Rien ne vous retient au monde. Vos bras auront beau se débattre et tenter de se raccrocher à la plus infime des branches susceptibles de s’en approcher, rien n’y fera. Oh, y’aura toujours des gens pour tenter de vous remonter le moral, voire pour tenter de vous changer les idées, mais cela ne fera qu’au mieux vous agacer car ils ne peuvent comprendre, et vous savez très bien à ce moment-là que ceux qui ont vécu la même perte et par conséquent vous comprennent ne seront pas là pour vous aider car eux savent bien que cela se révélera inutile.
Quinze
jours auparavant, sous les galeries d’arcs en ogive de la cathédrale, j’invoquais
à genoux le Seigneur qu’il abrège mes souffrances, et réclamait qu’au moins je
sache pourquoi il l’avait rappelée à Lui. En proie à une douleur insoutenable,
je n’entendis ses pas qu’au dernier instant, alors que le bas de sa robe noire
venait de cacher ma vision du chœur et celle du Christ. Il devait être arrivé
par le déambulatoire de droite. Seul dans la cathédrale depuis dix bonnes
minutes, j’avoue que n'importe qui aurait pu la traverser sans que je n’entende
ni ne voie rien, tant mes sens ne se dirigeaient que sur mon moi intérieur.
Je levai la
tête, ne comprenant pas ce que l’on pouvait bien me vouloir mais mon mouvement
s’arrêta net quand j’aperçus la main droite de l'inconnu. Elle semblait
difforme sous l’éclairage des bougies qui flamboyaient en tout coin de la
cathédrale. Il la cacha promptement derrière sa robe m’obligeant à m’interroger
sur réalité de ce que je venais de voir, et ne me laissant pas d’autre choix
que de me redresser afin de m’assurer que le reste du corps ne ressemblait en
rien à la vision succincte qui affolait alors mes sens. Mais je n’eus même pas
le loisir de poursuivre mon exploration car je fus soudain assailli de visions
plus terrifiantes les unes que les autres. Tout d'abord, seul un maelström de
couleurs se distingua au sein duquel le rouge et l’orange tenaient une place
prépondérante. Puis au fur et à mesure que ma vision se faisait plus nette, je
pus distinguer ce qui ressemblait à un gigantesque charnier, terrain d’un
massacre inhumain, où les corps, entiers ou non, se mélangeaient en formant une
créature difforme. Mais ce qui me frappa le plus fut qu’au sommet de cet amas
de chairs meurtries, se tenaient un homme que je ne mis pas longtemps à
identifier. Sa stature et sa manière de se tenir droit, fier comme jamais, m’était
évidemment familière. L’homme n’était nul autre que moi, quelques années de
plus au compteur. Tout d’abord, je ne compris pas quel rôle je pouvais tenir
dans cette hallucination ou vision, appelez cela comme vous préférez.
Mais plus
les détails se faisaient nets – mon moi vieilli devait être à une vingtaine de
mètres – plus je compris que je prenais part à toute cette souffrance devant
mes yeux. A quelque distance derrière ce moi futur volaient de nombreuses
créatures ailées croisement infâme de chauve-souris et d’être humain, dont la queue
se terminait par un dard d’une longueur prodigieuse qu'elles faisaient aller et
venir en direction des rares personnes vivantes qui couraient
désespérément pour tenter de sauver leur
vie. Tandis que mon autre moi semblait les diriger, les guider en criant dans
leur direction et en pointant du doigt vers les pauvres hères en fuite. Son
visage affichait un sourire que je ne me connaissais pas. D’un coup, la vision
stoppa, me laissant ébloui de tâches blanches comme lorsque l’on regarde trop
longuement le soleil. Mon visiteur se tenait toujours devant moi.
Et il parla : « Ce que tu viens
de voir va se produire, sois en sûr. » Et je l’étais, aucun doute là-dessus. « Ne
te méprends pas sur mes intentions. Je connais ta souffrance et je connais le
moyen de la soulager. L’homme qui t’a pris la personne que tu chéris le plus
que tout va, par un heureux hasard traverser la rue face à la cathédrale dans
quelques minutes. Ce que je t’offre, c'est un moyen de te venger, d’apaiser ce
monstre qui dévore ton âme. En échange, car forcément on n’obtient rien sans
rien, je te demande de satisfaire une de mes volontés dont je te parlerai une
fois ta vengeance achevée. Pour cela, je vais t’octroyer un pouvoir à nul autre
pareil. Libre à toi d'en faire ce que bon te semble. Sache juste que ce pouvoir
possède lui aussi une volonté propre. »
D’un coup, sans attendre ma réponse
– en avait- il besoin ? – il pointa un doigt vers ma poitrine et alors que je m’apprêtais
à lui dire de me foutre la paix avec ma peine, une douleur terrible me
transperça et mes hurlements déchirèrent le silence lugubre de la cathédrale.
Je crus entendre au loin crier ce qui semblait être une vieille dame mais mon
corps se trouvait alors soulevé du sol d’un bon mètre, aussi avais-je bien d’autres
choses en tête que la santé mentale d’une mamie hurleuse. D’un coup, tout s’arrêta
et je m’écroulai au sol. Tremblant, suffocant je me redressai péniblement sur
un coude balayant la cathédrale de mon regard, à la recherche de cet étranger
dont j’ignorais même le nom et qui venait de me faire subir ce qui ressemblait
alors à une farce terrible.
Mais,
tandis que je me dressai sur mes jambes, je sentis une onde traverser mon corps
de bas en haut et mon bras se dressa devant moi, contre ma volonté, et une
décharge électrique en surgit pulvérisant un pilier. Abasourdi, surpris de ce
bouleversement organique, je me souvins être sorti de la cathédrale avec
difficultés, en proie à une panique grandissante. Face à moi surgit l'homme
vers lequel mes pensées les plus sombres se dirigeaient. La haine m’envahit. Ce
meurtrier devait payer. Et alors que je regrettais déjà mon geste, mon doigt le
pointa et tandis que j’hurlais son nom, une onde, une décharge d’une puissance
inouïe en jaillit et frappa le responsable de ma souffrance en plein torse,
pulvérisant la moitié haute de son corps, dispersant des morceaux de chair à la
ronde. J’ignorais tout des cris et des injonctions ici et là qui provenaient
des badauds alentours. J’avais apaisé ma peine, du moins soulagé ma haine, et
je m’écroulais sur les marches de la cathédrale, indifférent au monde. C’est
alors que retentit une voix dans ma tête, celle de l'étranger de la cathédrale.
Et je sus alors ce qui m’attendait. Je ne pus rien y faire.
Depuis, j’erre souvent dans
cette cathédrale, si belle quand parfois le jour se lève, ce qui devient de
plus en plus rare. Et alors que les cris de souffrance dehors se tarissent, je
me surprends à penser de plus en plus à cet étranger et à ce que je lui ferais
si jamais il osait revenir. Car, ma souffrance, au lieu de décroître, n’avait
fait qu’amplifier et je réservais un chien de sa chienne au type responsable de
celle-ci. Qu’il soit le Diable ou non.
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