lundi 14 mai 2012

Sans Amour et sans M [Vinze]


La clairière s’enfiévrait de teintes ocre et or. Les poissons éclairs zozotaient sur leurs perchoirs, entourés des larges feuilles bileuses des conifères. Le sentier qui la traversait de part en part réfractait une chaleur vivifiante telle un soleil éteint. Julie galopait, exhalant le feu qui calcinait ses bronches à grands renforts de soupirs désespérés. Il se savait pourchassé par une force insondable sans en appréhender la nature intrinsèque. La ville était à portée de nez, avec ses relents de clarté, paysage vierge au centre de la désolation, terre feutrée et sauvage d'un futur déjà révolu.
Julie était nu sous ses habits qui raclaient sa peau tels des oripeaux iridescents sur un noble ver de terre. Il n'avait de cesse de fuir vers la cité, tentative futile s'il en est, persuadé d'un hypothétique asile. Pourtant les ducs n'accordent leur refuge spirituel qu'aux vaillants de cœur et d'esprit. Julie, individu dépourvu de passé et de futur, n'avait rien de tout cela à offrir pour la sauvegarde de son présent. Il errait à vive allure dans les rues de sang et de cendre, fouetté de toutes parts par les branches des constructions, acte qui paraissait le cibler de sang-froid. Absurde, les bâtisses ne possédaient aucune volonté, ces agressions ne pouvaient être à dessein. Après tout, ces foyers bien que vivants n'avaient pas une trace d'intelligence et en aucun cas la capacité d'initiative que cela supposait, de grands buildings en aurait à la rigueur été capables, cependant l'étroite ville qu'il parcourait en était dépourvue.
C'est au détour d'une ruelle éclairée telle une scène d'opéra qu'il se trouva face à face avec Koala. Sans conteste la plus belle fille de ce côté de l'océan. Ses yeux d'une opalescence cristalline reflétaient les éclairs de cette soirée d'orage, dans une danse d'électricité iridescente. Elle avait la grâce d'un cheval au galop. Ce qui ne voulait pas dire qu'elle avait la capacité de déféquer tout en avançant à quatre pattes. Hors de lui après cette folle cavalcade il se surprit à la dévisager, transi d'incrédulité d'une telle rencontre fortuite, et déposa un baiser sur sa joue. D'un coup soudain, dans l'incongruité de la situation, toute la confusion parut s'intervertir. Et Julie put reprendre sa course poursuite le sourire aux lèvres, laissant Koala interdite au bord de la route, portant ses doigts au rouge à lèvre fuchsia qu'il venait d'y déposer.


Je chevauche avec prestance une licorne boiteuse, seul véhicule à disposition pour une évasion réussie. L'esprit dans le vague, je vole pour ainsi dire, la ville laissée par derrière le dos. C'est l'esprit dissocié de son propre corps que l'on n'en oubli pas de négliger une absente conscience ; cette vertu associative qui ne diffracte en rien l'espoir d'une probité totale et absolue. Affabulé-je ? Cela va sans dire. Avec, cependant, une régularité qui fait vaciller les fondations d'une volonté déjà peu indulgente.
La licorne avale la distance tel Tyson les oreilles. D'une course irrégulière certes, de par sa condition. Pourtant rien ne l'arrête, ni les secousses de la terre tout juste labourée, ni l'intolérance de l'herbe grasse et des éteules, ni les rayons de la lune. La lune qui trône tel un solitaire au zénith, irradiant sa lueur rosée à travers les ténèbres d'une nuit peu ensoleillée.
C'est le cœur débordant d'allégresse, et les bronches exhalant d'ardeur, que je fais ainsi face au destin, laissant de côté cette licorne, acolyte provisoire dont je n'étais pas digne. Du bord de cette falaise saillant par-delà ledit destin, je ne requière plus aucune aide. Pas de besoin ardent de chipolata ou de glace à la banane ; juste un être vide face à un vaste océan. La fatuité, bien que traîtresse, est guide en ces terres.
N'avons-nous pas la prétention de la vacuité ? Cette tendance vaine à l'auto-dérision qui nous pousse à avancer sans nous retourner. Pourquoi se retourner d'ailleurs ? Pour considérer la vie sous un angle différent, un angle obtus. La rectitude n'est pas dans l'hésitation, elle se trouve dans la verticalité de la pensée. Un point de vue orthogonal dont le seul désir est d'aspirer à plus de philanthropie. Une nécessité causale sans entropie. Car s'abstenir de céder à la phobie est une priorité pour tenir sur la droite ligne de l'esprit supérieur.

L'angoissant présage était toujours aux trousses de Julie, à présent acculé entre la terre et le ciel. Le précipice s'étendait face à lui. Il n'avait d'autre choix que d'aller de l'avant. L'instant décisif était aussi inéluctable qu'une pluie fine heurtant avec fracas les tuiles d'une toiture de brique. Il lui fallait prendre une décision, avant qu'un écueil hasardeux ne s'en charge à sa place.
Rien ne pourrait l'y aider. Il ne possédait sur lui qu'un journal de la veille et un gode. Aucun de ces deux objets ne pouvait lui être de la plus ténue utilité. Pas face à un péril dépourvu de visage ; dépourvu de tout sauf d'intentions belliqueuses et de pâte brisée. En tout cas sans utilité à cet instant précis, il devrait les garder pour plus tard, quand la brise sera levée sur un soleil périssant.
Et la présence d'une voix supérieure se fait entendre. Déité ou pauvre narrateur de la vie en panne d'essence ? Étrange et apathique troll ayant pêché un poisson trépané pour atteindre la satiété, quitte à frôler l'indigestion. Sa patte, telle une serre aquiline, accule Julie au précipice. Nulle échappatoire ne se profile, le désespoir envahit son esprit, cancer rongeant les fondations de sa psyché. Sa volonté sapée ne se dresse plus entre lui et le précipice d'un univers en déliquescence.
Plouf !

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