennifer n’avait pas relevé la tête pour regarder Adam. Tout ce qu’elle entendait dans sa tête c’était « je vais tous vous tuer, tous, jusqu’au dernier », elle semblait sur le point de craquer nerveusement.
         Sam sans rien dire se leva et il suivit Kadmon à l’extérieur du bar.
         - Alors, vous avez bientôt fini votre livre demanda Sam en regardant La Grande Ourse dans le ciel noir.
         - Non, vous me décevez, vraiment. Vous n’allez pas prétendre encore que vous ne savez pas qui je suis. Vous n’avez pas disparu pour rien ces derniers temps. Je me demande quelle petite merveille vous a mis la puce à l’oreille. Elle arrive à prévoir certaines choses, c’est bien ça ? Donc elle réarrange au fur et à mesure. C’est le cadeau que la bête lui a fait ?
         Sam face à Adam resta le plus impassible possible. Adam se rapprocha de son visage. Il sortit un bouton métallique de sa poche.
         - Où est-elle ?
         - Qui ?
         - La bête que vous cachez. Celle qui est venue à vous il y a quelques mois lors de cette nuit d’orage. Dans l’électricité.
         - Je ne vois pas de quoi vous voulez parler… Vous me parlez de votre histoire ? De votre roman ?
         - Je vous donne une dernière chance, Sam. Parce que je n’ai rien de personnel contre vous. Mais si vous voulez que ça devienne personnel, alors ça va le devenir, dans la journée qui vient.
         Le cœur de Sam semblait avoir remonté dans sa gorge. Il avait de plus en plus de mal de cacher sa peur.
         Il vit Adam faire léviter le bouton métallique à quelques centimètres au-dessus de sa paume.
         - Moi aussi je l’ai rencontrée il y a longtemps. Elle m’a laissée ce cadeau autrefois. Il m’est resté. Le bouton métallique retomba.
         Adam mis sa main droite sur l’épaule de Sam, qui laissa couler ses larmes, ne pouvant plus se retenir.
         - Livrez-moi la bête maintenant, je la prends avec moi et vous pouvez retourner à votre vie d’avant. Votre vie réelle, votre vie normale. Je vous le promets, c’est une promesse solennelle que je vous fais. Vous ne devez rien à cette bête. Elle n’est pas de notre monde Sam. Elle n’est pas des nôtres. C’est la vérité et vous le savez. Vous n’avez pas à la protéger simplement parce qu’elle vous a mis cette idée en tête. Je sais qu’elle vous donne un sens, qu’elle donne un sens à ce qui est arrivé à votre fille, cet accident terrible. Mais elle est dangereuse, dangereuse pour notre monde, pour sa stabilité, son harmonie. Regardez ce qu’elle a fait à votre Leonard, et ce qu’il a fait à l’un de mes hommes hier soir. Il lui a brûlé la tête. Il l’a tué. C’était un père, tout comme vous.
         - Non dit Sam. Je ne vous crois pas. NON !
         - NON ? Alors tu me dis non en pleurant comme une merde devant moi Sam Winter ?
         - Vous avez tué Lucie !
         - Ecoute Sam Winter, écoute-moi bien attentivement. Tu viens de passer ta putain de chance. Ton putain de rêve que je t’offrais, retourner à ta vie normale. Normale. Tu imprimes à présent ? Mais là, je ne vais pas seulement décapiter et couper les mains de Leonard, égorger ta petite infirmière après avoir laissé mes hommes s’amuser avec, ni même tuer de mes mains nues ta gamine, je vais détruire Elegantville, tout cette petite ville qui a perdu depuis longtemps tout ce qui était certainement élégant chez elle avant et qui a poussé de braves esprits à lui donner ce nom. Et tu sais quoi Sam Winter, le pire c’est que personne ne saura, à part toi, parce que toi je te laisserai en vie,  que cette petite ville tranquille a été rasée par ta faute. TA FAUTE SAM WINTER.
         Adam Kadmon rentra à l’intérieur du bar après avoir frappé du bout de son index Sam au cœur.
         Lorsque Sam y retourna, le suivant, ni Kadmon et Bob, ni Leonard et Jennifer ne se trouvaient plus là. Sam demanda à John qui nettoyait encore le comptoir, et qui vidait encore les cendriers où ils étaient allés.
         - Oh, Jennifer est sortie par la porte de derrière à sa demande, le type qui était là à lire des papiers l’a suivie sans me demander mon avis, Leonard est allé à sa poursuite à son tour. Et quand l’écrivain est rentré, il est parti à la poursuite de Leonard. Mon comptoir est bien propre et mes cendriers sont vidés, je vais pouvoir fermer dans quinze minutes, enfin.

ELEGANTVILLE

         Cachés dans la ferme abandonnée de Jones, Sam retrouva sa fille, qui dormait emmitouflée dans plusieurs couvertures. Il faisait très froid ici. D’après Leonard, l’endroit était idéal  pour se mettre à l’abri. Aymi l’avait choisi mais Sam était bien obligé de reconnaître qu’il ne savait pas pourquoi et après l’affrontement verbal au Joe’s Bar, il ne savait plus trop quoi penser. Il avait autant froid que peur, les deux se mélangeaient étrangement, et ce n’était pas le froid le plus désagréable. Au pied du lit poussiéreux dans lequel dormait sa fille,
Sam s’endormit, dans mille pensées confuses et contradictoires, en essayant de se donner un peu de chaleur en croisant les bras. Comme s’il se réconfortait lui-même.
        
         Lorsqu’il se réveilla, Aymi était debout avec Leonard. Une quinzaine de fermiers armés qu’il avait réussi à convaincre de venir pour protéger Sam, Aymi et leur secret étaient également présents. Voir le visage de Leonard fit chaud au cœur de Sam Winter.
         - Tu as pu trouver Jennifer ?
         - Non, dit Leonard. Elle a dû quitter Elegantville je pense. L’autre était à ses trousses.
         - C’était la meilleure chose à faire. J’espère qu’elle va bien. Je sais qu’elle sait se débrouiller.
         Des voitures militaires et des camionnettes noires déboulèrent de l’autre côté de l’étang, en face de la ferme fantôme. Sam les vit par la fenêtre brisée.
         - Quoiqu’il arrive, restez derrière moi dit-il à Leonard et ses compagnons.

         Ils sortirent et Sam dit à Aymi de bien rester derrière lui. Elle s’accrocha à sa main et se cacha à moitié le visage pour regarder Kadmon et ses hommes sortir de la camionnette. Adam, avec son porte-voix, fit une demande :
         - Sam Winter, je vous donne une ultime chance. Donnez-moi la bête maintenant et je vous épargne tous.
Votre fille n’a pas à mourir aujourd’hui Sam.
         Sam regarda Aymi qui lui fit non de la tête. Il caressa son front qui n’avait plus de cicatrice.
         C’est alors que Death Tango sortit d’une des camionnettes noires semblables à celles que possédaient les nettoyeurs de moquette. Il tenait Jennifer par la nuque, devant les yeux effarés de Sam, Aymi et Leonard. Les amis de ce dernier reculaient de plus en plus, effrayés par l’armement déployés en face d’eux.
         Death Tango, de l’autre côté de l’étang gelé, força l’infirmière à s’agenouiller.
         - C’est vous qui décidez Sam. Quinze secondes.
         Jennifer avait les mains dans le dos et était bâillonnée, elle ne pouvait pas parler. Elle pleurait et voyait Sam cacher Aymi derrière lui.

         A la dixième seconde, alors que Sam allait dire quelque chose, Adam, excédé, jeta le porte-voix par terre et tira dans la tête de Jennifer avec le fusil à pompe de Death Tango qui prit beaucoup de plaisir à voir la jeune femme mourir grâce à son arme. Son sang éclaboussa presque tout le monde, Bob y compris, qui parut dégoûté. De l’autre côté de l’étang, tout le monde frémit d’horreur et le sang de Sam ne fit qu’un tour. Aymi cacha son visage dans la manche de son père en pleurant. Tout le monde l’avait vue, un morceau de son visage éclater dans une bouillie rouge, elle s’était écroulée comme projetée violemment en avant, du sang coulant abondamment de son visage décomposé, en morceaux, et de sa tête à laquelle il manquait une grosse partie à présent. Sam serra sa fille de plus en plus fort contre lui.
         Atomic Skull 666 ramena un bidon d’essence et aspergea le corps chaud de Jennifer. Puis il sortit de sa poche une allumette qu’il gratta sur son ceinturon. Le corps s’enflamma rapidement.
         Adam ramassa le porte-voix et cria :
         - ELLE EST MORTE ET C’EST DE VOTRE FAUTE SAM WINTER !!!

         Deux hélicoptères noirs silencieux survolèrent la ferme et les fermiers apeurés, pris sur le fait, déguerpirent. L’un des hélicoptères commença à tirer jusqu’à exploser une grosse portion du toit pourri de la ferme du vieux Jones. Sam avait porté Aymi pour la rapprocher de l’étang gelé, en courant rapidement. Des portions de bois pourris s’envolèrent dans tous les sens, littéralement déchiquetés par les balles et un énorme morceau de poutre traversa le corps de Leonard qui n’avait pas bougé à l’arrivée des hélicoptères. Le morceau se planta dans le sol si bien que Leonard était empalé au thorax, et tenait toujours debout, penché. Ses mains s’enflammèrent une dernière fois, tandis qu’il voyait par terre, un morceau de son cœur et une partie de ses poumons, qui avaient dégouliné sur le morceau de bois qui remplissait à présent toute sa cavité thoracique.

         C’est alors que des arcs électriques s’échappèrent du sol. Là où se trouvait le bunker. Adam sourit avec malice.
         - Le voilà… c’est ça, montre-toi, montre un peu comme tu es beau, même quand tu es blessé.
         Les arcs électriques s’agrandissaient, formant de petits tourbillons à la surface du sol. Sam poussa Aymi sur la glace et la rejoignit rapidement, le sol s’électrisant. Mais ce n’était pas une charge électrique normale. La porte du bunker s’envola, projetée par une force à l’intérieur du bunker, et alla s’encastrer dans l’avant d’un des hélicoptères qui explosa sur le choc et s’écrasa dans ce qui restait de la vieille ferme abandonnée. La carcasse métallique, au cœur de la ferme au bois pourri, était toujours en flammes alors que du ciel commençait à tomber une fine pluie qui allait peut-être apaiser les esprits et leur soif de violence. Le second hélico décrocha rapidement pour quitter la zone et ainsi échapper à cette électricité inhabituelle. Un jet de lumière grandiose jaillit du bunker et se transforma en boule d’énergie prodigieuse sur le sol. Une forme commença à apparaître. Boitant quelque peu, à genoux sur les pattes avant, la bête se releva immédiatement.

         Le Pégase déploya ses ailes majestueuses et commença à les battre pour préparer sa fuite. Ses yeux étaient comme en feux.

         Adam en avait les larmes aux yeux. Bob, incrédule, prenait les photos et filmait la scène, de manière étonnamment froide. Death Tango dit à ses hommes de retourner dans les camionnettes noires, ce qu’ils firent sans prendre part à l’observation merveilleuse.
         L’hélicoptère restant revint à la charge, déboula alors au-dessus du Pégase avec vélocité et tira un filet énorme sur la créature qui s’envola au même moment mais ne put l’éviter. Elle tomba, prisonnière, sur l’étang gelé. La glace se fendit. Sam courut vers la créature, poussé par son instinct. Le Pégase dans le filet menaçait de se noyer, si une telle chose pouvait se produire. Ses yeux de lumière virent Sam arriver et tenter d’enlever ce filet qui lui coupèrent les paumes des mains. Mais à la seconde tentative, armé d’une volonté et d’une force qu’il ne se connaissait pas, Sam déchira ce filet métallique dans un cri effroyable, au prix d’un effort surhumain. La créature fantastique put s’envoler et s’enfuir rapidement dans le ciel, comme si elle n’avait été qu’une hallucination collective en somme. Son souvenir déjà, prêtait au doute et à la confusion. Sauf pour Adam Kadmon, qui fou de rage, avança vers Sam et Aymi sur la glace instable et qui se fissurait de toutes parts.
         Sam qui s’apprêtait à retrouver sa fille, retournée sur le rebord, s’enfonça dans la glace. Un morceau coupant se planta dans son estomac alors qu’il s’enfonçait dans l’eau glacée. Son sternum empêcha qu’il s’enfonce davantage. Il cracha du sang en quantité et la douleur fût terrible. Adam marchait d’un pas calme en voyant Sam en train de se vider de son sang et de ses intestins dans l’eau si froide de l’étang. Aymi rampa jusqu’à son père en larmes. Le cadavre du cygne fût libéré et s’enfonça dans l’eau en tournoyant sur lui-même. Peut-être un poisson difforme, tout au fond de l’eau, là où il faisait sombre, allait s’en emparer.
         Sur la portion de glace qui tenait, Aymi pris le visage de son père ensanglanté dans ses mains. Le froid lui plantait son intérieur comme de petites lames de rasoir, toujours plus incisives. Sam recracha un peu de sang sur le visage de sa fille.
         - Je suis désolé, dit-il d’une voix très faible. Papa t’aime très fort. Très fort.
         Aymi, qui n’avait pas retrouvé sa voix, poussa un cri muet quand elle vit son père perdre son souffle et ses pupilles se dilater complètement, en un claquement de doigts devant ses yeux. Sous la glace, elle vit ses viscères qui flottaient délicatement dans l’eau, comme l’avait fait avant le cou brisé du cygne mort. On aurait dit des vipères majestueuses.
         Elle déposa un ultime baiser sur les lèvres ensanglantées de son père pour lui dire au revoir. Et peut-être aussi, pouvoir encore sentir son odeur une dernière fois. Mais ce n’était que celle de son sang, aride, qui envahissait ses narines et son esprit.
         Adam l’attrapa violemment par le col de son épais manteau et la tira sur les berges. Elle tenta de se débattre mais il lui mit une gifle. Le corps de Sam ne bougeait plus à présent. Toujours empalé dans le morceau de glace, éventré, la tête baissée. Il était devenu rapidement bleu à cause du froid. Aymi dans la neige, la glace, la boue et le sang, en larmes, le visage éclaboussé de l’hémoglobine de son père vit Adam Kadmon s’assoir sur le sol, face au cadavre de celui-ci, barbotant dans l’eau à partir de la taille. Adam le regardait, tout en pleurant doucement, tout doucement. Parfois en essuyant ses yeux avec ses doigts. Puis reprenait ses sanglots silencieux, comme s’il pleurait autant pour Sam que pour lui-même.


10 ANS PLUS TARD

         Aymi sortait du magnifique chemin de croix en compagnie du Pasteur. Ils avaient les bras chargés chacun d’un cageot rempli de petits pots de géraniums. Ils croisèrent une femme noire, sans-abri, qui avait des difficultés pour faire avancer son caddy. C’était parce que quelque chose bloquait une roue. Un morceau de sac poubelle. Le Pasteur qui accompagnait la très jeune femme posa le cageot sur le sol, et d’un coup de main sec, enleva le morceau de sac poubelle qui empêchait le caddy de rouler en ligne droite. La clocharde lui sourit tendrement, en dévoilant toutes ses dents pourries, et lui dit merci. Elle reprit sa route, le dos courbé, mais avec la roue de son caddy réparée. Elle ne peinait plus à le pousser désormais. C’est là qu’Aymi vit dans la rue, appuyé sur une cadillac noire, un homme habillé dans un costume bleu foncé. Malgré ses rides et ses tempes grises, elle le reconnu tout de suite. C’était Adam Kadmon.
         Elle dit au Pasteur qu’elle en avait pour une minute, posa le cageot de petits pots de géraniums par terre et s’approcha d’Adam.
         - Bonjour Aymi. Comment vas-tu ?
         - Bonjour M. Kadmon. Je vais bien. Cela fait longtemps.
         - Oui, combien de temps depuis la dernière fois ?
         - Trois ans, onze mois et quatre jours dit Aymi.
         - Tu étais là quand les tours sont tombées ? demanda Adam, curieux.
         - Oui mais j’ai vu tout ça à la télévision.
         - Tu savais où il ne fallait pas se trouver ce jour-là dit-il en souriant. Est-ce que tu sais ce que le site va devenir dans le futur ?
         - Il y a plusieurs possibilités dit-elle. Vous le savez. Je pense qu’ils referont les tours.
         - A l’identique ?
         - Non, dit Aymi. Je vois un autre type d’architecture à la place. Et un mémorial. Ils font toujours un mémorial. Un peu comme le superbe mausolée que vous avez fait faire pour mon père à Elegantville. Avec ce pégase taillé dans la pierre. Vous n’étiez pas obligé… Mais pour les tours ici, cela mettra du temps à se reconstruire, une bonne quinzaine d’années pour que tout soit terminé.
         Adam baissa les yeux. Aymi se rendit compte de ce qu’elle avait provoqué en lui.
         - Je ne voulais pas vous rendre mal à l’aise en évoquant mon père et le Pégase dit Aymi. Tout ça c’est du passé M. Kadmon. N’est-ce pas ?
         - Je me demande encore, sa force… ce jour-là pour briser le filet à mains nues…
         - Elle ne venait pas du Pégase comme mon don ou le vôtre, ou celui de Leonard viennent de lui, M. Kadmon lui assura Aymi en souriant. Sa force, elle est venue de lui-même. Le Pégase ne lui a jamais transmis de don. Dans le cœur de mon père, il n’y avait rien que de la tristesse, de la culpabilité, et de la force. Le Pégase n’était pas intéressé par ces choses.

         Les yeux d’Adam se remplirent de larmes qu’il réussit à contenir. Aymi en fût profondément touchée. Alors, sans rien ajouter de plus, elle lui fit une bise tendre et réconfortante sur la joue droite, et s’en retourna ramasser son cageot rempli de petits pots de géraniums.


FIN


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