lundi 4 mai 2020

Le Peut'homme [Nosfé]

Le Peut'homme


La petite troupe évoluait parmi les épicéas.
Ils ahanaient, soufflaient, luttaient contre le dénivelé. Il y en avait cependant toujours un qui trouvait l’énergie suffisante pour lancer une connerie, ou tendre la bouteille de goutte à son voisin.    Alors les faisceaux de leurs lampes se baladaient de manière plus chaotique encore, et éclairaient qui un arbre, qui une boule de granite, qui un chevreuil qui se taillait à grand saut.
« Ouais, gros ! T’y arrives ? »
Le grand barbu en queue de fil s’était retourné, cherchant un autre gars qui aurait dû se trouver derrière lui, mais ne trouvant que la forêt
« Hé, les mecs ! On a perdu Maurice ! »
Les mecs en question rigolèrent un grand coup, ignorant la remarque du barbu. Celui-ci haussa les épaules, et plantant une godasse assurée dans le sol moussu malgré les quelques grammes d’alcool diluées dans son sang, accéléra le rythme pour rattraper le reste de la troupe.
Ils disparurent dans la forêt, et ne purent remarquer, en contrebas, dans la pénombre, le corps inerte de Maurice, adossé à une souche, une coriotte de nylon bleu entortillée autour de son cou.


Quand l’inspecteur Raoul Viry du Granges Sur Vologne Police Department arriva sur place, c’était déjà le caillon. Les bagnoles arrêtées ne bloquaient guère la route, mais le bus scolaire qui avait déversé ses élèves juste là, oui.
Il y avait donc une trentaine de personnes penchées par dessus le garde-fou du pont, dont une majorité de collégiens. En contrebas, pataugeant dans une Vologne gonflée par les pluies des derniers jours, deux pécheurs en cuissardes, encadrant une forme flasque. Raoul descendit les marches de pierres menant au lit de la rivière, cracha la Gauloise brune qui pendait à ses lèvres et détailla la chose.
C’était un mec entre deux ages. Il pouvait bien avoir cinquante balais, mais entre sa panse à bière et sa tronche qui, malgré le froid et le séjour dans l’eau, affichait une couperose galopante, il avait plus sûrement trente ou trente-cinq ans, dont la moitié passée à picoler. Il ne portait qu’un slip et un sweat à capuche délavé, avec une tête de loup et un indien imprimé dessus. Le genre d’horreur qu’on ne vend plus, même sur les marchés.
« C’est un corps. » synthétisa un des taquineur de brochet.
« Mon avis, c’est qu’il était bourré et qu’il est tombé à la flotte. » fit l’autre.
Raoul les regarda, se pencha sur le corps. Dégageant le col, il découvrit de profondes marques violacées barrant le cou.
« Bon, les Columbos en cuissardes, lança-t-il aux pécheurs. Je crois que vous allez dégager d’ici, parce que maintenant, vous êtes sur une scène de crime. »
Et, comme en réponse, retentit la sirène d’une ambulance. L’inspecteur se redressa, et regarda vers le pont.
Le Coroner Schilling venait d’arriver.
« Connard d’alsaco ! » maugréa Viry.

L’inspecteur Viry n’eut pas le temps de s’asseoir à son bureau que le Chief Baradel l’appela dans son bureau.
C’était un gros sac qui décoinçait pas de derrière son bureau, le vieux Baradel et qui, histoire de maintenir quotidiennement son humeur à un niveau merdique, s’était mis en tête d’arrêter de fumer.
« Cigarette, Viry ! Eteignez-moi cette merde avant d’entrer ici ! » qu’il bouâla.
Raoul s’éxecuta, puis prit place dans la chaise.
« C’était quoi, cette affaire ? » demanda le vieux.
« Un mort dans la Vologne, au niveau d’Aumontzey. » répondit l’inspecteur
« Noyade ? »
« Non, meurtre, vraisemblablement. Des traces de strangulation. »
« Il se serait pas pendu, avant de tomber à la flotte quand la branche aurait cassé ? » tenta le chef.
« Etranglé avec de la coriotte, plusieurs tours, soupira Raoul. Ecoutez, chef, je sais que vous ne voulez pas qu’on s’emballe avec une nouvelle histoire de meurtre ici, rapport à… »
« Attention à ce que vous allez dire ! » explosa Baradel. Il s’était levé, envoyant à l’inspecteur Viry tout un tsunami d’odeurs corporelles, et apparemment prêt à lui mettre un pain.
« Okay, dit-il en se levant à son tour. Je ne dis plus rien, mais je fais mon travail, je continue à mener mon enquête, et je vous préviens : Je n’écarte aucune hypothèse. »
Il était prêt à sortir, tout geht's de sa phrase et son effet, quand dans l’encadrement de la porte apparut une grande blonde en tailleur strict, coiffure strict et air pincé de la fille a qui on ne la fait pas : le District Attorney.
« Madame Colin. » Salua l’inspecteur Viry.
« Inspecteur Viry. » salua madame Colin.

L’inspecteur Claudel vidait son deuxième Picon-bière, quand Viry entra dans le Soyotte Dinner où tous les flics avaient leurs habitudes. D’un signe à la serveuse, il commanda la même chose.
« Comment que c’est ? » demanda Claudel.
« Te fatigue pas, j’ai pas envie de couaroyer. » répondit sèchement Raoul.
« Oh ben ça va, j’ai compris ! » fit l’autre en prenant son verre à part et lui tournant le dos. On aurait dit un vieux couple qui boudait. L’inspecteur Viry regretta un peu la sècheresse de sa réponse, mais se contenta de siroter son glass, sans un mot.
A une époque, Claudel et Viry était les Crockett et Tubbs de la vallée de la Vologne, les Riggs et Murtauth du district de Gérardmer City. C’était dix ans en arrière, avant cette sale affaire : Une gamine d’une vingtaine d’année qui disparaît, le chef Baradel qui leur confie l’affaire, et eux qui bassotent, qui piétinent, aux prises avec une absence totale d’indices et une population plus fermée qu’une moule du Bouchot. On a retrouvé le cadavre de la fille, Angèle Lamboley, deux semaines plus tard, dans un autre État, sans plus d’indice, et avec au surplus la presse qui leur colle au train.
Cette même presse qui lui apprenait, pas plus tard que la semaine dernière, que la belle-famille de la môme voulait rouvrir l’enquête…
Et c’était peut-être ça qui l’avait foutu mal au Chief Baradel. Depuis l’affaire de ce gamin dont on prenait bien soin ici de ne pas dire le nom comme si c’était une Bon Dieu de malédiction, le Granges sur Vologne Police Department était sur la défensive dès qu’une affaire semblait un tant soit peu y ressembler. L’affaire Lamboley ou cette nouvelle affaire, ça les convainquait que les journaleux et autres fouilles-merde ne manqueraient pas de rappliquer et de faire, eux aussi, le lien avec le petit Gr…
La sonnerie de son portable retentit. Raoul vida d’un trait la dernière moitié de son Picon et décrocha.
Au bout du fil, la voix fluette de la mignonne petite Betty, qui tenait le comptoir d’accueil du poste.
« Une bande de jeunes qui voulaient signaler une disparition, dit la Betty. Mais vu le signalement, il y a des chances qu’on ait identifier votre mort de ce matin. »

« Mais qu’est-ce vous foutiez en pleine nuit dans ce coin-là de forêt ? » S’emporta Viry.
L’autre grand barbu eut l’air tout penaud. « On chassait le Darou, balbutia-t-il. On avait fait la chouille, et on avait envie de marcher un peu. »
Le policier soupira. « Vous aviez cheuler comme c’est pas permis, plutôt. Et vous étiez bourré au point de pas vous rendre compte qu’un de vos potes avait disparu. »
« Si, mais… » le barbu ne chercha pas plus à s’expliquer.
« Enfin, bref… coupa court Viry. Je vais pas te demander de faire le récuse-poto. Il y a par contre un truc que tu pourras m’expliquer : Toi et ta clique, vous avez quel age ? Vingt, vingt-cinq ans ? Et votre copain,    Maurice Cuny,    il avait doucement sur ses quarante. Comment ça se fait qu’il traînaillait avec vous ? »
« Ben, c’est que Maurice, c’était un peu un charpagnat, répondit le barbu. Il avait pas de boulot, il traînait, il écumait les bars. Comme on faisait, nous. Il payait son coup, on l’hébergeait, ce genre de chose. »
« Il avait un chez lui ? » demanda encore l’inspecteur. Les quelques pages de dossier devant lui n’indiquait rien à ce propos. Le barbu n’en savait pas plus « Pour moi, il dormait dans sa bagnole. »
Viry régla encore quelques questions avec son témoin, et ayant pris les coordonnées de l’ensemble de la bande de jeunes, les libéra. Il revint à son bureau, y trouvant un mot du coroner, qui avait fini l’autopsie. L’inspecteur Claudel sortait au même moment du bureau du gros Baradel, avec la trogne du mec qui s’était pris une soufflante. Le chef, derrière, continuait à bouêler comme un veau.
Avant qu’il ait refermé la porte, Raoul eut le temps de voir, toujours là, le District Attorney Caroline Colin, ainsi qu’un petit vieillard tout récrâpi.

La salle d’autopsie résonnait d’échos de guitare saturés et de double pédale. Malgré son visage poupin et ses petites lunettes d’intello, le coroner Shilling était un squé métaleux, avec une prédilection particulière pour le groupe Slayer.
« Ah, fous foilà ! » Fit Shilling en voyant entrer Viry. Ça faisait déjà quelques années qu’il travaillait dans les Vosges, mais il hachepaillait toujours autant, le pointu…
Après avoir éteint sa mini chaine-hifi tout emballée de cellophane pour lui épargner les taches de sang et morceaux de cerveau, le légiste tira le brancard de son logement frigorifique dans un joyeux « Hop là ! » et se mit à potasser le dossier.
« Alors… Pon, les traces zur le cou correspontent pien à une strangulation, et j’ai retroufé de miniscules fipres. Une cortelette zynthétique, du nylon, de couleur pleu. »
La mention de cette cordelette bleue fit courir un frisson sur la nuque de l’inspecteur. Il ne faisait pas bien chaud dans la morgue, mais là, c’était autre chose.
De la coriotte bleue. Comme pour le petit…
« La fascularisazion au nifeau des organes et l’état des poumons confirme la mort par zufocazion. Reprit Shilling, le coupant dans sa réflexion. Il était téjà mort quand il a été immergé. Et, c’est également post-mortem qu’ont été fait les zcarrificazions sur le torze. »
« Les scarifications ? » interrogea Viry.
« Oui. »    confirma Shilling, découvrant dans le même temps le corps du susnommé Maurice.
De profond coups de schlass couvraient tout le torse, des lacérations formant un grand « 3 ».

Rentré chez lui, Raoul s’ouvrit une binouze et, laissant la télé tourner en fond, étalant devant lui les quèques feuilles qui résumait son affaire. Les dépositions des pécheurs, celles de la bande de chasseurs de Darou, le rapport d’autopsie complet, et jusqu’au post-it lui annonçant qu’on avait retrouvé la bagnole qui servait de domicile à la victime…
Son portable sonna de nouveau. Le District Attorney.
« Madame Colin. » décrocha Viry.
« Vous avez grailler ? » Demanda la dame tout de go.
« Non, j’attaquais l’apéro. » répondit l’inspecteur.
« Passez donc chez moi. Je vous invite. Nous avons à parler. » lui dit-elle.

Raoul s’alluma une shmer et, tendant le bras pour attraper son paquet de Royal Menthol, Caroline Colin fit de même. Ils étaient allongés, nus l’un contre l’autre, sur le canapé. Là-bas sur la table de la cuisine, le plat de tôfailles refroidissait.
Ça n’avait pas traîner. Ils avaient un peu causé, bu un verre, mais à peine s’étaient-ils mis à table qu’elle lui avait sauté dessus et que, trop occupés à se rlècher et à se désaper, ils n’avaient même pas réussi à rejoindre la chambre pour faire leur petite affaire.
L’inspecteur fit mine de se lever.« Je vais peut-être y aller… »
« Et pourquoi ? » demanda la District Attorney.
« Ben je sais pas, genre si monsieur Colin rentrait… » tenta-t-il, tout en sachant qu’il disait une connerie. Et en effet, Caroline le fusilla du regard.
« Le seul monsieur Colin que je connais, c’est mon père, dit-elle. Je ne suis pas du genre à m’encombrer d’un homme, sauf quand je le veux, comme ce soir. Et si je demande à ce qu’on m’appelle madame, c’est uniquement parce que mademoiselle sonne trop fragile pour moi. »
Raoul s’excusa. C’était la chouffe d’avoir dit des conneries et de l’avoir fâchée, surtout à un moment comme ça
« Et sinon, ton enquête ? » demanda-t-elle, comme pour couper sa gène.
Il lui fit un résumé rapide, avant de lui demander à son tour : « Pourquoi tu étais au Police Hall, aujourd’hui ? »
« Une autre enquête, soupira-t-elle, et qui a été confié à l’inspecteur Claudel : La semaine dernière, on    a eu un cambriolage au Gérardmer City Hall. On nous a retourner toutes les archives, tous les états civils, un caillon pas possible. Et le temps de ranger tout ça, pas moyen de voir si il y a eu vol, ni de savoir ce que cherchait notre voleur. Il y a trois jours, même chose, à Bruyères Town, et la    nuit dernière, c’est le City Hall de Granges sur Vologne qui a été cambriolé. »
« À Granges aussi ? Il faut croire que notre cambrioleur ne trouve pas ce qu’il cherche… »
« Ou peut-être qu’il ne veut pas qu’on sache ce qu’il cherche. Ou qu’il veut nous empécher, nous, de trouver quelque chose. Bref, c’est pour ça que je suis passé : Pour m’assurer qu’il y ait bien une mise en commun des informations entre le GVPD, Le Gérardmer PD et le Bruyères Town PD. »
L’inspecteur réfléchit un instant. « C’était pour ça aussi qu’il y avait ce vieux, dans le bureau du Chief ? »
« Le vieux ? Non ! C’était l’ancien Comissioner Robert Gégout. Il était Chief du Granges Sur Vologne Police Department dans les années 80. »
Avant que Raoul ait eu le temps de s’étonner qu’un vieux flic à la retraite puisse être assez dâbo pour avoir le goût de faire une visite de courtoisie au poste, La Caroline lui ressauta dessus.
Ils étaient pas prêt de les manger, ces tôfailles…

En arrivant à proximité de l’ancien passage à niveau, Jérémy leva le pied. Le hard-rock craché par les hauts-parleurs de sa Corsa l’incitait plutôt à accélérer, mais vu que la semaine derrière, c’était ici qu’il avait zoqué un renard, il était prudent. Un seul accident lui suffisait. La veille encore, il avait vu trois goupils traverser la route, un peu plus loin. Il devait y avoir une bête crevée qui devait les attirer ici.
Une touffe rousse passa devant ses phares, il pila. Trop tard. Il entendit trop clairement le couinement de la bête qu’il avait heurté. Jérémy s’arrêta sur le bas-côté, et fit le tour de sa voiture. Les réparations de fortunes qu’il avait faites, une semaine auparavant, à grand renfort de scotch et de rivets, étaient réduites à néant. La durite de refroidissement qu’il avait dû changée était, elle, toujours en place.
Il entendit un jappement, au loin. La bête qu’il avait heurté, sans doute. Et puis d’autres. Des cris, perçant l’obscurité, entre l’aboiement et le croassement de corbeaux.
« Putain de renard ! » fit-il. Bien décidé à voir ce qui se passait, il s’engagea dans la faigne en contrebas de la route.    Les cris se firent encore plus présent. Il devaient au moins être une demi-douzaine. Alors qu’il arrivait au sommet d’une ravine, et que l’herbe disparaissait sous ses pieds, il manqua de trébucher. Il devina, dans la pénombre, un alignement géométrique au sol. L’ancienne voie de chemin de fer, qui montait jusqu’à Gérardmer. Les glapissements s’éteignirent soudain, dans un frémissement de feuilles. A deux mètres devant Jérémy, une masse informe encombrait la voie. Le jeune homme sortit son portable, et à la lumière de celui-ci, découvrit la carcasse qui intéressait tant les renards. Et vu que celle-ci était à demi couverte par les lambeaux d’une chemise, ça n’était sûrement pas un chevreuil…

« Où que c’est que t’étais, créboudiou ? Lui dit l’inspecteur Claudel en guise d’accueil. Ça fait une heure qu’on bassotte en t’attendant ! »
« Tu veux pas le savoir. » lui répondit Viry en enjambant la rubalise jaune « Police Line. »
Et en effet, ça devait bassoter sévère, et même se la toucher un peu. Il y avait là pas moins d’une dizaine de flics en uniformes, lui-même, Claudel et ce doryphore de Schneider comme inspecteurs, et le coroner Shilling de présents sur la scène de crime. Auxquels il fallait ajouter une poignée de badauds, trois journalistes et un môme, là-bas, interrogé par deux bleus.
« C’est lui qui a découvert le corps. commenta Claudel. Casier vierge, il se rendait à son boulot. On prend sa déposition et on le libère. »
L’ancienne voie du tortillard disparaissait largement sous les mauvaises herbes, mais vu ce qu’elle schmickait, ils auraient eu du mal à passer à côté de la carcasse. C’était vraisemblablement un homme, allongé sur le ventre, les membres disloqués et étalés en étoile, sans doute à force que les bestioles tirent dessus. Il avait pour seul vêtement les restes d’une chemise à carreaux bleus, qui peinait à couvrir un dos dont les os étaient déjà pas mal ressuyés.    L’inspecteur Viry sentit son café lui remonter dans la gorge.
« Parton, excusez-moi. »
Le Shilling passa à côté de lui, accroupi, avec son petit masque et ses gants. Il ramassait des petites morceaux de viandes provenant du corps, à peu près aussi faisandés que le kébab de la Foire à la Cholande qu’ils avaient fait fermer l’été dernier.   
« Si fous foulez, nous allons le retourner. » proposa le coroner en refermant le bocal de labo dans lequel il avait enfourné ses miettes de cadavres.
Deux flics en chnobottes amenèrent donc un Body Bag et tentèrent de soulever le corps. Celui-ci était collé, faisait des filaments de morve, et dégobillait une drôle de confiotte sur les lattes de la voie.
Le maccabée une fois posé sur le dos dans son sac, Raoul se pencha dessus. La trogne déformée ne lui disait rien, les traces violacées qui barraient le cou lui étaient plus familières.
Alors qu’il faisait part de sa remarque au Claudel, le légiste, de son côté, détailla la panse gonflée par la putréfaction. Il tira le panné de la chemise, et le retroussa.
Le bide grisâtre et marbré de veines portait de profondes cicatrices marronnasses, formant un grand « 2 ».

Un fracas de tôle, comme un coup de tonnerre.
Le Chief Baradel faillit recracher la gomme Nicorette qu’il margolait depuis quelques minutes. Il sortit de son bureau, et trouva face à lui la Betty, l’air pas rassuré. Le vacarme au sous-sol redoubla, ce qui fit sursauter la djatte petite adjointe. Le gros commença à descendre l’escalier menant aux archives, et à mesure qu’il se rapprochait, les heurts s’emplifiaient.
« Viry ! Qu’est-ce que vous broyez ? »
L’inspecteur tira un nouveau tiroir des armoires métalliques, suffisamment violemment pour le brayer, dans un boucan pas possible.
« Inspecteur Raoul Viry ! » Hurla le chef. Viry le regarda, comme s’il venait de se rendre compte qu’il était là.
« Qu’est-ce que c’est que ce caillon ? » demanda le chef.
« Le dossier de l’affaire Lamboley, fit Viry pour toute réponse. Il est où ? »
Le chef fronça son mono-sourcil. « De quoi est-ce que tu parles ? T’avais pas un cadavre à aller voir du côté de Kichompré ? »
« J’en reviens, répondit l’inspecteur en continuant à fouiller dans le tiroir. J’en reviens et maintenant je veux voir le dossier de l’affaire Lamboley. »
« L’affaire Lamboley est vieille de dix ans et classée, et… »
Viry se planta devant lui, menaçant : « Me prenez pas pour le beubeu de service ! Cette affaire n’est pas classée ! »
Le chef déglutit sa Nicorette puis, pour se redonner un peu d’aplomb, tenta la méthode douce : « Bon, arrête de bouâler, okay ? Ce que je voulais dire, c’est qu’elle est classée pour nous. La petiote est morte dans un autre État, et de fait, l’affaire est maintenant entre les mains du FBI, et c’est pour ça qu’il n’y a plus de dossier ici. »
« De la merde, ouais, râla de plus belle l’inspecteur. Je connais les procédures ! Même si le Bureau a reprit l’affaire, il doit nous rester une copie de l’enquête qui a été mené par le GVPD ! »
Le chef ne trouva rien à lui répondre : Il avait simplement raison.
« Bon. Tu me rangeras tout ça quand tu auras fini. » dit-il en retournant vers les escaliers, son bureau, avec une irrépressible envie d’en griller une.
« Betty ! » Beugla alors l’inspecteur, le nez toujours dans son tiroir.
La tête de la fliquette apparue. « Oui ? »
« Appelez-moi les bureaux du FBI à Épinal City. »

Tout le monde l’appelait Le Nain.
Il s’appelait Benoît Géhin, et oui, il était un homme de petite taille. Mais il habitait à Herpelmont, et dans un bled de la taille d’Herpelmont, il est la seule personne de petite taille. Donc, pour tout le monde, il n’était pas Benoît, mais juste Le Nain.
Et Le Nain ne parvenait pas à dormir. Il angoissait.
Il se retourna une fois de plus dans son lit, n’osant même pas allumer sa lampe de chevet, et certainement pas se lever et aller vérifier. Mais il avait entendu des bruits, comme des pas au-dessus de lui, dans le herbau, et il n’était plus sûr d’avoir bien clenché sa porte.
Un nouveau bruit. Le Nain planta sa tête bien profond dans la toyotte de son oreiller pour ne plus entendre. Il attendit ce qui lui sembla une éternité.
Et une fois cette éternité de silence passée, il prit son maigre courage à deux mains, alluma sa loupiote, et se leva.
La porte de sa chambre était entrouverte, comme il le craignait. Il posa la main sur la clenche, mais n’eut pas le temps de faire quoi que ce soit d’autre. Le battant lui vola à la figure, l’envoyant au sol. Geignant, une sale beugne lui barrant le front, Le Nain leva les yeux, et découvrit ce qui avait ainsi poussé la porte.
Une silhouette immense bouchait tout l’espace de l’embrasure. Un gaillard pas possible, habillé d’une sorte de bleu de travail trop petit pour lui, tellement qu’il avait l’air d’aller au fraises avec ses mollets nus qui dépassaient de godillots énormes. Ses mains était deux battoirs avec des doigts comme des andouilles du Val d’Ajol, et il portait, à ses chevilles et ses poignets, de la ficelle bleu, incrustée dans sa peau, et dont de long brins pendouillaient.
Mais ce qui effraya le plus Le Nain, c’était son visage.
Pas que le géant ait eu l’air défiguré ou même seulement agressif. Non. Tout juste remarquait-on qu’il n’avait pas un poil sur le caillou, pas même de sourcil, comme si il suivait une chimio. Mais c’était son expression, son calme total, son impassibilité de statue qui filait les jetons.
« Le Peut'homme ! » fit le nain, cherchant à mettre un nom sur son effroi.
Alors,    un instinct de survie qu’il n’avait encore jamais ressenti se réveillant en lui, il se carapata, à quatre pattes, entre les mollets nus du géant.
Il était maintenant dans le couloir, et frâla les escaliers, se beugnant dans tous les sens. Le Peut'homme descendait les premières marches. Le Nain trotta vers la sortie, et une fois dans la cour, se mit à hurler « A l’aide ! », boitant du mieux qu’il pouvait vers la ferme voisine.
Regardant par dessus son épaule, il aperçut le géant qui sortait à son tour.
« A l’aide ! Au secours ! » braya-t-il de plus belle.
Une fenêtre de la ferme Gérard s’illumina, et la silhouette du père Gérard s’y dessina.
« Au secours ! A l’assassin ! »
Le Nain se retourna encore, le géant était là, tout près, tendant ses brins de coriotte pour l’en étrangler.
Et le père Gérard réapparut, cette fois à l’extérieur, et avec son fusil de chasse à la main. Le Nain tomba à ses pieds.
Derrière lui, la cour était vide. Le géant s’était évaporé.

« Comment que c’est, ça geht's maul ? »
Schneider vint se planter à côté de lui, avec son expression de nancéen, sa tronche de nancéen, et son petit déjeuner « café + beignets de brimbelles » du Soyotte Dinner. L’inspecteur Viry ne répondit pas, le nez dans son café à lui.
En face d’eux, de l’autre côté de la vitre sans-teint, l’inspecteur Claudel interrogeait le nain.
« Il s’en sort comment ? » demanda Schneider.
« Honnêtement ? Dit Viry. On dirait une poule qui a trouver un couteau ! »
Schneider rit de bon cœur, mais pas Raoul. Il connaissait bien Claudel, et savait que celui-ci n’était pas bon dans la salle d’interrogatoire. Aucune patience, incapable de formuler des questions qui ne soient pas cagneuses, et plus encore de réfléchir en fonction du client en face de lui, il s’énervait en un rien de temps et se filait des chaurées tout seul. De fait, à l’époque où il bossait en binôme, pour les interrogatoires, Viry jouait le good cop et Claudel n’avait pas trop à se forcer pour être le bad cop.
« Le Peut'homme ! C’était le Peut'homme ! » répéta encore le nain de l’autre côté de la vitre.
« J’ai compris que c’était le Peut'homme ! S’énerva l’inspecteur Claudel. Ça pourrait tout aussi bien être le Père Fouettard ou le Sotré, mais si vous n’êtes pas capable de me donner une description claire, je ne vais pas pouvoir vous aider ! »
Schneider rigola de plus belle.
« Pourquoi le gros lui a refilé l’affaire ? Rumina Raoul. Il sait que Claudel… »
« Tu déconnes ? Lui dit Schneider. Tu croyais vraiment que tu allais récupérer cette enquête après le sapré scandale que tu nous a fait hier ? Tu peux déjà t’estimer heureux qu’il ne t’ait pas déménagé ton bureau dans une cafourote ! »
« Tu m’excuseras d’avoir voulu suivre mon intuition. » dit Viry.
De l’autre côté du carreau, Claudel s’était levé et soupirait.
« Ceci dit, maintenant que j’y chongi, fit le nain resté pensif sur sa chaise,    même si je le connais pas, il y a quelque chose dans son visage qui… »
« Ah ! » Se retourna brusquement Claudel.
Le téléphone de l’inspecteur Viry vibra, et il rata la suite de l’échange. C’était un SMS, envoyé par le District Attorney Colin : « Si tu n’as rien de prévu ce midi, je suis à mon bureau de Bruyères Town, et j’ai un truc qui pourrait t’intéresser. »

Son cabinet étant à Épinal City, Raoul s’attendait à ce que la permanence de Caroline Colin à Bruyères Town ne soit qu’une petite cellule avec juste une table et quelques dossier. Mais c’était un vrai bureau, avec suffisamment de place pour accueillir un cinq à sept approfondi. Ils en avaient d’ailleurs bien profité.
« Alors c’était ça, le truc qui pouvait m’intéresser ? » Plaisanta Raoul en se refagottant
« Mais non, beurôt ! » Et, chemisier encore ouvert sur ses seins nus, elle se pencha derrière son bureau, déverrouilla un tiroir et en tira une chemise contenant une bonne ramette de photocopies.
L’inspecteur Viry détailla les premiers feuillets : Sous une entête avec le logo du FBI, le dossier complet de l’enquête Lamboley.
« Que… Quoi… » fit le flic, esbaudi.
« J’ai cru comprendre que tu cherchais ça, hier, et que le Chief Baradel s’y était opposé. Il fait obstruction de la même manière sur l’affaire des cambriolages, sans que je sache pourquoi. Peut-être qu’en débloquant ton affaire, je débloquerai la mienne. »

Le rapport du coroner concernant le cadavre de la voie ferrée l’attendait sur son bureau : On avait identifié la victime comme étant Régis Poirot, bien connu du GVPD et des Rangers pour des faits de braconnage. L’état de décomposition du corps indiquait qu’il était mort depuis au moins une semaine, mais personne n’avait signalé sa disparition. C’était sans doute pour ça qu’il avait été déplacé, et déposé ainsi à proximité d’un endroit aussi passant que la route menant à Gérardmer City. L’assassin, ou qui que se soit d’autre, voulait qu’on le trouve. De la même manière qu’il avait signé son acte en l’étranglant avec ce qui était, d’après les relevées de Shilling, la même coriotte de nylon bleu, et en scarifiant le ventre de grand coups de schlass.
« Viry ! » Beugla le Baradel depuis son bureau.
Raoul posa le rapport et répondit à l’appel.
Passé la cloison de lambris, ça foingeait comme un vestiaire en fin de match, et la chemise du Chief
était toute puisée de sueur.
« Ferme la porte. » ordonna le gros.
Viry, obéissant, remarqua alors, planqué sur sa chaise dans le coin du bureau, le vieux Gégout et sa tronche déssechée.
« Raoul, je te présente l’ex-Commisioner Robert Gégout. » dit Baradel
Le vieillard se leva, lui tendant une main osseuse.
« Le Chief m’a beaucoup parlé de vous, fit-il. Paraît que vous êtes un bon flic. »
« Merci monsieur. » répondit hypocritement Raoul en serrant une dextre qui, en terme de consistance et de chaleur, aurait pu être celle d’un des patients de Shilling.
« Bon, Raoul, commença le chef. Nous allons classer l’affaire du chasseur de Darou. »
« Quoi ? » Bouâla Viry.
« Oui. J’ai fait convoquer ses copains pour un contre-interrogatoire, et sachant que ce soir-là il avait bien cheulé, on peut tout-à-fait reprendre l’hypothèse qu’il puisse s’agir d’un accident ou d’un suicide. »
« Quoi ? Répéta Viry. Mais j’ai écarté ces hypothèses ! Il a été étranglé, mutilé ! »
« C’est une question d’interprétation… » intervint le petit vieux.
« Et que le corps de l’autre braconnier porte le même type de marques, c’est de l’interprétation, aussi ? » s’emporta Viry. Il se retint de justesse de mentionner ce qu’il avait découvert dans le dossier Lamboley. A sa colère répondit celle du gros qui, vu son niveau de sudation, n’en demandait pas tant:
« Vous savez où ça nous mène, vos interprétations ? Vous avez vu les unes des journaux ? » hurla-t-il en lui tendant le Vosges Morning Post du jour, qui titrait « Nouveau meurtre dans la vallée de la Vologne. »
« Il n’y a rien de pire qu’une mauvaise presse, commenta le vieux Gégout. Et on connaît la propension de ces grattes-papiers a en rajouter dans le sordide. »
« Mauvaise presse ? En rajouter ? Fit un Viry bouillant de rage. Et l’agression dont a été victime ce nain, ce matin ? Vous allez étouffer l’affaire, le laisser repartir sans protection, voire l’accuser d’avoir simuler ? Et vous leur raconterez quoi, à la presse, quand il nous reviendra étranglé et le torse marqué d’un grand 4 ? »
« Mais pourquoi cela arriverait ? Fit le gros. Puisque ce qu’on a pour l’instant, c’est d’un côté un marginal qui s’est soit suicidé, soit est mort par accident, et de l’autre, un braconnier qui est, selon toute vraisemblance, victime d’une sorte de règlement de compte en rapport avec ses activités ? »
« Mais Coche té don, wète pohhé ! » cracha Raoul, à bout.
Cette fois, le Chief Baradel explosa pour de bon, gouttant et trissant de sa transpiration dans tous les sens : « Inspecteur Viry ! C’en est trop ! T’as gagné, mon gars ! Suspendu, et sans solde ! Mise à pied, à compter de maintenant ! Laisse ta plaque et ton flingue, et fous le camp de mon bureau ! »

« Hé la zaubette ! Tu m’en remets un ? » Fit-il en tendant son verre vide.
La serveuse du Soyotte Dinner s’exécuta, et il servit un dosage 1/3 Picon, 2/3 bière qui, à cette heure-là, était normal.
Il n’avait pas décollé du comptoir depuis qu’il était sorti du Police Hall. Dans le fond, ne cessait-il de se répéter, le gros lui avait rendu service. Ainsi mis à pied, il n’avait pas de compte à lui rendre, et ne risquait pas de voir son affaire transmise au FBI ou parasiter par le vieux Gégout.
Parce qu’il en était sûr, maintenant. Il avait bien vu la lueur de malice dans les yeux de l’ex-Commisioner quand le Chief lui gueula sa sanction à la gueule. Le vieux débris manigançait quelque chose, il était derrière tout ça. Restait à savoir quoi et pourquoi…
« Mets-moi la même chose ! » lança Claudel pour annoncer son arrivée.
« Ah ben te voilà ! Lui bafouilla un Raoul Viry déjà bien ribotte. Qu’est-ce qui t’as ennuité comme ça ? »
Claudel posa une enveloppe kraft bien rebondie sur le comptoir et bu une bonne moitié de son verre avant de répondre :
« Parce que tu crois que c’est facile de faire sortir des dossiers complets sur des affaires qui ne sont pas les miennes ? »
Pour la peine, Raoul lui tendit une Gauloise. Il avait tout juste eu le temps, en quittant le poste tout à l’heure, de lui demander cette faveur, avec tous les risques que ça comportait. « T’en fait pas, dit-il je sais… Et ton affaire à toi, le cambriolage, là, ça en est où ? »
« Bof… lâcha Claudel dans un nuage nicotineux. Rien de bien spécial. Gérardmer City avait déjà informatisé une partie de ses archives, dont ils n’ont rien perdu, et voient déjà ce que le cambrioleur cherchait. J’ai envoyé des demandes à Bruyères Town, mais sans réponse… »
« M’étonnes pas, pensa Viry. Si le gros lui filtre les infos… »
« De tout façon, je crois que je vais devoir rester enfermé un bon moment    pour classer, ranger, et déqueugner tout ça pour voir ce qui a été volé. » conclut l’inspecteur Claudel avant de boire la deuxième moitié de son verre.
« Ben justement, tiens, fit Raoul avec un sourire tordu. Vu que tu bougeras pas trop du Police Hall ces jours-ci, ça ne te dérangerait pas de me prêter ta plaque ? »

Il avait été beulou de ne pas voir ça avant. Il avait fallu qu’il s’y replonge ce matin, avec une bonne gueule de bois, pour le voir.
Ce que lui avait confirmé la lecture du dossier Lamboley n’avait pas aidé non plus.
Ainsi que Raoul se le rappelait, la gamine avait été étranglée, et son ventre avait été ouvert, verticalement, d’un grand coup de schlass. Il savait maintenant, aux morts récents, que cette lacération était un « 1 ».
Mais il avait maintenant un lien entre Angèle Lamboley et le mort de la voie ferrée, Régis Poirot. Le casier judiciaire du Régis suppléait bien au dossier perdu dans le cambriolage du City Hall, et permettait de savoir qu’avant d’être braconnier, le bonhomme avait été enfant de la DDASS, tout comme la môme Lamboley. Et que tout deux avaient vécus au sein de la même famille d’accueil.
Raoul farfouilla parmi les feuilles qu’il avait éparpillé, faisant frâler son cendrier qui débordait. Il retrouva la plainte déposée par le nain.   
Benoît Géhin. Un numéro de téléphone. Il appela, et lui demanda s’il n’avait pas, lui aussi, été placé en famille d’accueil.
Le nain, bien qu’un peu étonné de la question, lui répondit par l’affirmative.

La cuisine était typique d’une ferme vosgienne.    Ça sentait le lard et le lait chaud, il y avait encore un poêle à bois, avec quelques kehotes dans la bogeotte pour l’alimenter, la pierre à eau en grès dans laquelle trempait un peu de vaisselle, et la fenêtre donnait sur une chaume où paissaient, au loin, une demi-douzaine de vaches vosgiennes.
« Je vous offre quelque chose, inspecteur ? Demanda la mère Masade. Un café ? Une petite goutte peut-être ? »
Raoul se sentit tout timide. « Un café c’est très bien. Merci. »
Marilou Masade était une femme d’un certain age, trapue et aux épaules larges, habillée d’une robe et d’un tablier qui devaient dater de l’époque des catalogues Manufrance, mais il se dégageait d’elle une douceur et une gentillesse toute maternelle.
Elle était comme sa cuisine : d’une chaleureuse rusticité.
Une fois le café servi, la vieille femme commença à faire la cacatte : « Avec mon Jeannot, paix à son âme, on a été famille d’accueil pour quarante-deux gamins. Et tous, tous, ils m’appelaient maman. »
Et elle parlait, encore et encore, remontant le cours de sa mémoire. Le policier la laissa faire : Il savait que les vieux aimaient rabâcher leurs souvenirs avant d’en arriver au point particulier sur lequel on les interrogeait.
Tout en parlant, la mère Masade avait sortit un album photo qu’elle posa face à Raoul, et elle fit défiler les pages, commentant chacune d’elle, avec force anecdotes.
Au bout de trois bons quarts d’heure, ils arrivèrent à une photo, passée et jaunie, qui attira l’attention de Viry. La mère Masade avait déjà les yeux embués de larmes.
« Ma petite Angèle… Quel malheur… » fit-elle dans un sanglot.
Il y avait là six enfants, prenant la pose devant un sapin de Noël. Une seule fille, une petite brune aux bouclettes typiquement années 80. Angèle Lamboley, sans hésitation. Il y avait aussi un squé gosse au front proéminent et aux doigts boudinés. Le nain Benoît.
« Vous savez, elle est venu me revoir, avant… » ajouta-t-elle en essuyant ses larmes.
« Angèle ? Demanda Raoul en s’allumant une Gauloise. Vous voulez dire avant sa disparition ? »
« Oui ! Fit la vieille dans un sourire triste. La chère petite voulait retrouver les autres enfants, renouer le contact avec eux. Elle voulait surtout revoir le petit Virgile. Elle s’était attachée à lui, comme une petite maman. »
« Virgile ? »
« Oui, ce petit bonhomme, là. » dit-elle en pointant sur la photo un gamin pâlichon, aux cheveux clairsemés, portant un horrible pull de laine dont les manches trop longues lui couvrait les mains.
Raoul le détailla, puis regarda la vieille femme.
« Virgile Grylemon, reprit-elle. Un pauvre gosse, un peu… Particulier. Et malade, par-dessus ça. Il avait perdu ses parents dans un accident de la route. »
Viry nota ce nom sur son calepin, au bas d’une liste déjà grande, et le souligna à plusieurs reprises.
« Et elle est de quelle année, cette photo ? » questionna-t-il ensuite.
La vieille dame hésita : « Je me souviens des enfants, mais les années, c’est autre chose. Mais… » Elle essuya ses larmes, puis se pencha sur la photo, et reprit : « Mais pour cette photo, je sais. Parce que ce pauvre petit est arrivé chez nous début avril, et je m’en souviens très bien parce que c’était dans les moments après cette affaire, là, dont on parlait encore, le petit Gré… »
Une sonnerie de téléphone l’interrompit. Raoul éteignit son portable, s’excusant.
« Est-ce que… Est-ce que vous m’autoriseriez à vous emprunter cette photo ? Pour mon enquête » Demanda-t-il encore. La vieille femme accepta.
Il ressortit de la ferme deux heures et huit ou neuf café plus tard.
Rallumant son portable, il trouva un message de l’inspecteur Claudel : « Nouveau cadavre découvert à Barbey-Seroux. Te rappelle ce soir. »

« Hein ? »
Claudel n’entendait rien. Il faisait un boucan pas possible avec son bol, son fouet, et la migaine qu’il préparait pour sa quiche lorraine. Viry s’était même étonné que son collègue ait pu retrouver aussi rapidement ses ustensiles de cuisine dans l’inextricable caillon qu’est son appartement.
De son côté, il avait débarrasser l’équivalent d’un service à vaisselle sale, de trois cartouches de clopes sous forme de mégots et d’un pack de 26 de Kro de la table afin d’y étaler tous les documents en rapport avec son enquête.
« Tu disais quoi ? » Demanda encore Claudel.
« Le nain, là, Benoît Machin-chose ? répéta Raoul. Il est suivit, surveillé ? Il a une protection ? »
Claudel se retourna, essuyant ses mains dans sa vanotte pour mieux se saisir d’une canette de bière. « Mouais, normalement. J’en ai fait la demande au Chief, mais vu que dès que je lui demande quelque chose, ça lui file des chaurrées… »
« Si le nain survit jusqu’à la fin de cette semaine, ce sera un miracle. » pensa Raoul.
Pendant que la quiche cuisait, ils prirent l’apéro, discutant du cadavre que Claudel avait été voir l’après-midi même. Viry feuillait le rapport de son collègue. Le corps avait été trouvé sur le Champ de Roches, à Barbey-Seroux, par un ranger. C’est un gars épais comme un scorbutique, dénué de son pantalon comme les victimes précédentes, étranglé et le torse marqué d’un grand chiffre, comme les victimes précédentes. Raoul faisait un peu la gueule, parce que Claudel avait invité le coroner Shilling à les rejoindre dès qu’il aurait fini son autopsie.
« Comme ça, pas besoin d’aller tirer le rapport pour te le ramener. » avait-il argumenté.
Un ange passa. Le regard de Raoul se perdit une nouvelle fois sur la photo de la mère Masade.
Il ne restait peut-être que deux de ces gosses. Le nain, et un autre qui ne serait pas le mort du Champ de Roche…
Il se fixa sur le gamin avec la tête bizarre et le nom à coucher dehors.
« Le nom Grylemon, ça te dit quelque chose ? » Demanda-t-il.
Claudel grimaça : « Nan. Jamais entendu. C’est pas d’ici, comme nom… »
« C’est même de nulle part, je dirais. C’est pas un nom habituel, continua Viry. D’après la mère Masade, ses parents sont morts dans un accident, et la môme Lamboley était partie à sa recherche… »
Et, pendant que Claudel leur sortait deux nouvelles bières, Raoul téléphona à sa District Attorney chérie : « Salut… Non, pas ce soir… J’aurais un petit truc à te demander : Est-ce que tu pourrais faire une recherche de ton côté sur le nom Grylemon. G-R-Y-L-E-M-O-N… ». Il se figea un instant, dit un « Je te rappelle » distrait, et se saisit d’une feuille.
Il écrivit le prénom complet du garçonnet en grosses lettres, et commença à les intervertir.
« Dis, tu lui causse drôlement, à la District Attorney, fit Claudel. Tu te l’envoie ? »
« Coche té ! » Coupa Viry.
L’autre n’insista pas, rotant sa dernière gorgée de bière, puis, ouvrant la canette suivante :« Mais quesque tu débroye ? »
« Un anagramme. » fit Viry.
Quand le coroner Shilling arriva, il trouva les deux inspecteurs immobiles, silencieux.
Sur la feuille, après plusieurs tentatives ratés, se trouvait un anagramme à « Virgile Grylemon » qui se tenait : « Gregory Villemin »

« En fait, z'est comme dans ze film, là, Jazon… » fit, pensif, Shilling.
Ça foingeait. La fumée dans l’appartement de Claudel était à peu près aussi épaisse que la brume qu’on pouvait voir le matin sur les chaumes. Les trois compères enchaînaient les clopes et les verres à gouttes, la bouteille de mirabelle ayant déjà pris un bon coup dans la tronche.
« Quel film ? Demanda Claudel. Le vieux truc, là ? »
« Non, pas zi fieux… »
Malgré tout ce qu’ils avaient cheulés, Raoul ne partait pas dans les mêmes délires qu’eux. Il feuilletait, sans vraiment le lire, le rapport du coroner. Le cadavre trouvé à Barbey-Seroux était celui de Bernie Gérard, un des mômes présents sur la photo de la mère Masade. L’avant dernier qu’il leur restait à retrouver, avec Virgile/Grégory.
« Je vois pas le rapport avec le mec en jupette qui se bastonne avec des squelettes. » reprit Claudel en resservant tout le monde.
«    Hein ? Ah non ! Pas Jazon, Tjézônne ! Les films te la zérie Fentredi Dreize ! »    ajouta le légiste.
Où pouvait-il bien être, maintenant, ce Virgile ? Comment un môme assassiné s’était retrouvé, bien vivant, dans une famille d’accueil ? Qui l’avait placé chez les Masade ?
« Mais zi ! Z'est la même choze : Un garzon qui meurt noyé, et qui refient t’entre les morts pour ze fenger ! Ils en ont fait pleins de films ! »
« Et dans tes films, coupa Raoul, ils expliquent comment et pourquoi il est vivant ? »
« Je ne zais pas, je ne les ai pas touz fus. Z'est lochiquement une zorte te mort-fifant. » répondit Shilling.
Raoul soupira. Il en était à chercher une explication dans des films pour ados. Que lui avait dit la mère Masade, déjà ? Il était orphelin, malade… Mais quelle maladie ?
« Bah, les zombies, c’est pas des virus ou des malédictions de cimetières indiens qui les réveillent ? » intervint un Claudel qui semblait, d’un coup, bien plus ribotte qu’eux. Un silence passa, avant que le coroner ne reprenne le cours de sa réflexion.
« Fous safez, c’est pozziple que ze zoit un complot te zatanistes ! » Hachepailla-t-il.
Les deux inspecteurs se figèrent, et regardèrent le légiste comme une squé bête curieuse.
« Dans tes films ou dans l’affaire qui nous occupe ? » demanda Raoul.
« Ici, conzernant le Petit Grégory. Je fais fous expliquer. »
Et comme pour se donner du courage, il alla dans la cuisine et piocha dans le frigo la bouteille de Gewurztraminer qu’il avait ramenée.
« Fous zavez qu’à la fin de la zeconde guerre montiale, les allemands z'étaient conzentrés zur Pruyères Town, commença-t-il, tire-bouchon en main. Et ils ont oppozé une forte reziztance à l’afanzée tes troupes alliées. J’ai lu quelque part que ze n’était pas un hazard, et qu’en fait, zi les nazis foulaient rester à Pruyères, z'était parze qu’il y a, tans le coin, une zorte de forze maléfique que zertains arrivent à contrôler. »
Le « Plouk ! » du bouchon de liège l’interrompit. Claudel se servit un glass.
« J’espère que c’est pas ça, ton explication. » soupira Viry.
« Attends ! T’après ze que ch'ai lu, zette forze ze réveille tous les trente-cinq à quarante ans. Zi tu fais le calcul, za nous amène te zette fin de guerre à l’affaire du Petit Grégory, à maintenant ! »
Ce fut cette fois une sonnerie de téléphone qui l’interrompit. Une sonnerie qui s’arréta aussi tôt après.
Benoît, le nain, avait tenté d’appeler Raoul.

Prendre la route après une raupée pareille n’était déjà pas une bonne idée. Déjà parce qu’il faisait nuit et qu’il pleuvait comme vache qui pisse, mais Claudel avait en plus branché gyrophare et sirène, et la lumière clignotante alliée au « Wouin-ouin-ouin », ça commençaient à filer la gerbe à Raoul.
« Eteins-moi ce zinzin ou je vais te cracher une peau de renard sur le tableau de bord. » Finit-il par dire entre deux renvois bileux. A l’arrière, l’alsaco était pas en meilleur état, et se contentait, à chaque virage, de souffler des jurons à consonnance germanique.
Ils arrivèrent. Entre deux vas-et-viens des essuies-glaces, ils aperçurent un petit vieux avec une carabine qui leur fit des grands signes, et une voiture garée devant la maison du nain avec, elle aussi, un gyrophare allumé.
« Son voisin, commenta Claudel. Et ça, ce doit être la bagnole des agents du FBI chargés de sa protection. »
Raoul eut l’envie de se féliciter d’avoir demander à Caroline de faire pression afin que le nain soit sous la protection de fédéraux, parce qu’il n’avait aucune confiance en la surveillance qu’après pu mettre en place le gros Baradel, mais il n’en eut pas le temps.
A peine Claudel avait-il arrêté sa voiture que la fenêtre de l’étage vola en éclat, et qu’un corps fit un soleil au travers avant de se frâler dans la boue de la cour. L’agent Gravier, ou l’agent Tisserand, un des deux. Il gémit avant de s’évanouir, le nez dans la gadoue.
L’inspecteur Claudel, arme au poing, s’engouffra dans la maison, tandis que Shilling, n’y tenant plus, était parti vomir son Gewurztraminer dans une jardinière.
L’autre agent du FBI était allongé au pied de l’escalier, inerte. Raoul se penche dessus, l’ausculta, et se retourna soudain. Une ombre derrière lui, aussitôt évanouie.
Le policier sortit et vit la haute silhouette s’éloigner. Un grand gaillard de près de deux mètres, son crâne lisse luisant sous la pluie, et se qui mit à courir à grandes enjambées en direction du bois voisin, malgré le squé sac à patate qu’il trimbalait sous son bras, et que Raoul identifia, l’instant d’après, comme étant Benoît.
« Hé ! » interpella le policier, avant de poursuivre d’un « Et merde. » quand il comprit qu’il allait devoir courser l’individu.
Le grand Peut'homme avait sauté une tronce de sapin allongée là comme si il faisait une course d’obstacle. Viry le suivit, tant bien que mal. La pluie avait trempé le sol comme une faigne, et Raoul sentait déjà que ses pieds allaient être tout puisés. Le dénivelé se fit soudain plus important, et le Peut'homme, devant, sautait d’arbres en arbres, s’appuyant sur les souches pour se caler, tandis que lui dégringolait et glissait comme une schlitte trop pleine. Trébuchant, il atterrit dans les fougères, et se relevant, chercha le grand chauve du regard. Perdu ?
Non, il était là-bas, tâche bleu mouvante parmi les hachûres brunes et verticales des troncs. Il arrivait en bas de la pente, là où la forêt s’éclaircissait.    Viry se laissa descendre encore, courant plus vite que ses guiboles ne lui permettaient. L’éclaircie venait du fait qu’un chemin forestier passait là, et l’inspecteur vit, plus loin, sur ce chemin, un pick-up, tout phares allumés. Le Peut'homme était maintenant sur la piste, et se dirigeait vers le 4x4 qui se mit à reculer pour s’approcher de lui.
Viry arriva à son tour sur la sente. Le géant avait déjà balancer le nain dans la benne du pick-up, et allait grimper dedans.
A bout de souffle, trop loin pour les atteindre, Viry appela : « Virgile ! »
Et alors que le 4x4 s’éloignait, il vit clairement le géant le regarder, avec aux lèvres le sourire niais d’un enfant content de lui.

« You are leaving Épinal County » annonça le panneau en bord de route. Devant lui s’étendait ce que l’inspecteur Viry considérait comme n’étant plus vraiment les Vosges. Passé Épinal City, c’était le pays des plaineux. Et après la plaine continuait, au-delà des frontières de l’Etat, la vaste étendue du Middle East.
Profitant de la ligne droite, il consulta sa carte. Prochaine sortie de l’Interstate : Mirecourt City. Sa destination.
Il avait un peu d’avance, aussi gara-t-il sa voiture sur la rive de la Madon River, et grignota la môrotte qu’il s’était préparé pour le trajet. Il reprit ensuite la route et suivit les panneaux en direction du Ravenel Mental Asylum. A peine garé dans l’enceinte de l’hôpital qu’un grand échalas en blouse blanche vint l’accueillir.
« Inspecteur Viry, je suppose ? Fit-il en lui tendant la main. Erik Parisot, médecin-chef du Ravenel Asylum. Je vous attendais. »   
Le sourire que lui avait adressé Virgile la nuit précédente avait confirmé son idée : Quand la mère Masade disait que le môme était « malade » ou « à problème », elle signifiait qu’il avait un handicap. Le policier avait donc appelé l’asile d’aliénés le plus proche, et avait retrouvé la trace de Virgile Grylemon.
« Alors c’est quoi ? Une sorte d’attardé mental ? » demanda Raoul alors que le médecin l’introduisait dans un bureau tapissé de diplômes et de bouquins.
Le docteur Parisot ne releva pas la maladresse de la question, et répondit :
« Virgil a, en fait, plusieurs pathologies distingues, tant physiques que psychologiques, et pour certaines difficilement identifiables. Il a effectué plusieurs séjour chez nous, dès les années 90, après être passé dans des familles d’accueils et des instituts où il n’avait, selon moi, pas sa place. »
Tout en l’écoutant, l’inspecteur Viry s’alluma une schmer. Le docteur continua.
« Tout d’abord, physiologiquement, son épiderme est marqué, comme brûlé. Il a perdu, apparemment dès l’enfance, toute pilosité, et ses doigts sont dénués d’empreintes digitales. Psychologiquement, il a vraisemblablement subi de graves traumas. J’en ai pour preuves les brins de ficelles incrustés dans ses chairs, et qui lui entravaient poings et pieds. Lui comme son tuteur avant lui se sont toujours refusés à ce qu’on lui enlève… »
« Son tuteur ? » Tiqua Raoul.
« Oui. Un vieil homme qui se présentait comme son oncle, répondit Parisot. Henri Grylemon. »
Ça puait le pseudonyme, mais le doc paraissait honnête :
« Bref, poursuivit celui-ci, Virgile avait subit quelque chose, ce qui le poussait à se refermer sur lui-même, et le coinçait à une époque qui devait être celle de son traumatisme. D’après les différents tests que je lui ai fait passer, il a conservé la mentalité d’un enfant de quatre ans. »
Il tendit à Viry quelques pages de son dossier, avec photos, notes et appréciations.
« Mais, et c’est pourquoi je me suis opposé à le laisser sortir, il n’a aucune indépendance, aucun libre arbitre, et plus grave, aucun sens moral. »
« Comment ça ? »    demanda Viry.
« Parler d’indépendance pour un garçon de quatre ans peut sembler abusé, mais à cet age, l’enfant commence à s’affirmer, à jouer par lui-même, il agit, apprend, et comprend les notions de bien et de mal. Virgile, lui, est incapable d’agir par lui-même tant qu’on ne lui en donne pas l’ordre direct, et est incapable de juger de ses actes.    On est assez proche d’une forme d’autisme, d’autant qu’il communique peu avec l’extérieur, est quasiment muet, et n’a, au surplus, aucune notion de temps et de temporalité. Une heure ou un an, il ne fait pas la différence. »
Parisot s’étendit dans son fauteuil, comme pour signifier qu’il avait fini son speech.
« Donc, si j’ai bien compris, fit Raoul, et pour causer comme si j’avais moi aussi fait médecine, C’est un squé autiste psychopathe infantile. »
Le médecin aquiesca.
Avant de repartir, l’inspecteur Viry demanda le plus d’informations possibles sur le soi-disant tuteur de Virgile, et chercha à savoir si celui-ci était interné au moment de l’assassinat d’Angèle Lamboley, ou si celle-ci était rentré en contact avec le Ravenel Asylum.
Pas de trace de la fille Lamboley, mais Virgile avait eu une autorisation de sortie à cette même époque.

Il avait roulé au hasard. Parce qu’il voulait réfléchir à ce qu’il avait découvert à Mirecourt City, et aussi un peu parce que, ayant reçu un message de Caroline lui demandant s’il était libre ce soir, il s’était déconcentré et avait pris la mauvais sortie au rond-point de l’ancienne papeterie.
Le hasard.
La petite route    de campagne sur laquelle il s’était perdu sortit d’un hagis pour déboucher sur une petite localité, une poignée de maisons éparpillées avant la descente vers le village et son clocher qui dépassait des toits et des herbaux.
Lépanges sur Vologne.
Et là, à cinquante mètres après l’embranchement, une maison. La maison.
Le hasard.
Elle n’avait guère changé. Les autres pavillons, autour, avaient eu droit à des ravalements de façades, à la construction d’une terrasse, d’une extension, d’un grand jardin, mais elle, elle n’avait pas changé. Même le panneau « à louer » et la voiture habillée d’un logo « Lalevée Real Estate » dans la cour étaient habituels : Depuis qu’ils avaient quitté le coin et l’avait mise en vente, la maison qu’avait fait construire Jean-Marie et Christine Villemin n’avait cessée de changer de proprio.
Presque malgré lui, Raoul s’était arrêté et était sorti de la voiture.
Au même moment, ce qui devait être un agent immobilier émergea de la maison. Il se posta, tout sourire, face au policier.
« Vous voulez visiter ? » demanda-t-il.
« Non. Une autre fois peut-être. » répondit Viry. L’autre parlait, lui faisait l’article. Comme tous les commerciaux, c’était une sacrée cacatte. Il lui montrait des photos tirées du dossier qu’il avait sous le bras, mais sans mentionner ce qui, du passé de ce pavillon, intéressait l’inspecteur.
Et puis une idée traversa l’esprit de l’inspecteur. Le hasard…
« Elle est à louer, c’te maison, coupa-t-il. Qui est le propriétaire ? »
L’autre bafouilla. « Je… Je crois que je n’ai pas le droit de vous donner ce type d’information. »
Viry poussa le panné de sa veste, dévoilant sa plaque. Du moins, celle qu’il avait emprunté à Claudel. L’agent immobilier compulsa son dossier.
« Le propriétaire actuel, c’est un certain monsieur… Robert Gégout. »

Caroline recracha la fumée de sa Royal Menthol en une quinte de toux quand Raoul lui expliqua que Virgile Grylemon était en fait Grégory Villemin, et que celui-ci était son principal suspect.
« Ça explique que je n’ai pas trouvé le moindre dossier à ce nom. » dit-elle après avoir repris son souffle. Et avant qu’ils n’entament la partie de jambe en l’air qui était la raison première de leur rencontre, le policier lui raconta l’enlèvement du Nain, Claudel qui pistelait, et ses découvertes du jour.
« Moi aussi, j’ai trouvé des trucs, fit-elle. Je cherchais les informations des dossiers volés dans les City Halls, et j’ai remarqué qu’on n’avait pas le moindre document concernant le vieux Gégout. Alors j’ai demandé au FBI ce qu’ils avaient sur le vieux Gégout »
Et elle produisit une nouvelle feuille photocopiée. Sur l’entête, à côté d’une série de mots en caractères gothiques, un aigle stylisé surmontant une croix gammée.
« Robert Henri Gégout, né en 1903 à Gérardmer City, commenta-t-elle. Ce que tu vois là, c’est le seul document officiel qu’on ait à ce nom et portant une date de naissance. »
Raoul se demanda un instant si il était possible que le vieux Gégout ait naturellement    près de cent-vingt ans, avant de se rappeler qu’il était lié à une histoire de môme ressuscité.
« Et ce que dit ce papier aussi, Continua Caroline, c’est qu’avant d’être Chief ou Commisioner, Gégout a été Freixillige-Unterscharführer. »
Peu après, alors qu’ils étaient nus l’un sur l’autre, l’inspecteur Viry se figea, pensif, presque insensible à ses baisers, et demanda :
« Tu aurais un bouquin sur l’Affaire Grégory ? »

Il avait laissé sa voiture un peu plus loin en aval.
Malgré la pleine lune, la nuit n’était pas bien clarteuse, et ça l’arrangeait. Raoul avait bien attendu qu’il soit près de minuit pour se lancer dans sa petite expédition.
Usant d’une technique apprise auprès d’un cambrioleur qu’il avait arrêté au début de sa carrière, il força une fenêtre du sous-sol et se glissa à l’intérieur de la maison. Là seulement, il alluma sa lampe de poche. Il gagna l’étage, sortant le plan de sa poche : Le livre que lui avait prêté Caroline contenait, pour Dieu sait quel raison, un plan détaillé de la maison du couple Villemin, et il se l’était recopié.
L’ex-commisioner Gégout avait fait refaire sols et murs, mais la disposition des pièces n’avait pas changé. Raoul ne savait pas vraiment quoi chercher ici, sinon un indice quelconque lui confirmant que Virgile était Grégory.    Une preuve que le géant chauve était passé dans cette maison. Une preuve, peut-être, qu’Angèle Lamboley était passée dans cette maison.
Consultant le gribouillage qui lui servait de plan, il sut que la salle derrière la porte, à sa droite, avait été la chambre du petit garçon. C’était maintenant une pièce presque nue, avec juste un bureau et un placard. Un linoléum neuf au sol et un papier neutre sur les murs.
Le plan du bouquin n’avait révélé aucune pièce caché, aucune cafourote, et il espérait trouver quelque chose ici. Raoul réfléchit un instant puis, posant sa lampe sur le bureau, sortit son canif et    fit sauter la plinthe d’un coup de schlass.
Il tira sur le revêtement de sol, sur les lés de tapisserie, et après vingt bonnes minutes de boulot, il déqueugna un peu du caillon éparpillé et contempla murs et sols mis à nus.
Les parois étaient couvertes de signes. Des figures géométriques, parsemées de lettres bizarres, tracées avec une sorte de peinture brune.
« Non, pas de la peinture. Du sang. » Pensa-t-il
Des pentacles. Des symboles cabalistiques, occultes. Des squés trucs sataniques.
Raoul eut à peine de temps de formuler un « Ce con de Shilling avait raison. » qu’il se prit un sale coup sur l’arrière du crâne et tomba dans les pommes.

Dans les films, quand un mec reprend ses esprits après avoir été assommé, c’est souvent comme s’il se réveillait d’un bon petit somme.
Raoul, en se réveillant de la beugne qu’il s’était prise, se payait une migraine atroce, une sale nausée et des vertiges qui lui aurait presque fait remercier le gars qui l’avait ligoté à une chaise.
Et une fois qu’il eut les yeux en face des trous, il détailla ce qui l’entourait, à commencer par ces formes à côté de lui. Sur sa gauche, il découvrit, pareillement attaché, le nain Benoît. Et sur sa droite un homme, ligoté lui aussi, et depuis un bon bout de temps. Il était mort, et schmiquait comme tel.
« C’est qui ça ? » demanda le policier, en regrettant aussitôt sa question, tant sa voix lui fit l’effet d’un battant de cloche entre ses tempes.
« Ça, fit une voix derrière lui, c’est monsieur Pique. Détective privé de son état. C’est lui que la belle-famille de la fille Lamboley a engagé pour venir fouiner ici. »
Raoul était encore un peu beulou, et que le vieux Gégout, puisque c’était lui qui parlait, vienne se poster devant lui, ça lui permit de faire le point et de voir où il était.
C’était un grand bâtiment vide, en ruine, envahi de gravas et de choquesses. Sans doute un Cloth Mill, une ancienne usine textile désaffectée comme les Vosges en comptait des dizaines. Les chaises devaient être là depuis toujours, mais le projecteur près d’eux, alimenté par un groupe électrogène qui ronronnait au dehors, avait dû être amené tout exprès par Gégout.
« Et c’est à ce fouille-merde qu’on doit d’être tous ici. ajouta le vieux. C’est à cause de lui et de son enquête que j’ai dû agir. »
Le vieux disparut derrière la rangée de chaise.
« Parce qu’il avait compris que c’était vous qui aviez tué Angèle Lamboley ? Et que vous l’avez tuée parce qu’elle savait qui était vraiment Virgile ? »
Le père Gégout rigola :
« Et moi je savais que vous êtiez un bon flic, Viry ! Je vous l’ai dit, et vous me le prouvez ! »
Le vieux revint devant eux, de brillants objets d’inox plein les bras. Le suivant du regard, l’inspecteur remarqua, dans la pénombre au loin, un mouvement. Une forme, quelque chose dans l’obscurité.
« Et donc, reprit Raoul en verve, Ce privé arrive et… il interroge ceux qui avaient été dans la même famille d’accueil de Virgile… »
«… Et quand il finit par contacter ce gros sac de Baradel pour lui poser des questions, il y avait déjà trop de personnes impliquées. » finit Gégout.
« Donc le Chief était vraiment votre complice ? Demanda Raoul. Moi qui pensait qu’il était juste aveuglement fidèle à vous… »
« Ah, mais il est d’une fidélité aveugle ! Ricana Gégout.. Il fait ce que je lui dit, et ne cherche pas à comprendre, comme l’on toujours fait les fidèles du Motèy di Diâbe. »
Raoul écarquilla les yeux : « Le quoi ? »
Le vieillard sourira de tout son dentier.
« Ah, vous êtes un bon flic, mais vous n’avez pas encore tout compris. Je vais vous raconter ça… »
Tout en parlant, il se pencha sur le Benoît, posa une bassine au sol et tendit un scalpel. Le nain roula des yeux et gueula par dessous son baillon. La lame du scalpel se planta dans le poignet, et couru sur tout l’avant-bras. Un flot de sang fit tinter la bassine.
« Il y a ici, depuis des millénaires, un Portail, donnant sur un monde d’entités aux pouvoirs supérieurs, commença-t-il, et que l’Eglise a rapidement classé comme maléfique. Ce Portail ne s’éveille que durant de courtes périodes, séparées par des sommeils durant entre trente ou quarante ans. Pour étudier ce Portail, comprendre ses pouvoirs et en tirer au mieux profit, des gens de la vallée se sont réuni en une confrérie, le Motèy di Diâbe. »
Le vieux Gégout fit une pause, se posta face à Raoul et, tout en reprenant son récit, lui ouvrit les bras comme il l’avais fait à Benoît.
« Quand les boches sont arrivés en 1941, dit-il, ils se sont tout de suite intéressé au Portail. Les autres membres du Motèy di Diâbe ont résisté, d’autant plus qu’il devait sortir de ses trente ans de sommeil. J’ai accepté de les aider. »
« Et vous êtes devenu Freixil-machin-Führer, hein ? » fit Raoul dans une grimace de douleur.
« Vous savez ça ! S’esbaudit le vieux, en tendant son scalpel. Hé oui ! J’ai passé le reste de la guerre en Allemagne, a étudier tout ce que les nazis avaient rassemblé concernant les rites occultes, les communications avec d’autres dimensions, et ce genre de choses. Revenu dans les Vosges, j’ai juste eu le temps de tester quelques petites choses, et d’acquérir des dons de manipulation mentale et le prolongement de ma vie avant que les américains ne débarquent. »
Il s’arrêta. La forme mouvante qu’avait repéré Raoul s’approchait, se révélant à la lumière. C’était Virgile. Il traînait un balai derrière lui.
« Tu as finis ? » Lui demanda le vieillard. Le grand chauve murmura un « Oui » à peine audible.
« Tu as bien dégagé tous les dessins ? » Nouveau « Oui » muet.
Le vieux piocha la bassine posée aux pieds du nain, déjà bien remplie, et la tendit à Virgile.
« Bien. Tu vas suivre les dessins au sol, et les refaire, avec ça. Ne te trompe pas, ne déborde pas. D’accord ? »
Le géant acquiesça de nouveau, et en silence, retourna dans l’obscurité.

«…C’était une peute bête noire, méchante comme une teigne, qui s’est enfuie aussitôt invoquée. J’ai passé toute l’année 77 à la chasser, à suivre sa trace à chaque troupeau de moutons qu’elle zigouillait. »
Raoul avait tourné de l’œil un instant. Le père Gégout continuait son récit, et posait une nouvelle bassine sous lui. L’autre était remplie à ras-bord de sang.
« Attendez…    fit le policier d’une voix plus pâteuse qu’il ne l’aurait cru. C’était ça, la Bête des Vosges ? »
Le vieux eut un ricanement satisfait. « Bien sûr que c’était ça, la Bête des Vosges ! Comme si la thèse officielle du loup tenait la route ! »
Raoul se sentit partir de nouveau, avant que la main flasque de l’ex-commisioner ne lui foute une gifle.
« Hé, restez avec moi, inspecteur ! Fit-il. Je viens de vous expliquer que pour que le rituel marche, il fallait que la créature qui avait donné son sang soit vivante et consciente ! »
« Ouais, articula Raoul. Et donc, vous avez saignez le petit Grégory de la même façon, hein ? »
Ça le fit ricaner de plus belle.
« Inspecteur Viry ! Vous tirez des conclusions hâtives, et pour un détective de votre trempe, c’est un vilain défaut. »
Il s’interrompit. Le grand chauve était réapparut, tout marmosé de sang, pour prendre la dernière bassine pleine. Voir la quantité de sang qu’il avait déjà perdu refila un coup de vertige à Raoul.
« Vous tirez des conclusions hâtives, reprit le vieux une fois Virgile reparti, mais je ne vous en veux pas. Vous n’êtes pas le seul : Jean-Marie Villemin était au courant pour le Motèy di Diabe, et quand il a apprit que son gamin avait été assassiné, la première chose qu’il a fait a été de m’accuser de l’avoir sacrifié à je-ne-sais quelle cérémonie ! »
« Et si ce n’est pas le cas, pourquoi il y a ces symboles sur les murs de sa chambre ? Demanda Raoul. C’est pas son sang, peut-être ? »
« Non, nia le vieux. J’ai répondu à Jean-Marie Villemin que je n’avais pas tué son fils, et qu’au contraire, grâce au Portail, je pouvais lui rendre ! Tout ce qu’il me fallait, c’est un lieu attaché au garçon où il se réincarnerait, et une vie à offrir en échange, avec le sang nécessaire. Et cette vie, Le père Villemin savait déjà à qui la prendre ! »
L’aiguillon de la curiosité fit oublier à Viry les quelques litres d’hémoglobine qui lui manquaient.
« attendez… C’est pour ça qu’il a tué Bernard Laroche ? »
« Ça, et le fait qu’il le détestait et pensait que c’était lui l’assassin, répondit Gégout. Mais bref, j’ai usé de ma position au sein du Granges sur Vologne Police Department, comme je l’avait déjà fait au moment de la mort du gosse, et j’ai quelque peu maquillé les événements. »
« Combien de fois vous avez déformé la réalité comme ça ? » enragea Raoul.
Le père Gégout s’écarta, Virgile revenant lui murmurer, en substance, qu’il avait fini de repasser au sang les symboles dessinés au sol. Puis il revint :
« Pour répondre à votre question, pas tant que ça. Entre tout le foin que ça a fait, les journaleux qui en rajoute une couche et cette gueniche de gamine Bolle qui raconte des conneries, c’est à peine si j’ai eu besoin de marmoser les choses. J’ai appuyé pour charger le juge Lambert de l’affaire en sachant qu’il n’était pas de taille, j’ai envoyé une ou deux lettres qu’on attribue au corbeau, mais… Je ne suis qu’une des conoilles sur toute une volée ! »

Le fracas à côté de lui fit sortir Raoul de sa torpeur. Suivirent des gémissements étouffés. Virgile venait de basculer le nain sur sa chaise afin, il le comprit aussitôt, que le cerveau de celui-ci soit correctement irrigué, et qu’il reste conscient. Benoît se débattait, à bout de force, en vain.
Là-bas, où le géant chauve avait passé tout ce temps à barbouiller le sol de sang, luisait des formes étranges, des ombres faites de flammes multicolores, tandis que la voix du père Gégout résonnait avec puissance.
« Mglw’nafh Ph’nglui Nyarlatothtep R’lyeh fhtan wgah’nagl ! » invoquait-il, ou quelque chose d’approchant.
Raoul se sentit partir en arrière. Virgile le faisait basculer, lui aussi.
« Hé ! Appela-t-il. Hé, Virgile ! Grégory ! »
Le géant se pencha sur lui. Viry vit clairement les bouts de coriotte bleue pendant à ses poignets et mollets. Mais sans trouver quoi lui dire de plus.
Alors il remarqua un détail. A terre, entre lui et le nain, gisait un porte-feuille. Et l’afflux sanguin faisant fonctionner son cerveau de manière un peu étrange, il comprit à ce moment-là que si le tueur avait enlevé aux victimes leurs pantalons, C’était juste que Virgile, avec son esprit d’enfant de quatre ans, comprenait peut-être plus facilement l’idée d’enlever un futal que de faire les poches pour prendre un porte-feuille et compliquer l’identification.
Et là, alors que le grand gaillard s’en retournait voir le Gégout et ses litanies, Raoul eut une idée.
« Hé, attends ! J’ai un truc pour toi ! » appela-t-il.
Virgile revint vers lui. Le regarda avec ces yeux dans lesquels le policier retrouvait le môme de quatre ans dont on connait tous la photo.
« Je… Je l’ai là, dans la poche de mon pantalon. Si tu me laisse la prendre, je te la donne. »
L’autre benêt hésitait. « Allez ! »
Durant ce qui parut une éternité, Virgile resta immobile, jetant des regards tantôt vers le père Gégout, tantôt sur Raoul.
Puis, il poussa un soupir d’enfant contrarié, redressa la chaise du policier, chercha du regard le scalpel laissé là par le vieux, et sectionna les liens.
Raoul fouilla dans sa poche, en tira son porte-feuille et la photo empruntée à la mère Masade.
« Tu connais cette photo, hein ? Dit-il en la tendant à Virgile. Tu es dessus, tu te souviens ? »
Le géant chauve se mit l’image devant le nez, et la regarda longuement. Un drôle de sourire naquit sur ses lèvres.
« Oui, tu te souviens, continua le policier. Et tu te souviens que tu t’appelais Grégory, avant ? »
Là, le Peut'homme    perdit son sourire, et composa une mine douloureuse.
« Grégory, poursuivit Raoul. Tu t’appelle Grégory et le vieux Gégout te manipule. Il t’a obligé à tuer les autres personnes sur cette photo… »
Un geignement le coupa. Virgile/Grégory partit dans un élan de rage, froissa la photo, et d’un geste ample, fila une grande baffe à Viry qui bascula de côté sur sa chaise, et manqua de retomber dans les pommes.
Alors, dans le brouillard de sa semi-conscience, se mélangèrent les gémissements de Grégory et les incantations du Gégout, et il vit se dessiner, là-bas, devant le mur de flammes qui constituait le Portail adoré par le vieux, les silhouettes des deux hommes.
Le géant chauve s’approcha de l’autre, à genoux et bras en croix, et l’arracha du sol, l’étranglant des liens pendant à ses poignets. Raoul entendit les craquements d’os aussi sûrement que s’il avait été juste à côté, et vit le corps du vieil homme retomber comme une poupée de chiffon manquant franchement de rembourrage. Les prières cessant, le mur flammes multicolores se transforma en un pétieu fait dans l’espace même, un vortex avec comme une petite lumière moribonde au bout. Grégory balança le corps dans le trou noir, qui se referma aussitôt.
L’obscurité et le silence reprirent place dans l’usine désaffectée. Raoul se sentait partir, tourner. Il était incapable de bouger, et il eut tout juste l’énergie d’aller fouiller dans la poche de sa veste pour y piocher une Gauloise. Il eut à peine la force d’en tirer une bouffée avant de tomber dans les vapes.

L’agent immobilier laissa défiler les sonneries jusqu’à la messagerie.
« Bonjour monsieur Gégout, dit-il au répondeur, François, de Lalevée Real Estate. Je vous appelais comme convenu pour vous prévenir que je vais faire visiter votre maison aujourd’hui. Je vous rappelle dans la journée. »
En fait, le François eut, dès son arrivée à la maison de Lépanges Sur Vologne, l’envie de rappeler le père Gégout. Parce qu’il y avait cette fenêtre au sous-sol qui était entrouverte. Il n’en eut pas le temps, ses clients arrivant déjà. Un jeune couple.
Ils entamèrent la visite. L’agent présenta les pièces, détaillant du regard chacune d’elle pour voir s’il y trouvait des traces de cambriolage. Il était presque soulagé, et commençait presque à se convaincre que c’était lui qui avait ouvert ce vasistas, quand il poussa la porte du bureau.
Il se statufia. Le papier-peint n’était plus qu’un amas de charpie au milieu de la pièce, le linoléum était repoussé, enroulé dans un coin, et les murs étaient recouvert de graffitis.
Ce fut le cri de la jeune femme qui lui fit réaliser qu’il y avait autre chose.
Allongé par terre, à demi caché par le revêtement de sol, il y avait un homme, un grand chauve.
Il dormait comme un bébé.


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