jeudi 26 juillet 2012

7 novembre 1989 [Nosfé]


La carte d'une terre inconnue. Une île au trésor, lointaine, édénique. 
Ou le stigmate d une conscience devenue trop lourde, d'un passé trop lourd, au point de marquer la peau, de manière indélébile. L'image même de cette culpabilité.
Ou un hiéroglyphe, un idéogramme, témoin d'une langue disparue...
Bordel, je délire, c'est juste une putain de marque de naissance ! 
Je décolle mon œil de la lunette, me masse les paupières. Je souffle.
Je respire un grand coup, secoue la tête à m'en faire craquer les cervicales. 
Je me remets en position. Je bloque la crosse de mon Dragounov SVD dans mon épaule, rechausse la lunette dans mon orbite. Au bout, une image se fixe dans la mire.
A 300 mètres de moi, mais semblant si proche que je pourrais le toucher, dans sa tribune officielle, le camarade Mikhaïl Gorbatchev. 
J'accroche ma mire à sa tâche de vin. Il est immobile, regarde devant lui. 
C'est le 72ème anniversaire de la Révolution Russe.
Sur la Place Rouge, c'est au tour des vieilles katiouchas, des « orgues de Staline », de défiler.
J'avais défilé, une fois, il y a longtemps. C'était sous Brejnev, Ce vieux pochtron...  
Et puis j'étais rentré au KGB. Et très vite, j'ai compris à quel point Andropov était le vrai dirigeant de l'URSS. C'est lui qui a lancé les réformes, lui qui était vraiment à l'origine de la Perestroïka. Mais avec pour but de relancer l'Union, de débarrasser le pouvoir des profiteurs, de ceux qui abusent et ont oublié l'idéal communiste.  
La Perestroïka, la Glasnost... Au yeux du monde, c'est surtout l'URSS qui avoue sa faiblesse, qui met un genou à terre.
Gorbatchev reste pour moi le second d'Andropov. Il reste pour moi, et pour beaucoup de monde à la Loubianka, un apparatchik parvenu, qui n'a jamais eu les épaules assez larges pour son rôle. Le PCUS l'avait choisi parce qu'il était jeune, mais il est trop jeune, justement, trop tendre. 
Reagan l'a bouffé, Bush le bouffe tout cru. Sous prétexte de détente diplomatique, on ne fait que courber l'échine, avec lui.
Et il crée des élections ! On sait ! On sait au KGB qu'il veut faire une réforme constitutionnelle, laisser le peuple choisir un président pour l'URSS. On sait qu'il veut réduire encore les pouvoirs, ceux du KGB, ceux de tous les services centralisés en Russie. A croire qu'il cherche à démonter l'Union soviétique, pièce après pièce ! 
Et après ? Ouvrir nos frontières ? Laisser les américains débarquer? Non! Nous somme beaucoup à t'apprécier Mikhaïl, mais tu nous conduis à notre perte. On sait ce qui se passe en Pologne, avec Solidarnosc, ce qui se passe en Allemagne de l'Est. 
« Gorbi! Hilf uns! » qu'ils lui ont crié. Aide-nous. Les aider à quoi ? A fuir ? A passer à l'Ouest ? J'ai passé suffisamment de temps en RDA ces derniers années pour savoir ce qui se passe là-bas. Si on ne leur envoie pas les chars, le mur va tomber, bientôt. Gorbi est trop tendre, il exclut toute répression armée. Mais c'est l'URSS toute entière qui est en danger.
Je bloque ma respiration. La tâche pourpre est dans ma ligne de mire. J'appuie sur la détente. Mon SVD tressaute.
Je m'appelle Vladimir Poutine, et je viens de tuer le Président du Soviet Suprême de l'URSS.

Jonas [Southeast Jones]


  

Texte retiré à la demande de l'auteur 

(en cours de réécriture)

samedi 21 juillet 2012

Le paradoxe de Manu [Evoripclaw]


          - Vous vous souvenez de Manu ?
La question puait la crainte et le dépit.
     - Manu ?
     - Ouais, Manuele, mon colocataire.
     - Ah, ouais...
Ils sont cinq, assis autour d'une table. Trois sur un divan et deux sur des fauteuils. Celui qui a répondu tient une bière, une Corona précisément.
     - Ouais, tu nous avais parlé de lui, dit soudain la seule fille présente. T'avais pas des problèmes avec lui ?
     - Ouais, genre petit gars de type hispanique, ajoute le buveur de bière. Beaucoup trop stressé aussi.
     - J't'avais conseillé d'l'envoyer chez Time Inc., non ? demande l'un des garçons, celui-ci porte un pull rouge.
     - Ouais, ouais, je l'ai fait, mais ça l'a rendu encore plus dingue.
     - Ca me semble difficile à faire, pourtant, ajoute le buveur de bière.
     - Non, je suis très sérieux. Après ça, il est devenu carrément barge.
     - Pour un mec plutôt flippant, ça m'paraît normal, dit le pull rouge.
     - Vous comprenez pas. Il s'est barré un jour. Il a dit qu'il avait une réservation chez Time Inc., que j'avais raison, que ça lui ferait sûrement du bien et le soir-même. BAM ! Le gars débarque à l'appart en pleine nuit carrément furax. Il claque la porte, gueule dans tous les sens, mais vous m'connaissez, j'me dis : laisse couler, Jules, ça sert à rien.
     - On dirait mon oncle, coupe le jeune homme à la Corona. Il avait, genre, fait ce voyage dans le passé. Pour revoir sa femme, quand elle était plus jeune, tout ça, retrouver celle qu'il avait aimée, quoi. Et là, il se rend compte que la madone se faisait déglinguer par quasiment tous les célibataires du coin quand il était au taf. Tu parles de vacances...
     - Le voyage temporel, ç'a aussi ses mauvais côtés, ajoute le pull rouge.
     - Ouais, bah, justement, reprend Jules. Je sais pas ce qu'il s'est passé pendant son foutu voyage mais le fait est que le mec est encore plus à cran.
     - Je te dis, pense à la madone.
     - Mais, merde, Ron, tu vas le laisser finir ? demande finalement la fille.
     - Oh, c'est bon, c'est bon, si on peut même plus déconner, répond le buveur de bière en levant les mains.
     - Mais, c'est pas ça, mais je trouve pas que Jules ait une tête à déconner.
         Ils se tournent tous vers la personne concernée.
     - Ouais, 'fin, bon. Le truc, c'est qu'après ce foutu voyage, notre bonhomme disparaît mais littéralement. Un matin, il me dit que je suis le meilleur coloc du monde, qu'il est fier de m'avoir rencontré et PAF ! Le soir-même, le gars disparaît. Bon, alors je me dis, c'est pas grave, Jules, laisse couler. Il est dans sa chambre, après tout. Je continue ma vie, tout ça. Et puis un jour je tilte : merde, ça doit bien faire une semaine qu'il est pas sorti de sa piaule, ce con.
     - J'en connais d'autre qui y arrivent, perso, enchaîne Ron.
     - Sauf que c'est pas son genre à notre loustic. Alors je toque à sa porte. Une fois, deux, et pas de réponse.
     - Et là, c'est le moment où moi j'me dit qu'il s'est suicidé, lance la fille.
Les quatre hommes se tournent vers elle.
     - Ben quoi ?
     - Honnêtement, honnêtement j'aurais préféré.
Ca doit être à cet instant que le malaise s'installe.
     - Ouais, vous comprenez le problème, maintenant ?
     - Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il avait fait ? demande le pull rouge.
Jules, il extirpe un bout de papier tout froissé de sa poche arrière gauche.
     - Vous voyez cette merde ?
     - Ouais, fin... C'est une lettre, quoi.
     - Il y en avait partout dans sa piaule. Et quand je dis partout, c'est partout. Littéralement, on voyait même plus le sol.
     - Et... c'est quoi ?
     - Bah, justement, je commence à gueuler et puis je me dis, vu l'état instable du mec, j'espère qu'il a pas fait une connerie. Alors j'en attrape une et...
     - Et quoi ? Vas-y raconte ?
     - C'est super utile de couper quelqu'un juste pour lui dire : raconte.
     - Ta gueule, Delphine.
     - Je t'emmerde.
     - Bon, la note, elle dit quoi ? demande finalement le pull rouge.
     - Bah, justement lisez-là.

Salut, Manu
C'est moi, ton toi du futur ou plutôt ton moi. Enfin, je sais pas comment on dit dans ce genre de cas. On sait tous les deux qu'on n’a jamais été très fort pour tout ce qui concerne les lettres et si je peux te promettre une chose, c'est que ce truc-là changera jamais.

Bon, maintenant que les présentations sont faites, je peux sans doute en venir au vif du sujet. Ce soir, à 20h44, tu vas te tuer. Nan, si, je sais, je l'ai vu et... Comment dire, Manu ? Je sais qu'elle comptait beaucoup pour toi, Evelyne mais... Mais, ça vaut pas le coup, quoi. Et puis, tu m'mets dans la merde, aussi. Comment tu veux que j'explique aux gens que je me suis suicidé le 23 Décembre 94 ? Hein, j'veux dire, je t'écris de 2016, moi, alors ça fout un peu le bordel.
Alors, j'aimerais que tu saches
La lettre s'arrêtait là, elle n'était même pas signée. Le dernier garçon, celui qui n'avait pas une seule fois ouvert la bouche depuis le début de la conversation, parla enfin :
          - Euh... Vous savez ? Je crois que son plan a foiré mais grave, quoi.

AMBRE SOLIS [Gallinacé Ardent]


AMBRE SOLIS

Je suis celle qui regarde les gens mourir.
Ils se vident de leur sang sous mes yeux, le regard stupéfait. Leur pupille se vide, s’assèche, se fige. Ils semblent tous incrédules, ils ne peuvent pas croire : je suis en train de mourir.
Je suis leur ange. Ange bien imparfait : invisible, inactif, incapable de retenir leur destin. Dans la plus complète impossibilité de les sauver. Ils meurent, parce qu’ils sont déjà morts. Ca a été écrit. Mieux : ca a été photographié.
Aujourd’hui :
C’est la fin de matinée. La lumière du matin est claire, nette, presque tranchante. Un groupe de trois enfants jouent dans un parc. Il n’y a absolument aucun son dans l’air. On dirait un film. Je suis là, je les regarde. J’attends le camion de 38 tonnes qui va surgir au moment précis où ils traverseront la route en criant, inconscients. Le conducteur prendra la fuite. Il n’y a rien à faire.
Au bout de la montée, la silhouette du véhicule est apparu. Tous les hurlements du monde n’auraient pu le faire dévier de sa route.
 (Je note sur le carnet : camion de 38 tonnes, bleu, marque Hyundai. Plaque d’immatriculation : ZX 181 7A. Nom lu sur le permis de poids lourd affiché dans l’habitacle : Gregory Lambert, 35 ans. L’homme qui a tué les trois enfants en leur roulant dessus, et qui a pris la fuite.)

vendredi 6 juillet 2012

La boucle est bouclée [Vinze]

« Vous m'avez fait appeler, professeur ?
-         Oui, Henri entre donc.
-         Je ne vous dérange pas ?
-         Bien sûr que non, je ne t'aurais pas fait appeler.
-         Oh... C'est que je vous ai entendu rire depuis le couloir.
-         Ahahaha ! Oui en effet je rigolais ; j'en rigolerais encore si tu n'étais pas là.
-         C'est que c'est plutôt inhabituel, je ne vous avais jamais entendu rire.
-   Ah mais ça mon ami, c'est parce que je n'avais pas compris la blague avant aujourd'hui.
-         La blague ?
-  Oui, une blague du destin. Pour peu que tu crois au destin. En fait, bien qu'agnostique depuis toujours, j'en viens presque à me demander si finalement il n'existe pas une force supérieure. Et si c'est le cas elle est probablement en train de rire à mes dépens. Allez, maintenant que plus rien ne presse, je peux bien prendre le temps de te la raconter ; même si tu en connais déjà probablement les principaux éléments. Mais avant de commencer, je voudrais savoir : si tu devais me décrire en quelques mots, que dirais-tu ?
-         Eh bien, je ne sais pas. Vous êtes le pionnier du voyage temporel. Vous avez été le premier à prouver la possibilité de faire voyager la matière à rebours du temps.
-         C'est ça, c'est ce qui me définit le mieux. En fait, c'est même la seule chose qui me définisse puisque j'ai sacrifié ma carrière et la majorité de ma vie à ces recherches. Pour toi, comme pour le reste du monde, cette histoire a commencé il y a de ça trente ans lors de la présentation du premier prototype. Le ministre de la recherche lui-même a rédigé une lettre devant huissier. Après avoir désintégré la lettre dans mon appareil, le même huissier a alors pu ressortir une lettre identique mais portant un scellé remontant à plus de dix ans en arrière, à la date exacte choisie par le ministre lui-même.
« Bien sûr il y a eu, et il y a toujours, de nombreux sceptiques qui m'accusent de mise en scène, de prestidigitation. Mais je me moque de convaincre la terre entière et ma démonstration a été assez convaincante pour m'assurer des financements pour les trente années qui ont passé depuis ; en ce sens, je peux m'estimer heureux ; contrairement à mes financeurs qui risquent de se sentir flouer ; mais nous y reviendrons. Il y a d'ailleurs eu de nombreuses personnes qui ont défilé pour me mettre à l'épreuve ; il n'y en a guère plus maintenant, mais il n'y a pas si longtemps que ça, la malle qui se trouve là-bas regorgeait de lettres que je ressortais régulièrement, quelques instants après les avoir envoyées.
« Donc pour en revenir à cette histoire : si elle a commencé il y a trente ans pour la majorité des gens, pour moi l'histoire est beaucoup plus ancienne ; elle remonte justement à plus d'une dizaine d'années avant cela. Tu vois cette boîte en haut de l'étagère qui ressemble exactement à ces boîtes aux lettres américaines ? Eh bien un jour, alors que j'étais encore au lycée, je l'ai retrouvée chez moi, dans ma chambre, sur le bureau. Dedans, il y avait une lettre que je m'étais adressée à moi-même, où se trouvait des détails que moi seul connaissait à l'époque – comme une preuve pour m'auto-persuader. Ces preuves étaient accompagnées d'instructions ; dans un premier temps, les instructions concernaient uniquement l'orientation à donner à mes études ; en plus, bien sûr, de l'instruction de conserver et de faire sceller par un huissier toutes les lettres reçues qui ne m'étaient pas destinées.
« Avec le recul, il est facile de dire que j'ai eu raison de suivre les instructions puisque de toute évidence elles étaient authentiques. Mais à l'époque, j'ai eu du mal à y croire, j'ai même envisagé que je perdais complètement l'esprit puisque c'était l'alternative la plus crédible ; bien plus crédible en tout cas que la vérité elle-même. Avec encore plus de recul, je me dis que finalement toutes ces tergiversations n'avaient pas de sens puisque je n'avais pas le choix : si les instructions étaient arrivées c'est que le choix avait déjà été fait, mon destin était scellé.
« Quoi qu'il en soit, je me retrouvais donc à suivre les instructions. Je poursuivis, comme indiqué, mes études en physique jusqu'à mon doctorat tout en construisant patiemment ce premier prototype ; sans comprendre toutes les subtilités de son fonctionnement. Une fois celui-ci terminé il ne me restait plus qu'à me renvoyer les instructions pour le construire dans le passé comme spécifié dans les instructions. Viennent ensuite les épisodes avec le ministre et toutes les personnes successives venues me tester.
« Vint ensuite une période creuse, une période de « vache maigre » comme on dit. Bien sûr l'étude du prototype et de la boîte aux lettres – qui n'en est pas réellement une, bien entendue ; ou pour être plus précis, qui est beaucoup plus que cela – apportèrent beaucoup à la physique, principalement dans la compréhension de la matière en observant la dématérialisation et la rematérialisation des matières inertes et le rôle que tiennent les champs magnétiques qui parcourent à la fois l'émetteur et le récepteur. Mais la branche concernant les voyages temporels, elle, ne progressa pas d'un pouce ; les champs magnétiques empêchant toujours d'envoyer quoi que ce soit de métallique ou d'organique.
-         Même si l'on n'a pas encore percé tous les mystères du voyage dans le temps, je trouve que vous minimisez tout de même l'importance de vos découvertes. Le voyage de la matière dans l'espace est, en soi, une avancée majeure qui pourra faire avancer les communications. Comme toute nouvelle technologie, le coût de production est astronomique mais dans une dizaine d'année peut-être que de tels dispositifs seront construits à la chaîne.
-         Tu as peut-être raison mais je ne vois pas l'intérêt de télé-transporter une lettre quand on peut envoyer un e-mail aussi rapidement ? Bien sûr, on pourra envoyer de petits objets, pour peu qu'ils ne soient ni métalliques, ni organiques. Comme ça votre femme pourra vous envoyer un caleçon propre sur votre lieu de travail alors que vous venez de le souiller... Mais franchement j'ai du mal à y trouver un intérêt autre que théorique.
« Quoi qu'il en soit, le sujet qui nous intéresse toi et moi, jusqu'à preuve du contraire, concerne le voyage temporel. Et là dessus, tu m'accorderas, les avancées furent inexistantes. Reprenons donc notre histoire veux-tu ? Après ce long passage creux, où la seule activité du prototype a été de me renvoyer à moi-même les instructions dans le passé, j'ai finalement reçu de nouvelles instructions. Ce sont donc ces instructions qui ont occupées tout mon temps depuis de nombreuses années. Tout cela pour arriver à ce nouveau prototype, plus grand et différent par de nombreux aspects ; mais cela tu le sais déjà puisque tu m'as aidé à le construire lors de l'année qui vient de s'écouler.
« Et c'est là qu'intervient la chute de cette blague. Car le second prototype est désormais achevé et je sais exactement à quoi il va servir. Le seul rôle de ce second prototype est d'envoyer cette fameuse boîte aux lettres sur le bureau de mes seize ans afin qu'elle puisse accueillir tous les messages expédiés lors de la trentaine d'années qui viennent de s'écouler. Bien sûr, la boîte étant composée en grande partie de métal et elle-même parcourue d'un champs électromagnétique, le second prototype sera détruit par la manœuvre. Il ne me restera donc plus qu'à renvoyer ce dernier manuel d'instructions quand il doit l'être et à exécuter la dernière de celles-ci : détruire le premier prototype.
-         Vous... vous n'allez pas faire ça ?
-         Oh bien sûr que si ! Car apparemment tu n'as pas compris la chute de l'histoire. Il n'y a plus rien à espérer des voyages dans le temps. La boucle est bouclée ! La seule morale à tirer de mon expérience est que l'homme n'est pas fait pour jouer avec l'espace-temps. Après avoir été le dindon de la farce pendant presque quarante ans, je n'hésiterais pas à détruire cette machine pour reprendre le cours de ma vie où le présent ne sera pas dicté par le futur. Ce sera la dernière instruction que je suivrai. »

jeudi 5 juillet 2012

Pow-Wow - Appendice [Nosfé]


Appendice à la nouvelle Pow-Wow
à destination des fâchés avec l'Histoire-Géo et des hermétiques à l'Art subtil de l'Uchronie.

N.B. : Lisez la nouvelle avant cet appendice, sans quoi ça spoile quelque peu.

L'idée de départ de Pow-Wow est simple : et si les États-Unis tels qu'on les connaît n'avaient pas existé ? Et s’ils ne s'étaient pas étendus au-delà des 13 colonies originelles ? Et si c'était alors les nations amérindiennes qui seraient l'Amérique du Nord ?
Et à partir de là, imaginer l'organisation, et l'appréhension qu'auraient ces nations amérindiennes du monde occidental.
Je n'ai pas trop creusé l'organisation de ces nations indiennes. Loin du cliché du tipi, la plupart des tribus sont avant tout sédentaires, et les Cheyennes, ainsi que je le soulève dans le deuxième paragraphe, étaient des cultivateurs. La nation Pawnee du narrateur vient des grandes plaines du Midwest, et partage sa vie entre huttes de terre et vie nomade en tipi pour la chasse, le temps des grandes migrations.
Le choix des nations iroquoises comme responsables des négociations et interactions avec les nations européennes se réfère à leur position géographique (au Nord-Est, au niveau de l'actuel frontière entre les EU et le Canada) et aux faits historiques : ils ont été en relation et en conflit avec les colons anglais et français, et se sont réellement unis, plus tard, en une seule et même nation.
Les autres références aux nations et aux cultures amérindiennes (drapeau des tribus, longues maisons de bois iroquoises, déroulement du pow-wow) sont authentiques.

L'explication du statu-quo des frontières coloniales anglaises est plus complexe.
En effet, parmi les premières sources de désaccord entre la Couronne britannique et les colons, et qui déboucherait plus tard sur la Guerre d'Indépendance, on compte la Proclamation de 1763, dans laquelle l'Angleterre, afin de garantir la paix avec les nations indiennes, interdit toutes expansion à l'ouest. Cela frustrait les colons, d'autant que la plaine de l'Ohio, là où passe la délégation indienne dans la nouvelle, est particulièrement fertile, alors que les sols des Appalaches, là où sont concentrés les colons, sont pauvres.
Sans trop entrer dans les détails, on peut imaginer que la Guerre d'Indépendance américaine à plus ou moins échoué, et que, dans l'accord de paix qui a été conclu, on ne remettait pas en cause cette proclamation de 1763...
D'autant que cette nouvelle met en scène une France coloniale plus forte. Cette même proclamation de 1763 faisait concéder les territoires de Nouvelle-France à l'Angleterre. Canada, Acadie, et Louisiane orientale devenait anglais. Dans Pow Wow, le Québec et la Louisiane sont toujours français, mais qui plus est indépendants. On peut imaginer que le Traité de Paris de 1763, qui concédait ainsi ces territoires, avaient échoué, que les colons français en avait tiré un sentiment de trahison, et qu'ils avaient, en même temps que les anglais d’Amérique, réclamé leur indépendance. La France, ayant fort à faire avec ses propres colons, n'allait ainsi pas offrir le soutien du fameux Lafayette aux insurgés, et nations européennes et colons ne sortiraient de la guerre qu'avec une indépendance sous condition.
Reste le cas de l'Espagne. Les cartes du XVIIIème siècle représentent communément la plus grande partie des Amériques comme espagnole, sans que leur présence ait été marquante. Mais avec des villes s'appelant Los Angeles ou San Francisco, on peut considérer que, sans opposition d'autre colons, la Côte Ouest des E.-U. était et serait restée espagnole. De plus, je ne me suis pas encombré de la chronologie des guerres d'indépendance au sein des colonies ibériques et des révolutions mexicaines. Toute l’Amérique du sud est présentée comme étant toujours des colonies. Et pour m'en affranchir, je dirais que, les révolutions états-uniennes ayant été les premières du genre, l'indépendance et la liberté toutes relatives qui en découlent dans cette uchronie ont sans doute eu de quoi refroidir les velléités sécessionnistes de bien des colonies...

Le contexte du début de la Première Guerre Mondiale est symbolique : c'est le tournant d'un siècle qui verra s'écrouler les grands empires coloniaux. C'est un événement à portée mondiale mais dont les bases semblent si futiles, obscures, lointaines. De la même manière que la France et l'Angleterre se sont engagées dans cette « Der des ders » en entraînant avec elles leurs empires coloniaux, il ne fait aucun doute qu'elles auraient fait jouer de leurs alliances, de traités et d'autre passif commun pour amener leur anciennes colonies et autres nations indigènes et amies à s'engouffrer aussi dans le massacre organisé. L'idée d'un guerrier sioux ou apache plongé dans une guerre de tranchée à l'autre bout du monde m'amuse assez. Et quand on sait, au niveau de la vérité historique, la non-préparation totale des soldats américains dépêchés en 1917 (en short et chemisette, à peine armés et ravitaillés), il y a de quoi revoir complètement le déroulement de la guerre.
Et puis, ainsi que j'ai essayé de le faire transparaître dans tout le texte, un tel engagement des amérindiens dans une telle guerre serait un point final à apporter à un éloignement de leurs valeurs et leurs ordres ancestraux, à une corruption culturelle déjà entamée. Une entrée, pour eux aussi, dans un XX ème siècle mondialiste et uniforme.
(Ceci dit, pour être totalement honnête, j'avais parlé à un ami, passionné éclairé de ce premier conflit mondial, de mon hypothèse uchronique. Et il m'a répondu que, sans les États-Unis, la première guerre mondiale aurait pu éclaté n'importe quand plutôt. Tout le tournant XIX-XXème est en effet ponctué de guerres coloniales diverses, de rebellions, que les grandes nations jugulent, matent, ou écrasent, militairement ou politiquement. Et les USA ne sont – déjà - pas les derniers à envoyer des forces armées. Un exemple au pif : la Révolte des Boxers, en Chine, en 1900, matée par l'ensemble des forces armées occidentales.)

Voilà!